Chronique
A propos des Prospero Books de Peter Greenaway.
Je me suis déjà étendu sur le scénario et le film de Sir John Gielgud, (ici le titre nobiliaire est authentique ! ) sur la Tempête de Shakespeare.
Ce film publié si je ne me trompe voici plus de quinze ans et guère disponible sinon en vidéocassette aux normes overseas, m'a durablement impressionné. A vrai dire je n'ai rien compris à l'extraordinaire déferlement d'images baroques censé représenter la pièce ultime de Sakespeare, celle du grand pardon. Ce qui m'avait fasciné, était l'enchevêtrement des écritures anciennes, des images renaissantes, de l'enigme des séquences. Je viens de me le procurer et du même coup de son scénario détaillé. (A film of Shakespear's the Tempest by Peter Greenaway). Four Walls Eight Windows, P.O.Box, 548, Village Station, New York, NY 10014.
Cette nuit, ne^pouvant dormir j'ai relu une partie du scénario et les choses se sont un peu éclaircies. Vous vous souvenez que ce qui permit au malheureux naufragé et sa fille Miranda de survivre à la mort, fut un lot de vingt quatre livres richement reliés et mystérieux, des livres qui valaient plus que son royaume, que l'honnête Gonzalo déposa dans le frêle esquif de Prospero. Greenaway a pris ces livres comme point de départ et imagine qu'il servirent à Prospero échoué dans l'île déserte à se tirer d'affaire. Ils contiennent donc tous les vade mecum utiles à cette fin : instruments d'astrologie ou de médecine, outils pédagogiques pour cultiver la douce Miranda, traîtés d'architecture etc.
Mais lorsqu'on demeure des années dans la solitude, l'imagination s'épanouit, les textes s'incarnent comme réalité et finissent par s'y substituer.
Le scénario suit scrupuleusement La Tempête découpée en trois parties et lue par John Gielgud qui joue avec sa palette unique de timbre dramatique tous les personnages. Il avait alors plus de soixante dix ans de carrière derrière lui !.
La première partie raconte l'histoire des faits qui ont conduit Prospero dans l'Île où il doit maîtriser la sorcière Sycorax, et l'homme-bête Caliban, ou les Ariels qui symbolisent le pur esprit.On se rend compte alors que la limite entre les faits et le récit est floue, et que la plus grande partie des détails scéniques ne sont qu'imagination émanant du texte. C'est Gielgud qui lisant, se confond avec les acteurs, et Shakespeare lui même. On peut même prétendre que l'action et le décor, ne sont que projection du texte.
Ainsi projetée l'histoire, Prospero-Shakespeare-Greenaway, se met à ourdir des rêves de vengeance dans lesquels ses ennemis se trouvent par ses pouvoirs magiques jetés dans l'île, à sa merci. Et, bien entendu se transforment en cette étrange réalité qui semble vraie alors qu'elle nait du texte, comme le journal du Docteur Maduse, isolé en prison, provoquait les crimes que couchait le magicien sur le papier.
Mais dans une troisième partie, Ariel fait honte à Prospero de ses mesquins rêves de vengeance et l'incite à pardonner. Se produit alors un évènement magique : les différents personnages retrouvent leur voix et agissent d'eux mêmes.
Il faut voir le film (de qualité médiocre) un nombre incalculable de fois pour se familiariser avec les timbres si divers d'un homme de quatre-vingt dix ans passés et pour s'habituer à ces étranges livres magiques d'où sort toute l'intrigue. Mais l'aventure en vaut la peine.