CHRONIQUE
Le karma existe-t-il?
C'est certainement un concept flou, composé de notions tout aussi imprécise comme " histoire qui bégaie" destin, ce soir à Samarcande, impossibilité d'échapper à un cycle immuable, comportement répétitif, évènement cycliques fatals etc...
Dans le droit fil du journal d'hier "faut-il le dire", je suis sans cesse confronté dans les affaires comme dans la vie courante à des phénomènes karmiques. Une exception : le milieu des affaires. L'argent domine tellement tout, que la seule dimension karmique se réduit à un style opératoire : impulsivité, préméditation, ruse ou agression.
J'ai été frappé de plein fouet dans ma carrière personnelle comme professionnelle par ces fatalités, et j'ai fini par comprendre que j'ai abordé la vie du mové côté. J'ai attendu mon âge et mon expérience pour comprendre, ce que tout un chacun répète, et pour découvrir des truismes. En cela peut-être suis-je proche de mon prétendu ancêtre Moché Luzzatto, le plus illustre cabaliste qui bien souvent, traversé par l'ouragan de la prophétie, en oubliait les réalités courantes. Ma mère, en revanche, issue de Florence (la famille des Donati descent d'une Donati, la femme de Dante Alighieri) était comme tous ses ancêtres - et moi-même hélas - dotée d'une incorrigible naïveté et d'un coupable désintéressement. Mon grand-père, médecin-colonel, la coqueluche de ces dames ne faisait pas payer ses patients, riches ou pauvres. Et comment faire bouillir la marmite? Ma pauvre grand-mère, Anna, en était réduite à demander aux riches, qu'ils aient la décence de payer leur consultation ! Tâche ingrate s'il en fût.
Truismes oubliés
Ils ne le supportent pas - les truismes - et se vengent quand on veut passer outre. En voici quelques uns:
On trouve plus de générosité chez les petits et les pauvres que chez les milliardaires.
Ne pas faire payer est malsain : vous vous dévalorisez, et ce qui devrait être pris pour du désintéressement ou - de l'amour - est entaché, non pas de suspicion, mais d'un certain dédain inconscient. Ainsi j'ai des clients qui me paient -souvent très généreusement- dont certains depuis 35 ans. Nos relations ont toujours été empreintes de part et d'autre d'une grand respect, de beaucoup de considération. Amour point, certes, en aucun cas je ne mettrais en péril pour eux mon existence, mais corrections, fidélité et travail irréprochable.
En revanche, depuis quelques années j'ai pris la détestable habitude de servir avec toute mon âme, des milliardaires, en ne leur demandant jamais le moindre centime. Je pensais ainsi - et j'avais raison - leur donner la seule chose qui pouvait leur manquer : un attachement désintéresse, une affection profonde, la possibilité d'engager mon âme de braver pour eux tous les dangers. En effet, en dehors de leur famille proche, rarement au fait des affaires, je suis parmi les très rares pour qui ils comptent en tant qu'être et non de vaches à lait. Et cependant, j'ai constaté que tous, d'une manière tout à fait inconsciente, en usent avec moi d'une désinvolture extrême et trouvent tout naturel que je les serve sans réciprocité.
Il va sans dire que les pros qui me voient agir ainsi me prennent pour un fou. De plus je gâche et je dévalorise leur travail. Mon seul bien, est le respect, la confiance totale, la proximité, et j'avoue que le contact avec des gens qui dominent la planète, me semblait suffisamment exaltant, pour que leur simple présence soit une récompense - pour ne pas parler de leur apport à mes compétences professionnelles. Et cela a joué parfaitement.
Alors où est le karma dans tout cela? J'y réponds à l'instant.
Je suis destiné à être volé. Par exemple le musée du Stylo a fait l'objet de deux holds-up dont un sanglant. Ils ont été suivis par une hémorragie due aux gardiens. Chez moi, une employée de maison N*** est partie en vidant toutes les nappes, les tasses à thé, un vase de Delft et un brocard du peintre Imaï . Son argumentation : vous ne m'avez pas prise sur le fait! Pas de preuves!
Le pire c'est d'avoir été grugé par bien de mes clients qui profitant de nos relations de confiance, m'ont privé successivement par des traîtrises obliques qui vont du vol pur et simple ("Vous avez raison, nous avons un contrat qui ne peut être rompu avant dix ans, hé bien vous me ferez un procès, vous le gagnerez ... dans dix ans, vous vous ruinerez en frais d'avocat, et vous êtes cuit de toute façon. La reconnaissance? La fidélité? Les affaires sont les affaires et les temps sont durs. Ce personnage doté d'un extraordinaire charisme se pose en philanthrope et d'enrichit en donnant des leçons de morale) aux mauvaises manières.
En dépit de toutes ces mésaventures, dont la dernière a failli emporter ma foi, je persiste et je signe. Il faut continuer à faire le bien, ne pas renier ceux que VOUS avez aimé et que vous aimez toujours, écouter votre coeur, et... ne faites pas cela pour eux, ils ne le méritent pas - mais pour vous, pour protéger ce qu'il faut bien appeler une âme. Et vous serez animés par une extraordinaire joie de vivre, en dépit de tout et de l'énergie indispensable pour affronter les temps troublés qui nous attendent.
Mais faut-il aller plus loin, nommer ces cas concrets. Faut-il le dire?