Des bruits et des couleurs...
on ne discute pas, c'est bien connu.
Je suis allé, dimanche, à la séance de midi, voir La môme. Je ne suis pas qualifié pour donner mon avis sur ce film, n'étant ni cinéphile, ni particulièrement attiré par la chanson de variétés. Il est évident que j'apprécie Edith Piaf, comme Charles Trenet ou Georges Brassens. Il faudrait être sourd ou sans âme pour être insensible aux chansons de ces artistes. Mais ce n'est pas de cela que je veux vous entretenir mais précisément de la surdité et de l'âme.
Je suis un peu sourd. l'âge, plus d'un demi-siècle de pratique constante du piano, une prédisposition héréditaire, expliquent cela. On me reproche d'ailleurs, de trop "monter le son de la télé". Mais totalement sourd, j'ai failli le devenir en sortant de ce film, une deli-heure avant la fin. Mes amis se sentaient mal : qui des bourdonnements, qui des vertiges, ou encore de l'oppression, mais n'osaient pas le dire. La salle du Gaumont Elysées était prestigieuse, mais aucun bruit de bagarre, aucune clameur, aucun hurlement ne nous a été épargné. L'apothéose fut le choc de la voiture qui transportait Edith Piaf et qui l'expédia à l'hopital. L'explosion sonore qui accompagnait les images fugurantes de l'accident, fut sans doute encore plus vraie que nature. De quoi faire grimper les taux d'insuline et accroître la fidélisation de l'assistance.
Il est admis qu'aux approches de 90 décibels, une hécatombe de connexions neuronales se produit, et que les femmes enceintes risquent de mettre au monde des enfants qui seront mal entendant à l'âge de quarante ans. J'ai demandé à un charmant jeune homme inquiet de nous voir quitter la séance, et qui devait manager les relations publiques, la raison de ce vacarme. Il nous répondit avec prudence, étant lié par le devoir de réserve, que les distributeurs l'imposaient et que si, comme le demandaient les spectateurs, on baissait le niveau sonore, les dialogues devenaient inaudibles. Depuis deux ans environ, la tendance est à pousser le son, car les jeunes deviennent sourds, agressés continuellement par la musique téléchargée qui se déverse dans leurs tympans. Pourtant, objecté-je, on n'est pas assourdis lorsqu'on va à l'Opera, où il y a une centaine d'instruments et autant de choristes. - C'est un autre niveau d'acoustique, d'oeuvre, de public - soupira-t-il. Puis il se tut. Le devoir de réserve...
Coetzee, Littell et le problème du mal
J'ai relevé les similitudes qui rapprochent ces deux auteurs de culture dissemblable, mais peut-être d'un égal talent. Le chapitre sur le Problème du Mal, analysé dans un blog et un article, est en effet tout à fait analogue dans sa structure feuilletée de mise en abyme (le récit, dans le récit qui est dans le récit), et dans son propos sur la nature de l'obscénité du mal absolu. (Coetzee, Elisabeth Costello, Eight Lessons, Littel, Les Bienveillantes).
La triple mise en abyme
Costello : le texte obscène est écrit par Paul West, cité par Elisabeth Costello, inventée par Coetzee. En utilisant notre terminologie (cf. Virus), l'enveloppe, ou information de surface, c'est la description horrible dans son objectivité, des tortures du bourreau. Description imaginaire car l'écrivain en pouvait être présent.
Littel : le récit obscène est conté par le héros nazi, mais démenti par l'ironie de l'auteur.
Le cas Angoulème Le texte haineux et ordurier, obscène, est signé par un groupe islamiste radical. (l'enveloppe). Au niveau intermédiaire, il est nié par le décodage, qui l'identifie comme étant une provocation d'extrême droite. Au niveau nucléaire, le plus profond, il apparaît comme contenant des postulats en partie vérifiés par les faits et revendiqués par les groupes islamistes.
Les contestations de l'information de surface
Costello : Elisabeth conteste le droit de publier un texte qui n'est pas authentique et qui viole l'intimité des victimes
Littel : Lanzman s'insurge contre la publication d'un texte dont un bourreau nazi est le héros, texte qui viole l'intimité des victimes et porte atteinte à leur mémoire. Il remarque une contradiction entre la loghorrée du héros, et le langage qu'utiliserait un nazi authentique.
