CHRONIQUE
La leçon d'organisation
Il est venu.
Mon successeur au sein d'une grande compagnie à laquelle je suis attaché par de liens quasi familiaux depuis des décénnies. Je me devais, surtout dans l'état de précarité qui m'affecte, de me trouver un remplaçant aussi vite que possible.Cet homme je le connais depuis longtemps et il est doté d'une intelligence vive et acérée.Il comprend tout au vol! Et puis, un même lien de fidélité pour la firme, nous réunit.
Il est arrivé pratiquement à l'heure (retard dans le train) et s'est excusé de m'avoir fait attendre. On le voit, il n'est pas russe!
Par où commencer?
Par la fin !
J'ai en effet écarté d'emblée la démarche classique que j'abhorre depuis longemps et qui commence par enseigner les bases et les fondements de la méthode avant de passer aux applications. Un des handicaps de cette méthode, est que la connaissance théorique est exhaustive, elle permet de traiter tous les cas, alors que seuls quelques uns s'appliquent à nos préoccupations.
Lorsque j'avais dix ans, je brûlais de jouer du piano dont je ne connaissais que des bribes de notations prises dans le dictionnaire LAROUSSE du XIXe . On me donna une enseignante, Daisy Arbib qui m'installa devant la piano à queue de ma tante, qui occupait un étage inférieur, un piano à queue impressionnant, en acajou comme la bibliothèque où il trônait fièrement. Avant que j'eus pu toucher une touche, elle m'exposa son programme :
Pendant un an tu apprendras le solfège : do-o-o-o , re-e-e-e- etc. L'année suivante rien que des gammes. L'année après des exercices, la quatrième année des études, et enfin tu pourras jouer convenablement des pièces faciles.
La séance d'après, j'étais introuvable ! Je m'étais réfugié dans une poubelle de la terrasse de l'immeuble. Mon père décréta que l'examen était concluant et qu'il était inutile de gaspiller des sous pour un paresseux non motivé. Il me fallut attendre une dizaine d'années pour reprendre le piano, grâce à un appui extérieur.
La même méthode, je l'ai trouvée dans l'enseignement de l'informatique. "Tu dois d'abord, avant de toucher le clavier, connaître la théorie, apprendre les bases de l'achitecture des logiciels, quelques centaines de leçons suffiront pour en saisir les subtilités. Alors, tu seras armé pour commencer à manipuler ton micro. "
Cette option pédagogique, je l'appliquais autrefois, avec pour effet de semer la confusion dans la tête de mes étudiants. Je l'écartai donc pour mon successeur. Je décidai de parler avec lui par les problèmes qui affectaient sa compagnie, sa situation personnelle, tout ce qui perturbait son esprit et suscitait des interrogations sans réponse. Je lui montrai comment aborder le problème et alors seulement, je l'appliquais à d'autres cas pour faire ressortir la théorie.
Pêle-mêle, les grands principes
Autant je déteste l'approche théorique, autant j'estime indispensable l'intégration des prierres de fondation des théories, ces notions (comme les nomment Mme GAllais Hamonnot) dont l'assemblage donne des concepts.
1. Notion de système. (Klìr et Valach).
Un système est un doublet, c'est à dire une feuille à deux faces, composé d'un Universum U et d'une caractéristique A.
L'universum U est l'ensemble des données factuelles et ponctuelles (les affixes de Bertin, le plus grand cartographe). Par exemple la liste du personnel, les inventaires de marchandises, de meubles ou de machines, l'énumération des services et des ateliers. Les affixes sont définis sans ambigüité : une perceuse est une perceuse, et Mme Cruchon la vendeuse est Mme Cruchon, sans ambiguïté.
La caractéristique A, est l'ensemble des relations qui font communiquer ces blocs que sont les pierres de l'universum. Par exemple les relations hiérarchiques, les sociogrammes, les diagrammes de flux etc. On les figure par des graphes (système de flèches) ou des matrices (grilles comme celles des mots croisés).
Il s'ensuit que deux systèmes peuvent avoir un U différent et un A identique. Par exemple la notion de centralisation est transversale à l'Univers, deux systèmes aussi différents par leur univers que le solfège, l'informatique ou les grandes organisations, peuvent avoir une même caractéristique. Si on abandonne ce jargon théorique on décrira un A formalisé comme la STRUCTURE, un U comme un INVENTAIRE.
