CHRONIQUE
Glisser
J'ai appris à l'höpital une technique qui m'assure un sommeil profond et réparateur. Mes horaires sont certes exotiques : je dors à 10 heures et me réveille très tôt, mais je pense que minuit ferait aussi bien l'affaire, et je songe aux milliers d'insomniaques dont j'étais. Pourquoi ne pas vous donner la recette? Plus de calmants ni de narcotiques. Vous jetez à la poubelle Xanax et stillnox.
Le mot"glisser" est de mon cru. C'est un état second qui s'apparente à une espèce d'anesthésie de l'esprit. Pour l'atteindre vous essayez de chasser de votre esprit toute perturbation et de votre corps toute activité excitante (soirée bien arrosée, travail très prenant, manifestations bruyantes et danses agitées). A l'heure dite, aussitôt que possible, vous vous allongez sous la couette, bien horizontal, pieds nus et vous éteignez la lumière. Il est indispensable alors de vous concentrer sur des utopies agréables : la lamborghini qui attire l'admiration des jolies femmes, le chinchilla et le passage chez Alexandre, le spécialiste de soins de beauté, chez les hommes pour les beaux mecs. Et bien entendu, tout cela dans votre maison pieds dans l'eau sur la Côte, le voilier somptueux, ou encore la croisière de rêve aux Caraïbes. Moi, je me vois animer un centre culturel, en train de trouver des objets précieux pour l'enrichir, où plus prosaïquement me pavaner dans un manteau de vigogne de chez Hermès.
Sans que sachez trop comment, vous êtes partis. Comme si on vous avait appliqué sur le museau un tampon de chloroforme.
Plus tard, au milieu de la nuit, vous pouvez ressentir le désir de passer à la toilette, d'achever ou de continuer un travail artisanal que vous avez commencé et qui progresse doucement, par étapes, ou simplement vous avez faim. Vous accomplissez sans nervosité ces occupations, vous vous remettez au lit, et immédiatement vous replongez dans cet état second, c'est à dire que vous vous laissez glisser dans cetteamnésie bienheureuse. Le lendemain, en vous réveillant vous n'avez gardé de ces interruptions que des souvenirs très flou, comme d'un rêve dont on se souvient à peine et qui s'évanouit aussitôt. D'une certaine façon on peut dire que vous êtes somnambule. Ainsi j'ai retiré de mon coffre tous mes contrats et je ne sais où ils sont passés. Trop bien classés peut-être.A la cuisine, je trouve des trousseaux de clés étalés dans tous les sens. Qui les a mis là? Je ne sais, sinon moi pendant la nuit. Pis encore, au milieu de la nuit je confonds ma chambre d'hôpital et celle de mon appartement, et cherche le placard de l'une dans celle de l'autre!
Mais ces handicaps ne vous affecteront sûrement pas, car vous n'avez pas un caillot de sang qui se balade dans le cerveau, provoquant des amnésies profondes. Je suis sûr que vous n'en retiendrez que les côtés positifs : un sommeil réparateur, un lit douillet et un matin dispos. Attention, il ne faut pas dépasser minuit pour vous coucher et ne prendre ni sédatifs, ni excitants.
Essayez, cela en vaut la peine. Envoyez-moi par mail (blussato@wanadoo.fr) le résultat de vos expériences.