IL FAUT S'ADAPTER, les temps changent.
Pendant la seconde guerre mondiale je me trouvais à Tunis. Cette ville vivait encore "avant-guerre" époque bénie et légendaire. En réalité on y vivait dans le milieu du XIXe.
Je vous conseille de voir ou de revoir le DVD que je vous ai conseillé : Eugène Onéguine en playback. On y admire une magnifique propriété digne des plus beaux hotels particuliers du XIXe parisien ; des parquets somptueux, évoquant ceux de Sans Souci, une harmonie admirable des volumes et des objets, une maîtresse de maison qui détient le pouvoir et l'exerce, une ribambelle de personnel, de la nounou aux paysans. Tous ces gens sont heureux et attachés à leur patronne. Ceux que j'interroge, me disent qu'il s'agit de l'élite riche, de la haute bourgeoisie. Or ils se trompent, ce palais somptueux est la propriété d'une toute petite bourgeoise retraitée. Comment est-ce - possible?
Le fait que nul n'ait été capable de répondre à la question, montre qu'une coupure irrémédiable a séparé au moment des lumières et de la Révolution Française, le monde du sens et celui de l'idéologie égalitaire et contradictoire :
Liberté, Egalité, Fraternité.
J'ai vécu une époque semblable pendant la guerre, sous l'occupation nazie. Je me trouvais dans un pays, un siècle en arrière tout à fait voisin de celui d'Eugène Onéguine, j'étais en efffet coupé de toute référence au monde moderne. Je vivais à Tunis, issu d'une famille moyennement aisée et lorsqu'on évoquait le monde d'avant la guerre, la nostalgie nous envahissait.
Nous habitions dans un appartement décoré en tous points comme celui de celui que vous voyez dans Eugène Onéguine. Tous nos meubles, nos vêtements, nos souliers, notre lingerie, étaient faits sur mesure, impeccablement coupés. Les cadres dorés, les miroirs, les meubles étaient réalisés par un certain Montefiore, un sicilien talentueux qui nous présentait un catalogue de formes Louis XV et qui effectuait les modifications que nous souhaitions. Ces meubles artisanaux étaient d'une qualité remarquable et personnalisés,cela va sans dire.
C'est qu'en ces temps-là, on vivait en autarcie, communautés non miscibles mais vivant en une excellente entente. En simplifiant quelque peu et en me fiant à ma mémoire, je tenterai d'énumérer ces communautés qui à côté des valeurs économiques tenaient compte de ce sentiment d'appartenance dont j'ai déjà déploré l'absence dans notre monde éclaté. Cest le sentiment identitaire et la solidité de clan, qui donnent sens à l'existence, à l'image des clans d'honneur des brigands siciliens du siècle derneir.
Il y avait le clan des livournais (celui des Donati, dont était issue ma mère, fille d'un médecin commandant militaire, originaire de la Spezia.
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Le clan des siciliens, était établi non loin de notre maison, dans un vaste lieu pouilleux, aux maison sans étage nommé précisément "la petite Sicile",
Le quartier arabe, avec ses souks labyrinthique, aux échoppes dignes des cavernes d'Ali Baba. Dans ces galeries couvertes pleine de mystère et d'exotisme, s'affairaient des artisans fabriquant des laitons, des cuivres, des habits arabes, finement réalisés. Le style arabe était aussi raffiné qu'harmonieux et bien des livournais adoptaient ses environnements exotiques comme à Dar Naouar, aux maisons blanches trouées de volets bleus, aux patios ornés de fontaines et de bancs en azulejos,
Le clan des Français, fonctionnaires venus de la métropole, était civilisé, ordonné, très propre, ses lycées excellentsétaient dotés de cabinets de curiosités, de géologie, d'histoire naturelle. Mais ces fonctionnaires affichaient une attitude arrogante et méprisante et toisaient de haut les autres clans. Ils se prenaient pour les maîtres du pays et restaient entre eux.