2. La loi de Pareto
Il s'agit d'une loi transversale qui s'applique à des univers et même à des caractéristiques différentes. On la connaît sous l'appellation : LOI DES 20/80. Les linguistes la nomment LOI DE ZIPF et son application permet des économies considérables. Elle stipule que dans les organisations et les bibliothèques comme dans toute source de connaissance, si on classe en abscisse par rang de fréquence d'un élément de savoir et en ordonnée la quantité de connaissance délivrée, les 20% des premiers items, contiennent 80% de la connaissance. Le 20% est donné à titre indicatif, cela peut être par exemple du 90/10. Dans un système classé dans le désordre ou l'abitraire, on obtient du 50/50, comme dans le chaos ou les classements aléatoires.
La difficulté est de ranger par ordre les items. Dans le cas de ces masterclasses, nous avons procédé d'une manière inverse, non pas en déterminent la place dans rang de fréquences, mais dans l'importance des connaissances requises. Celle-ci coïncide exactement avec l'inventaire des préoccupations de mon disciple.
3. Une vie de chien
Combien dure la vie d'un chien? 15 ans environ. Et celle d'un homme ? 75 ans ou plus selon les pays, le sexe, le degré d'évolution. C'est à dire qu'un jour de chien, c'est une semaine de travail d'un homme ! Mener une vie de chien, est d'en faire autant en un jour qu'avant en cinq jours. Malheureusement, et en France tout particulièrement tout s'oppose à cette accélération du temps. Les handicaps buereaucratiques, la morosité et le mauvais esprit général, la loi Aubry etc. Mais aussi l'incapacité des patrons de décider et de décider vite. Ils se noient en palabres, en discours convenus, par peur d'affronter des responsabilités et de se compromettre en cas d'échec. Dans la plupart des organisations, du petit artisan fleuriste à la Compagne d' assurances, même travars. On atermoie, on gagne du temps, obtenir des directives claires est un tour de force.
Une caractéristique des grands patrons comme des artisans consciencieux, est qu'ils sont de parole et tiennent leurs délais, ou de savoir s'entourer de gens qui gèrent leur agenda. Pourtant, c'est dans les temps troublés actuels qu'on a besoin décisions tranchées et claires. Surtout dans notre pays en proie à la morosité et à l'aigreur, qui vite, peuvent se transformer en violence.
4. Savoir sanctionner
Thierry Breton, Welch, l'ancien patron de la G.E., les hommes d'envergure sont réputés de considérer promotions et renvois, comme part naturelle de la vie de l'entreprise.Avec des dirigeants tièdes, tout cela est sujet à flottement: on pardonne aux médiocres, on passe sur leurs manquements les plus graves, on cherche la petite bête et le bouc émissaire, pour ceux dont la tête déplait. C'est une véritable plaie dans les grandes organisations et un moyen d'encourager la prolifération des courtisans, des intrigants et eutre parasites.
5. Le téléscope et le microscope
Un grand patron voit à la fin le futur de l'entreprise, au delà même de son parcours personnel (le télescope) et au cours d'un tiers de son temps, passé au contact des travailleurs, ceux qui font rentrer l'argent par leur travail, ils remarquent le moindre petit détail. (Le microscope). Une des rares préconisations qu'aient suivies mes clients est cette plongée dans le tissu profond de l'entreprise et le contact avec les gens de la base. Cela est tout bénéfice, pour eux ravis de constater qu'ils sont bien accueillis et pour les travailleurs qui se sentent honorés de la visite du "grand patron". C'est une occasion rêvée pour faire pénêtrer jusqu'au moindre capillaire, la vision du président. Je n'ai jamais récolté que des remerciements pour avoir forcé mes clients à prendre leur bâton de pélerin et se promener dans les différents sites de leur entreprise.
L'indice d'Eliott Jaque stipule que plus le span de vision et d'action est large, plus la rémunération doit être élevée. C'est pourquoi une dactylo est moins payée qu'un directeur général. Or bien souvent, ce sont les gens d'un niveau subalterne qui prennent la décision que les patrons se contentent d'entériner.