CHRONIQUE
La ronde des illusions
J'ai été tellement révulsé par mes déboires récents avec une grande compagnie, (Cf.Le billet Faut-il-le-dire?) que j'ai eu tendance à me focaliser sur la manière de mettre au grand jour ses agissements révoltants. Mais en prenant de la distance, je me suis souvenu qu'aucune des grandes compagnies que j'ai servi n'a été exempte d'indélicatesses, de petites malhonnêtetés, de mauvaise foi, et de mépris pour ceux qui ne sont pas sortis de leur sérail, et qui tout professeur qu'il est n'est considéré que comme un fournisseur. Un de ces malhonnêtes, -le plus avare et le plus moralisateur de tous (devinez qui?), après des décennies de bonne et loyale collaboration, me dit pour justifier sa traitrise, "je suis ce que je suis, les affaires sont les affaires, les temps sont durs, vous me oôutez trop cher, il faut serrer les vis. Si vous me faites un procès, vous le gagnerez ... dans dix ans, mais vous vous serez ruiné entre temps en frais d'avocats. "
En revanche ce qui est sain et profitable à tous est d'évoquer la ronde des illusions, le karma qui fait que je suis, comme bien d'entre vous qui n'osent ou n'ont pas les moyens de s'exprimer, destiné à être constamment grugé par des gens qui me doivent d'éminent services, des compagnies que je respecte (car il ne s'agit pas de particuliers ni de PME, qui ont toujours été irreprochables) et que je connais depuis des années.
On peut en tirer les enseignements suivants :
1. Les hommes changent: non seulement les dirigeants, mais aussi le même dirigeant a pu se remarier, avoir une nouvelles maîtresse qui change ses options et son regard (cf. Léon Festinger, votre ami est soumis à un dilemme entre avoir la paix avec un entourage changé, ou vous être fidèle) . Cas d'Alain G. passé d'une maîtresse idéaliste de gauche à une BCBG de droite, quand la gauche eüt perdu.
2. Une grande naïveté qui fait que par paresse vous ne prêtez par attention aux précautions assommantes qu'il faut prendre pour se couvrir contre des changements de cap, au lieu de consacrer ce temps à votre égo, votre créativité, ou tout simplement à votre job. Comme moi il vous semble plus commode de vous fier à votre interlocuteur et vous jouez l'honnêteté. Mais cela ne marche qu'un temps et dans certaines circonstances. Autrement, vous justifiez les voix qui retentissent dans l'île déserte d'Aldous Huxley : attention ! attention !, attention...
3. Une grande deshumanité gagne les grandes entreprises, où domine la soif du profit (toujours plus ! Voyez ce patron moralisateur qui ose me dire "le temps sont durs" à une période où il regorge d'argent au détriment des petits fournisseurs et du confort de ses employés) .
4 Il suffit qu'une haute et noble personnalité charismatique, meure ou quitte la compagnie, pour qu'autour de lui le formalisme et la deshumanisation s'installent aussitôt. André Bénard, ex-membre du Praesidium de la Shell, Georges Lillaz, vénéré de tous, ont été mes protecteurs. Ils avaient coutume de porter les lunettes relevées sur le front. Autour d'eux tous les courtisans en faisaient de même. .
Lorsqu'ils quittèrent la compagnie, les lunettes reprirent leur place normale!
5. Les effets de mode et la pression des mauvaises langues et des ennemis cachés jouent un rôle décisif. Derrière le glacis hypocrite des bonnes manières, tout un jeu caché de clans, de forces, d'ambitions inavouées, agit à votre insu. Et vous êtes trop paresseux pour l'étudier où c'et simplement hors de vos compétences.
Histoire d'un parcours professionnel,
où apparaît la composante karmique.
Jusqu'en 1980, ma carrière était exclusivement française ou internationale et représentée en France par de puissants personnages dotés d'une grande autonomie de décision : Jaruselsky pour Philips,puis Meyer, Bénard pour la Shell, etc Ce fut une période heureuse et de respect mutuel.
Un saut en avant vers les Etats Unis fut dû à ma reconcilitation avec IBM, qui d'une part s'inquiétait de ma croisade auprès de DEC, d'APPLE, de HP, d'autre part avait fini par comprendre que la microinformatique était une option qu'on ne pouvait laisser aux autres. Il fallait occuper la niche. En ce temps là mes ennemis chez IBM dont Jacques Maison Rouge et le Dr. IBM Allemagne, lié à celui des chemins de fer britanniques intriguèrent pour me faire expulser de ma chaire de l'IMT de Milan, ce qui condamna à la fermeture cet Institut International prestigieux, la France se déclarant solidaire avec moi et se retirant. On aurait tort de critiquer ces gens-là, car ils suivaient un courant dominant en Europe, illustré notamment en France par Alain Minc. (Rapport tendancieux Informatique et libertés) .