Les arabes étaient totalement différents, avec leurs femmes dissimulées sous une cagoule impénétrable, Des jeunes gens se tenant deux à deux par la main, et portant une branche de jasmin sous leur oreille déamblaient nonchalamment dans les allées de l'Avenue Jules Ferry aujourdhui rebaptisée Président Bourguiba.
Oh, ces fleurs merveilleuses et odoriférantes ! Il y avait les belles de jour, les belles de nuit qui s'ouvraient en alternance; les amarantes au velours dense, Les acacias, les les caroubiers, les lanthanas, sentaient si fort qu'ils diffusaient toute la journée leurs effluves. Et ces citrons doux-amers à la structure feuilletée qu'on feuilletait comme un lIvre. !
Le clan des juifs tunisiens, parlant arabe et français, je ne l'aimais pas! . Je trouvais ses membres ordinaires et laids avec leur peau grasse et huileuse, leur ventre bedonnant, leurs femmes trop grosses et sans charme. Mais ils étaient d'excellents commerçants, s'entendaient avec toutes les autres tribus et parlaient un patois mi-arabe mi-français. Toujours conviviaux, et accomodants, ils animaient la ville. Je crois que j'avais une allergie pour les synagogues, que je comparais aux cathédrales et aux messes catholiques et aux ballets du Théâtre Municipal construit par Charles Garnier lui même, l'architecte de l'Opéra de Paris. Les juifs tunisiens ne pouvaient certes rivaliser avec les splendeurs de la musique classique et cela jouait pour le fervent croyant que j'étais.
La vie mondaine et sociale était très active et tous se connaissaient et s'invitaient. Les Livournais s'entendaient très bien avec le Bey et sa noble tribu arabe. Ce dernier fit beaucoup pour les protéger et il s'en fallu de peu pour que les déportations commencent. Les Italiens faisaient de leur mieux pour protéger les français et les juifs des allemands, en réquisitionnant massivement leurs maisons.
A la libération les Français les remercièrent en les expulsant de Tunis. Ils riaient et disaient "allez-vous en sales macaronis! " , indifférents à la souffrance des familles déchirées, démembrées, en pleurs.
Les italiens furent reçus comme des nababs par leur pays d'origine et tous firent fortune. En revanche, les Français, quand ce fut leur tour d'être chassés de Tunisie, furent accueillis en France comme des indésirables.
La Bibliothèque.
Il y en avait trois. La première appartenait à mon père et il l'avait amassée pendant sa vie d'étudiant. Modeste, mais riche en chefs d'oeuvre. J'allais souvent chez ma grand-mère la consulter.
La seconde était la mienne et occupait deux petites étagères de ma chambre à coucher. .J'avais pillé dans celle de mon père les chefs d'oeuvre bien reliés de Molière, Shakespeare (traduit par Montaigu), de Jules Verne et la comtesse de Ségur née Rostropchine. Il y avait aussi "crocorose, le crocodile rose, Bibi Fricotin et les pieds nickelés, les contes d'Andersen et des contes de fées italiens ou d'Andersen et de Grimm.,
L'essentiel tenait dans le Grand Dictionnaire Pierre Larousse du XIXe complet avec ses 22 gigantesques in-folio imprimés en caractères minuscules couvrant huit colonnes, si je ne me trompe. Le Larousse renfermait d'une manière exhaustive, tout le savoir du XIXe entrecoupé d'anacdotes assez bêtes.
Mais le plus vivant était une collection de L'ILLUSTRATION. datant des années 1900 - 1920. J'appris ainsi que les plus grands peintres étaient Bouguereau et Jérôme, les plus grands musiciens Ambroise Thomas et Halévy, que l'atome était insécable, et qu'il y avait deux clans ennemis : les mozartiens conduits par Van Lenz et les beethovéniens par Oulibichev (?). Dans le sérais scientifique la polémique opposait les tenants de la notation unitaire : SO4 H2 et dualiste : SO3 H2 O. Un univrers de certitudes officielles inexpugnables. .