Le cas Angoulème Mon internaute se méprend sur le sens du tract et sa contestation, et la hiérarchie de l'hyper met sous le boisseau son existence. Moi-même je relève une contradiction entre le langage du tract, et celui des manifestes des islamistes les plus fanatiques. Je conteste l'authenticité du document.
L'information derrière l'information derrière l'information
La formule rappelle celle des artistes conceptuels : l'art comme art comme art.
La structure feuilletée concentrique : enveloppe, couches intermédiaires, noyau, correspond à un triple décodage de l'information : l'information (nucléaire) qui est derrière l'information (intermédiaire) et elle-même derrière l'information (de surface). Je me bornerai à illustrer cette structure à parti de Les Bienveillantes.
La structure de surface donne raison aux expériences Milgram : plus de 70% des individus couverts par l'autorité, sont capables des pires tortures, avec au bout, la satisfaction du travail bien fait. Le héros nazi, dès le premier chapitre insiste : "je suis comme vous, allons, puisque je vous dis que je suis comme vous!" Le propos est renforcé par l'attitude des français et des polonais ou des russes.
La structure intermédiaire, effectue un renversement : ce qui est un compliment dans la bouche du narrateur devient une marque d'infamie. Mais alors se révèle une constatation qui dément ses propos introductifs. Les italiens et les danois sont des salauds dans la structure de surface, donc des civilisés au niveau intermédiaire.
La structure nucléaire dévoile une assertion politiquement incorrecte. Si le phénomène Milgram vaut pour les Français, les Allemands et les Russes, il est invalidé par l'attitude humaines de Italiens et des Danois. C'est certes rassurant car cela signifie que tous les peuples ne sont pas barbares, et qu'il est des peuple plus humains. Mais c'est politiquement incorrect pour des raisons qu'on imagine!
Autre exemple de basculement : le jugement sur les russes et les musulmans.
La structure de surface, présente les nazis, les communistes et les musulmans comme ayant une même vision du monde. Ils sont soumis à leur chef (ou leur dieu) et à leur tour soumettent les infidèles, les excommuniés, les dhimis. Même opposition entre maîtres et esclaves, même culte de la force et de la domination idéologique. Pour le héros, nazis, communistes russes et musulmans islamistes, sont des hommes, des vrais, forts, et sans compromission ni pitié pour l'adversaire qui doit être exterminé, ou réduit en esclavage.
LA structure intermédiaire, renverse le propos, et laisse apparaître le paradigme de l'empire, commun à Swastika, Diamant Vertueux (le communisme) et Djihad.
La structure nucléaire est politiquement incorrecte. Elle rappelle le fossé irréductible qui existe entre le monde des barbares (les autres) et le monde civilisé (l'occident). Ce thème est birllament traité par l'ouvrage de Roger Scruton : The West ande the Rest. (L'occident et le reste du monde). ISI Books, 2002.
Le nœud de l'intrigue
Bien des lecteurs se sont demandés quel est le rapport entre le titre et le sujet du livre, qui traite de l'horreur nazie.
Au niveau de la structure de surface, il n'y en a tout simplement aucun.
La structure intermédiaire, laisse apparaître une énigme policière. Pendant que le héros dormait dans la maison familiale, une horrible et sanglante tragédie avait lieu. Au petit matin, le héros découvre assassiné sa mère et son beau père. Il essaie de découvrir l'assassin, mais un concours de circonstances le désigne comme le principal suspect. Deux policiers haineux convaincus de sa culpabilité, le harcèlent, mettant in point d'honneur à le faire condamner. Il finit par les tuer pour sauver sa peau. On ne sait donc pas le mot de l'énigme.
La structure nucléaire dévoile le secret. La dernière phrase explique tout : les bienveillantes avaient retrouvé ma trace. Or les bienveillantes est une expression qui par antiphrase désigne les Errynies, les furies chargées de venger les parricides. Le lecteur qui ne connaît pas sa mythologie grecque, et qui n'établit pas le lien entre le titre et le héros assimilé à Oreste, en moins respectable, ne peut donc connaître le sens profond, celui qui figure sur la couverture du livre. Le ressort profond qui anime le héros, et peut-être les jeunes nazis, est la haine du père et de la mère, c'est à dire de la civilisation judéo-chrétienne et gréco-romaine qui a enfanté l'Occident. Si l'auteur de ce livre particulièrement complexe lisait d'aventure ce blog, je serais heureux d'avoir son sentiment sur cette interprétation.