Plus tard IBM reconnut que mes vues n'étaient pas délirantes et m'engagea à l'aider à remplir la niche de la microinformatique. Je refusai une place au CMC son organe pensant pour ne pas me lier, mais je leur demandai de m'introduire dans l'une des Top Four, la plus snob des quatre grandes universités américaines (le autres étant Harvard, MIT et Stanford). Ce qu'il firent honnêtement.
Mais bien de mes supporters américains et français furent incapables de me soutenir : toute la direction de la Rand fut limogée d'un coup, en France par crainte de Mitterrand mes sponsors n'osèrent pas bouger de peur de se compromettre, où choisirent la voie de l'exil, mais surtout, sentant à juste titre que ma patrie était en danger et que là se trouvait mon devoir, je regagnai le CNAM. J'étais loin de prévoir que je trouverais chez le socialistes et A.G*** , Salzmann, et le Président Mitterrand lui-même des supporters sympathiques et attentionnés, le contraire de Valery G. et de Chirac !
Quelle leçon!
La période des fondations.
Mon protecteur et ami Alain G*** était un homme dur, machoire mussolinienne, tès pragmatique. J'étais heureux et fier de travailler avec un homme d'une telle envergure et d'avoir sa confiance. Nos relations de travail furent une source de plaisir intense tant notre entente était parfaite. Sa copine était une idéaliste adorable, une socialiste authentique qui était pour lui une source d'inspiration. Un jour il me dit qu'il voulait m'aider à réaliser mon rêve : une fondation culturelle. Ce fut la naissance des Mesnuls, ancienne propriété de Pierre Guerlain, le fondateur de la Maison. Les Mesnuls, je les adorais, à perte de vue un univers d'étangs, des mouettes, de chevreuils, des hérons, le ciel à perte de vue. Mais il se mit en tête de les racheter et Pierre C*** me dit; "" Monsieur le Professeur, nous voulons sauvegarder votre héritage et faire taire les critiques qui disent que vous dépensez trop. Ainsi si nous rachetons la maison, nous serons libres d'utiliser des robinets plaqués or, si nous voulons. Vous serez l'âme de cette maison et vous vous consacrerez à en perpétuer l'esprit sans être entraver par des vétilles irritantes". C'était la première fois qu'on m'appelait Monsieur le Professeur et cela flattait mon ego.
Puis la droite l'emporta et le vent tourna. La socialiste idéaliste fut, comme je l'ai dit dans un autre billet, remplacée par une pure bourgeoise, la liaison libre céda à un mariage en bonne et due forme. Alain G*** perdit tout respect pour moi dès que j'abandonnai la propriété des Mesnuls, je n'étais plus qu'un stipendié. Les japonais m'avaient généreusement fait don d'un temple avec cascade véritable, et de deux magnifiques futuma (des portes décorées double face de l'école d'Osaka") Qu'en faire? - On n'a pas besoin des cadeaux des japonais. Je vais changer le temple : il sera édifié sur du béton et non sur des pilotis de bois, la partie intime abritera des urinoirs, et cela me servira pour des séminaires. - Et les portes? - Quoi les portes? Jaites-en ce que vous voulez, les portes, des portes, ça se vend des portes! Du ton que l'on prend pour du matériel ou des camionnettes Renault en bon état.
Je me rebattit sur la propriété des Capucins, près de Montfort l'Amaury. Elle n'avait pas le charme des Mesnuls, mais était bien mieux adaptée à sa fonction. Edifiée sur la colline des moines de Montfort et fondée par Anne de Bretagne, la batisse était médiocre, et réquisitionnée à la Révolution, elle abrita la famille Naderman qui créa des harpes pour Marie Antoinette. Une de ces harpes est à vendre, et j'espère si tout va bien la récupérer. Les Capucins furent une extraordinaire succès avec leur trois hectares dominant la région, et 1500 m2 construits dont 600 pour la maison principale. Mes clients étaient ravis et les plus grandes personnalités mondiales des arts et de la science, de Sir Eccles à Pierre Boulez y furent accueillis. Je vivais grâce aux séminaires de Rhone-Poulenc, de l'Oréal, d'Auchan et de bien d'autres clients. la maison pauvre de structure et de construction fut (trop) luxueusement aménagée par la veuve du précédent propriétaire, qui ne résidait qu'au dernier étage par peur des fantômes, car il y avait des fantômes et les murs étaient humides et porteurs d'allergies. Je tenais table ouverte aux Capucins et je me souviens qu'une importante préfète se permit de critiquer la froideur du marbre de l'auditorium exigeant des tapis d'orient, et se plaignant que les invités aient du retard lui manquant de respect !
C'est alors que le patron avare et philantrope (dont j'ai déjà parlé) appelons-le ici de surnom pittoresque de Raminagrobis ,rompit au mépris des engagements juridiques et de la loi, ses relations avec les Capucins, dans l'espoir de les obtenir pour une bouchée de pain et y loger un de ses fils, un incapable révolté et intelligent dont il ne sait (et ne sait toujours) quoi faire. J'étais ruiné.
