A la suite de Wozzeck
Un apprentissage dans le sillage de Wozzeck d'Alban Berg.
Emmanuel est un de mes apprentis. Ses grands yeux bleus limpides, sont tout le temps en quête d'aliments culturels, la curiosité jamais prise en défaut, touchant à la fois à la manière la plus rapide de s'enrichir, d'atteindre la perfection dans son métier : la création des logiciels les plus sophistiqués, et n'en sachant pas davantage au point de vue culturel que bien des snobs pommadés qui nous entourent et qui assistent aux premières et aux vernissages.
J'ai voulu avec lui pousser mon apprentissage de Wozzeck avec Darek C, qui ne connaissait assez bien que le répertoire classique et Wagnérien. Wozzeck, 'était du bruit. J'en ai parcouru en détail que quelques scènes courtes et impressionnantes, mais nous étions tous deux à la surface des choses, et ce n'est pas possible dans l'opéra de Berg, oeuvre de la plus haute technologie.
Or Emmanuel lui, ne sait rien, absolument rien sur la musique, même pas une symphonie romantique ni un opéra comme Othello. Rien, ce qui s'appelle rien. Et pourtant, attendre des années pour le faire accéder à un chef d'oeuvre de ce niveau, quel gâchis ! J'avais remarqué aussi que Darek était plus impressionné par Berg que par - disons Kurt Weil. Il était sensible à la mystérieuse aura qui se dégage du drame majeur du siècle passé.
Et moi donc? Comment analyser le texte à partir de notations illisibles de brieveté autant de pattes de mouches qui s'opposent au déchiffrage.
J'ai décidé de faire le retour vers le passé. J'ai dans ma collection de partitions, l'originale de Berg, qui a appartenu à Karl Böhm, mais allez la déclasser dans les coffres de la Nationale ! Je vais donc acheter la version à quatre mains. Les notes et les réseaux complexes comme du Richter, apparaissent avec une clarté aveuglante, bien mieux qu'à l'oreille et guident celle-ci.
Ce soir, j'ai d'abord fait entendre les huit premières minutes à Emmanuel Dyan, qui avait du mal à lire le texte français, dérangé par les perturbations de la musique qui en troublaient le sens. J'ai repassé plusieurs fois le texte jusqu'à complète assimilation et il a décodé les hurlements hystériques du Capitaine, de cette bonne conscience stupide et satisfaite. Alors, au piano, j'ai du lui expliquer la différence entre le système modal et toanl et le système dodécaphonique. On a analysé minutieusement des bribes de leitmotive et il a fini par en saisir le sens et la mélodie, grâce à une organisation formelle puissante due à la pratique et l'innovation en logiciels de pointe. En moins d'une heure les motifs chantaient dans sa tête, il comprenait le sens du triton si-fa , son origine sulfureuse, et de là il fut saisi par l'onde hurlante sur SI. Il venait de découvrir un univers tellement nouveau, que le système tonal ne parraissait plus aussi nécessaire.
En trois quarts d'heure il a retenu et assimilé quelques minutes de texture et il les a fusionnées au texte. Qu'eût pu-t-on faire en déroulant toutes la partition? Impossible de résister à la densité du flux informationnel.
J'espère un de ces jours de me mettre à la partition. S'il le faut on ne passera pas une scène de cinq minutes avant d'avoir repassé jusqu'à redondance complète ce qui précède, jusqu'à mémorisation et assimilation complète des composants formels. Au moins, cela me fera rejouer la partition trop longtemps délaissée.
Dyan me posa les questions : mais pourquoi cette complexité que nul ne pourra décoder? Je répondis : pourquoi le dernier théorème de Format excita pendans deux siècle l'imagination d'une poignée de mathématiciens? Et a qui était destiné réellement l'Art de la Fugue de J.S.Bach? D'où la nécessité des oeuvres destinées à la délectation et à la consommation, quelle que soit leur splendeur, et l'apparence de tours de force destinés à une force transcendante. Il s'agit alors de l'édification d'une cathédrale culturelle.