Le troisième homme, L'immobilisme en marche?
On m'a reproché de ne pas avoir donné mon avis sur François Bayrou. C'est que ses caractéristiques sont moins marquées que celles du "père Sarko" et de "la mère Ségo". 'Et puis, il est difficile d'ajouter quoi que ce soit après les commentaires des experts en politique et des gens comme vous et moi, que j'ai pu interroger. Les opinions se patagent en deux catégories bien tranchées. Les uns parlent de paralysie, de démagogie, de stratégie fourre-tout etc. Leur argument principal repose sur la croyance que l'on ne peut rassembler en un même gouvernement des hommes non seulement de convictions antagonistes, mais pis encore, d'une conception opposée sur la manière de les exprimer.
Les autres, se fondent sur la conviction que les Français en ont assez de l'affrontement gauche droite, plus fantasmatique que réel, Chirac ayant fait une politique point radicalement différente qu'un Mitterrand, si l'on en juge par les résultats. S'ajoute la peur du changement, de gauche ou de droite, et la tentation du balancier. Après tout les Français n'étaient pas si mécontents de la cohabitation forcée Chirac-Jospin.
A cela il faut ajouter des échos très favorables à Bayrou. Partout où il a parlé, il a fait un tabac, que ce soit chez les "petites gens" de Force de la Terre ou l'élite prétentieuse de Médusa. Il a parlé devant des jeunes des écoles de commerce, pourtant théoriquement proches de Sarkozy, et a emporté leur conviction. On a trouvé son discours pondéré, pragmatique, proche du terrain d'où il sort (le Bearn, symbole de la France profonde). Il apparaît comme indemne des intrigues et des appareils partisans, un homme nouveau. Enfin, c'est un homme de culture et de taille (physique) présidentielle, d'apparence rassurante, paternelle et quasi paysanne, un bon représentant de la France profonde, comme du milieu des instituteurs. Il incarne donc un espoir pour bon nombre de Français.
Ce dont tous sont convaincus, moi compris, c'est que s'il parvient au deuxième tour, il sera président.
L'issue du premier tour sera donc très instructive sur l'état d'esprit et les tendances profondes des Français.
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Le centre: moyeu, conciliation, équilibre ou paralysie?
Si nous analysons la position de Bayrou, nous constatons qu'il part du postulat que l'on peut espérer que du rassemblement des différents partis politiques, il naîtra un compromis heureux et pacifique, qui tiendra compte des exigences des uns et des autres.
Après tout, la notion de compromis est inhérente à celle même de politique et de contrat social. Elle est typiquement occidentale en tant que dissociant l'Eglise et le pouvoir spirituel, transcendant aux Etats, d'une part, et l'Etat, chargé des affaires temporelles, et par cela même laïque, d'autre part. Bayrou par sa proclamation presque obsessionnelle du dogme de la laïcité, ne fait que confirmer qu'il s'agit bien d'un occidental, adhérant aux valeurs fondatrices de l'Occident, et reposant sur la notion pragmatique de résolution juridique des conflits.
Ceci ne peut fonctionner, bien évidemment, qu'à condition que tous les membres de la communauté jouent le jeu. Ce qui est de la part de Bayrou un postulat partagé par bien des Français. En revanche, lorsque le système occidental fondé sur le politique heurte de plein fouet le système temporel fondé sur le religieux on en arrive à une situation insupportable. Le religieux se situe au dessus et à côté du politique et vise à le régenter. Tout compromis est donc exclus. Réciproquement, le politique ne reconnaît pas la légitimité du religieux et tente de le convertir à son tour à ce qu'il nomme la démocratie.
On en arrive à la conclusion paradoxale, que les deux systèmes, occidental et non-occidental (ce Que Struton appelle The West and the Rest) se comportent comme des systèmes religieux opposés et aussi dogmatiques l'un que l'autre.
Il peut paraître paradoxal de parler de religion s'agissant de laïcité, mais on en viendra à cette conclusion si l'on se reporte à l'opposition Empire-Féodalités d'Umesao Tadao (cf. Virus, Huit leçons sur la désinformation).
Réflechissons : le paradigme impérial se distingue par la croyance en un principe transcendant le temps et l'espace, incarné par un Livre, ou un Parti, et non falsifiable au sens de Popper. Il est non seulement au dessus des faits, mais aussi à côté du politique et de l'Etat, qu'il oriente et plie à ses dogmes. Ce que nous nommons le religieux est donc de la même essence que les dictatures et les idéologies, qu'elles soient nazies, communistes ou gauchistes. On ne discute pas avec leurs membres car ils sont par définition en dehors de toute discussion. Ils ont la vérité. C'est précisément ce qui fait la fragilité et le danger de l'empire. A force de nier la réalité qui contredit la doctrine, et de la cacher en désinformant la population, il arrive un moment où la réalité se venge. Généralement sur les descendants.
La doctrine occidentale fondée sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, pose en dogme la laïcité des affaires temporelles, laissant le religieux ou l'idéologique à la sphère individuelle. Malheureusement ce dogme obéit aux lois du paradigme impérial, il s'érige en principe éternel et universel. Lorsqu'il traite avec l'idéologique et le religieux, il n'accepte pas que ses membres ne se convertissent pas à son acte de foi. Si en dépit de ses efforts, l'idéologique et le religieux résistent et échappent à son contrôle, il ne lui reste guère que la guerre (pour imposer les valeurs occidentales démocratiques) ou le mensonge et la désinformation.