Fort heureusement la grande compagnie Orenbard alors dirigée par un tutélaire génie dont j'étais le conseil depuis des décennies, vint à mon secours. Son patron tança Raminagrobis en le traitant de "marchand de sandalettes" et m'incita à rompre tout contact avec sa compagnie. En contrepartie, très généreusement il doubla sa présence aux Capucins et doubla mes appointements. Les Capucins étaient sauvés !
Bien plus tard, la roue tourna, un patron habile et vicieux succéda au génie tutélaire patron de l'entreprise mondialement connue de para médical et cosmétiques, "Orenbard" "et voici que pris d' une passion soudaine, il m'incita à lui céder les Capucins. Son adjoint me tint le discours suivant : "Monsieur le Professeur, vous êtes l'âme de ce centre admirable. Il vous faut par conséquent impérativemen assurer sa pérennité. Afin de vous décharger de toute préoccupation matérielle cédez-nous les lieux et leur contenu. Votre enseignement ainsi purifié des soucis quotidiens, en prendra de la force et vous jouerez le rôle de l'âme des lieux. On vous garantit bien entendu un logement de fonction à vie pour vous et votre soeur qui organise avec talent les manifestations et qui a décoré avec un goùt admirable l'aménagement du centre. Je tergiversai car je n'avais pas l'intention de revivre le piège des Mesnuls. Mais d'une part, alors que je n'éprouvais que de la fascination pour Alain G*** , des liens profonds me liaient à la compagnie Orenbard qui avait déjà prouvé sa générosité.
Et voici que soudain, O*** se trouva pressé de conclure la transaction et exerça de fortes pressions frisant le chantage auprès de moi, me laissant un jour de réflexion. L'avocat de la compagnie qui était un ami fut l'artisan de ce qu'on peut appeler une sorte de chantage : ou vous acceptez ou on vous laisse tomber. J'acceptai.
Le Centre des Capucins devint irrespirable, et tout en étant pendant quelques temps le siège des réflexions de la DG d'Orenbard et de son président, abandonna l'ambiance de fête, les manifestations culturelles et revint sur ma présence sur les lieux. Je dus les quitter. J'appris plus tard qu'on avait payé les Capucins moins cher qu'un médiocre bâtiment qui en était l'annexe jadis et possédé par un intraitable arménien. Ceci est parfaitement légal et je n'ai pas à m'en mêler.
Je ne suis pas habilité pour des raisons de déontologie (faut pas le dire !) à révéler la suite. Disons qu'heureusement un sauveur vint à mon secours et me permit de réaliser une nouvelle fondation.
C'est ainsi que nous arrivons à la dernière péripétie.
La période russe
Je me liai d'amitié avec des oligarques russes. Le premier, Popov était incontrôlable car il était impossible de lui faire tenir un rendez-vous. L'autre, le plus puissant, Romanov, se révéla le plus attentionné des amis, "I want you" disait-il, convaincu qu'avec l'argent on peut tout se payer, alors que le premier était un idéaliste humain et chaleureux... mais invisible.
En dépit de nos divergences, on se vit de plus en plus souvent, Romanov e moi, et il se lia d'une profonde amitié pour moi, puis me proposa un partenariat et de créer avec moi une fondation. à Bruxelles, près de la maison qu'il occupe.
Tout était en place, j'avais pris mes dispositions, la fondation devait ouvrir en automne, quand j'apprends à la stupeur générale de tout le milieu Bruxellois que le projet risque de capoter pour des raisons incompréhensibles. Impossible de le joindre, mais je sais que son affection reste vivace pour moi et il se soucie de moi comme d'un être cher. Que s'est-il passé cette semaine qui ait ainsi infléchi sa décision, catastrophique pour moi ?
Convaincu de son attachement - réciproque j'en suis sûr - j'ai perdu de vue qu'aucune garantie, aucun contrat, aucune lettre d'intention n'existait entre nous ! Il eût pu passer pour un pur produit de mon imagination. D'ailleurs, demander de telles garanties me semblait indélicat car c'eût été mettre en doute ma foi en sa parole, proverbiale et reconnue de tous.
On le voit, la composante karmique se résoud à la mauvaise solution d'un dilemme : où on calcule et vous perdez tout le crédit qu'on accorde à l'homme désinteressé, ou on ne calcule pas e vous vous attirez une condescendance à peine perceptible car vous vous dévalorisez !
La solution, je l'ai toujours appliquée avec mes clients "payants" et je la conseillai ces jours-ci à un de mes jeunes disciples : toujours vous faire payer, mais en laissant par avance le soin à votre client de fixer la rémunération et en s'engageant à l'avance de l'accepter, fût-elle de un euro !