La troisième bibliothèque se trouvait au 2e étage de mon immeuble, le plus bel appartement de Tunis appartenant au nabab du pays Albert Bessis,.deux magnifiques et imposantes parois de rayonnages en acajou de Cuba, aux livres somptueusement reliès. Mais ils étaient écrits en un italien très savant et ardu d'abord. On y trouvait aussi de splendides albums toilés de La Voix de Son Maître :mes spnates de Beethoven par Arthur Schnabel , les dernires quatuors. Mais pas de gramophone pour les écouter, celui de mon père, acheté d'occasion avait rendu l'âme la semaine de son mariage !
La maladie et l'occupation, me tenaient cloîtré dans cette atmosphère un peu claustrophobique, qui devint mon véritable univers. Après la guerre, je vins au Lycée Carnot de Paris. Ce fut un basculement traumatisant. J'appris que l'atome était une galaxie en soi, que les Cezanne, les impressionnistes, les abstraits détrônaient les Meissonnier et l'école de Barbizon, et Brahms, Vincent d'Indy.
Le pire était la grossièreté des jeunes, mal élevés, obsédés par le sexe, ne s'intéressant qu'aux diplômes. Je les haïssais car ils me moquaient, m'humiliaient et me battaient. Je refisi de me scolariser. Néanmoins, je passai avec succès en frisant la mention bien, le bac, avec la complicité des examinateurs qui appréciaient ma culture désuète.
L'Equilibre économique.
Il était assuré par l'absence de bureaucratie, la liberté laissée aux artisans, par la convivialité et la profonde connivence qui unissait maîtres et serviteurs. Le sur-mesure convenait à tous et la durabilité des produits assurait un amortissement très long. Les transports étaient réduits au maximum à cause de l'attachement des citoyens à leur ville. Rien de comparable avec la frénésie actuelle. Les serviteurs respectaient les maîtres dont la vie était modeste .En vieillissant les femmes acceptaient des cheveux gris et ne dépensaient guère pour leur toilette. Les jeunes se vêtissaient sur mesure avec des habits colorés et personnalisés, très variés et de bonne qualité. Tout s'amortissait sur le long terme et rien ne se démodait. Moi-même je possède datant de quarante ans, des produits de Hermès, restés à l'état de neuf.
Dans l'environnement d'Eugène Onéguine , l'équilibre est encore plus facile à atteindre.La propriété est construite en pleine campagne à trois cent kilomètres de la capitale. Le terrain y est pratiquement gratuit, les constructions s'amortissent sur un siècle, et les costumes bien coupés sont rangés dans des coffres où ils traversent des générations.
Par ailleurs les serviteurs, touchent une rétribution additionnelle en plaisir, plaisir pris en commun du sommet au bas de l'échelle : danse, musique, bals, et surtout diivertissement de groupe (Cotillons, Mazurkas, Valses, et autres danses collectives parfaitemet synchronisées).
Vous n'avez jamais connu qu'une vie de chien , ici , en France. Il en est tout différemment en Hollande, en Belgique, en Italie du Sud et en Sicile, en Suède, dans les petites villes et les villages reculés, loin de grandes villes comme Francfort ou Berlin. Il subsiste de nombreux ilots de convivialité et le sentiment d'appartenance, atténue la préoccupation dominante de l'argent maître.
Que fait l'honorable professeur Lussato, de 5h à 8 heures? Le ménage. Je lave les assiettes et les verres, j' époussette, La seule chose qui me dépasse, c'est de plier pulls, chemises et pyjamas ! C'est bien la première fois que cela m'arrive et j'enrage de sacrifier mon blog à ces tâches subalternes mais qui recquièrent de ma part encore plus de concentration que les développement d'uns théorie. Comment en sommes -nous arrivés dans cette situation propre à la France? La dictature des prud'hommes, des juges, toujours prévenus contre le "patron" et indulgent envers les employés, même en dépit d'excès monstrueux. Cela convient d'ailleurs tout à fait aux employés qui ne demandent pas mieux que de ne pas travailler et qui connaissent mieux le code du travail et leurs droits, que leur métier et leur travail.