Nous avons encore en mémoire le triste exemple de Wilson, voulant croire à la conversion de Hitler à la "raison", préfigurant celui de Roosevelt confiant dans les aspirations démocratiques de Staline à la grand rage de Churchill. Lorsque l'impossibilité de convertir les idéologues et les fanatiques religieux, au jeu démocratique ne peut plus être niée, on n'a plus que la ressource de l'excommunication : guerre froide, embargo, ou simplement menaces verbales. Le plus souvent, dans la lutte entre le pot de terre et le pot de fer, on trouve plus commode de nier l'évidence, en affirmant qu'il s'agit d'un état transitoire et qu'à force de céder à l'adversaire idéologique celui-ci finira par se rendre à la raison, celle de l'Occident, bien entendu.
On peut se demander comment les élites réputées intelligentes et informées votent bien souvent pour leurs aversaires et défendent bien mollement leurs alliés. C'est pourtant simple, bien qu'un peu répugnant. Le calcul est le suivant : se c'est notre allié qui passe, tant mieux, si c'est notre adversaire, nous
aurons pris des gages et préservé nos intérêts.
On peut se demander ce que ces considérations viennent faire dans l'appréciation de la position de François Bayrou. Et pourtant elles sont au coeur de son pari. Il faut en effet tenir compte de l'exception française. Nulle part en Occident, comme dans le pays qui a fait la Révolution, et nourri la commune, on ne trouve des partis aussi imprégnés d'idéologie. Cela ne signifie par qu'ils sont forcément marxistes, mais qu'ils sont dominés par Swastika (Le Pen), Medusa (La gauche extrême, et Ségolène Royal), Matrix et Force de la Terre (Sarkozy), tous porteurs de postulats. Les populations le ressentent et flairent le danger. Elles savent que des idéologies contradictoires sont porteuses de fractures graves et d'affrontements violents. C'est pourquoi, elles se bercent du rêve d'une coexistence pacifique entre les représentants de ces idéologies. Elles veulent croire au ralliement de tous à l'intérêt supérieur de la Paix, de la Justice Sociale, de la raison, de l'amour de la France, que d'ailleurs tous proclament à l'envi. Ceux qui, notamment aux Etats Unis, ont cédé à Hitler, obéissaient aux mêmes mobiles, vertueux au début, honteusement lâches à la fin.
La question de l'immigration d'origine africaine vient aggraver le processus. Qui peut nier que les positions qu'elle suscite sont en grande partie émotionnelles et radicales? Les unes se fondent sur l'intérêt de la France, prioritaire à un moment où la dette menace de la faire sombrer. Les autres invoquent l'argument moral de l'aide unilatérale aux pays qu'on n'ose plus qualifier en voie de développement. Etant émotionnelles, ce sont les plus puissantes qui l'emporteront, tant l'émotion et la passion sont une forme de violence. Et les plus violents, les plus déterminés, sont les gauchistes et les islamistes, forts d'une idéologie qui les dispense de toute critique, de tout doute, qui les arment pour le combat, avec le soutien des média et du milieu intellectuel : Medusa et Diamant Vertueux, dont la voix est portée par les cinq organes qui par leur violence ou leur engagement, constituent l'exception médiatique française.
Dans le cadre d'une cohabitation souhaitée, (et non imposée comme sous la présidence Chirac), cet affrontement se fera au profit des plus engagés, des plus forts, des plus doctrinaires. Au mieux ils frèneront, au pire ils imposeront, dans tous les cas, ils s'insinueront dans tous les postes-clé. M.Bayrou appartient à deux milieux : rural, il participe de force de la terre regressif, celui qui fait la force de le Pen. Il inspire ainsi confiance à tous les intellectuels parisiens, qui le considèrent comme un homme de terrain et de terroir, à l'écoute de ces Français de province, sages et industrieux. Enseignant, il maîtrise le verbe et la culture, respecté par les mêmes intellectuels, soutenu par le milieu étudiant, les professeurs, et les syndicats.
On comprend sa prise de position violente contre Nicolas Sarkozy, hostile à une coalition dont il sait qu'elle est génératrice d'immobilisme au mieux de domination idéologique au pire. Le président de l'UMP soutenu par ceux qui pensent qu'il vaut mieux se trouver dans une situation claire de pouvoir-contre pouvoirs avec Segolène Royal. Ils préfèrent être plongés dans l'eau bouillante qui peut provoquer un susaut salvateur, que dans l'eau graduellement chauffée où la mort nous surprend dans notre engourdissement.
Deux questions se posent à l'issue de cette analyse : 1. Bayrou est-il une chance pour une France, ou au contraire un prolongement de la stratégie molle de Chirac, en pire? 2. Que penseront les Français avant le deuxième tour?
1. Les deux scénarios reposent sur la réussite ou l'échec de l'analyse centriste : réussite si l'esprit patriotique et la raison l'emportent chez les adversaires de la raison et de la défense de l'identité française, ce miracle qui n'a pu se produire dans le passé, pourrait-il survenir par le mûrissement des Français et l'abnégation des leaders politiques (en admettant que Segolène Royal, Nicolas Sarkozy et, pourquoi pas Le Pen, soient invités à unir leur forces et à travailler dans le même sens... et qu'ils acceptent).
Autrement, échec et véto des uns et des autres, pour toutes décisions entraînant un changement radical.
2. Ce que penseront les Français dépendra de facteurs tout à fait étrangers à la réalité. Le rôle des média, la réussite de la diabolisation Sarkozy, l'onction et la prestance de Bayrou, la petite taille de Sarkozy et ses racines peu franco-françaises (que dénoncent paradoxalement des partisans de l'égalité entre français de souche et d'origine étrangère), les postures des trois protagonistes, les reports de voix de Le Pen, et ... le travail des tailleurs et les coiffeurs des candidats, sont des déterminants du sort de notre pays. On peut en rire ou s'en désoler.