Chronique
Voici la première visite chez un de ces grands hommes qui ont marqué le destin de la psychologie.
Le déjeuner à Urbana avec Sir. Charles Osgood
Urbana est une plaine morne et plate qui abrite l'Université d'Illinois réputée pour avoir produit " Mind of Robots" de Culbertson et abrité l'Institute for Psycholinguistics de Chales Ogood. Ce psychologue est connu pour avoir tenu une position médiane entre le réductionnisme de Hull et Skinner (le cerveau secrète la pensée, comme le foie secrète la bile) et une allusion prudente à l'existence d'un esprit qui serait autonome. Son innovation majeure a été la Théory of cognitive dissonance.
Osgood avait observé que dans les salles d'attente des médecins, certains patients ne consultaient que la publicité d'une seule marque de voitures alors que d'autres balayaient tout les champ des marques proposées. A ce moment-là la publicité était uniquement argumentaire , elle vous donnait les raisons pour lesquelles le choix de tel modèle était le meilleur.
Lorsqu'un homme venait d'acheter une voiture, il avait dû opter entre des critères de jugement (axes sémantiques) contradictoires et il se demandait toujours s'il avait pris la meilleure décision : la plus rapide ou la plus sûre? La plus élégante ou la plus efficace? La plupart du temps les axes générateurs de jugement étant orthogonaux, (indépendants) on ne pouvait opter avec certitude de la supériorité d'un choix d'où un sentiment de contradiction pénible entre le choix retenu et le choix rejeté. Cette dissonance sémantique était atténuée en ne lisant que la pub de la voiture qu'on venait d'acheter, qui ne présentait que des raisons confortant le choix adopté.
Mais plus tard les inconvénients devenaient plus apparents, on était soumis à d'autres options, la lassitude jouait et la tentation de voir ailleurs l'emportait. L'éventail des publicités regardées s'élargissait. D'où la différence entre les comportements des lecteurs.
En étudiant de plus près le mécanisme Osgood remarqua que les réseaux de croyances fortes, se comportaient comme des sortes d'organismes autonomes qui réagissaient par une kyrielle de stratégies visant à eliminer les informations incongruentes. Par exemple, on pouvait en discréditer la source, écouter sans entendre, reformuler ou noyer le poisson, diaboliser ceux qui les émettent, ou carrément "ne pas voir entendre, ni écouter" , véritable suppression de l'information incongruente.
Le caractère inconscient
des mécanismes de dissonance cognitive.
C'est ce qui différencie cette désinformation de la simple mauvaise foi. Chacun de ces réseaux d'information à forte croyance, et surtout à espace sémantique simplifié se comporte comme un être psychique autonome, poursuivant ses propres stratégies de coalition et de rejet, en fonction des congruences de ses éléments.
Quelques fois - et même assez souvent - le réseau à forte croyance utilise les raisonnements circulaires qui échappent aux règles épistémologiques. Elles sont non falsifiables, c'est à dire que quelque le test qui leur soit appliqué elles apparraissent toujours valables. Osgood me cite le cas de ce gourou qui prédit la fin du monde pour le soir même et rassembla en prières leur communités sur une butte élevée. L'évènement ne survint naturellement pas mais on attribua l'échec de la prédiction, aux prières dont l'efficacité accrut le prestige du charlatan!
Le débat avec Osgood
Ce qui me gênait dans l'ouvrage "A Theory of of sémantic mediation" c'est que l'auteur essayait de dissimuler à travers toutes sortes de précautions oratoire, le comportement de zones entières de notre psychisme l'évidence qu'elles agissaient d'une manière indépendante, et qu'elles nétaient dues qu'à un mécanisme formalisable et prévisible de réactions SR, Stimulus Réponse; attribuables à l'environnement extérieur. Depuis longtemps j'avais adhéré à la conviction contraire : que des zones entières de notre psychisme étaient autonomes et non réductibles aux mécanismes de la théorie behavioriste SR. Le cerveau ne secrétait pas la pensée, celle-ci était autonome. En fait un des premiers travaux publiés par ma chaire du CNAM, se nommait "éléments pour une théorie de l'information psychologique, un énorme pavé hyper formalisé, hérissé d'assertions et de syllogismes. J'y proclamais la fracture irreductible entre l'univers mental (l'esprit, les cognitions, les affects etc...) et l'univers biologique et physique qui lui servait de substrat. Mon postulat se fondait sur un principe épistémologique simple. Lorsque deux univers parallèles présentent des caractéristiques antagonistes et irreductibles, on a le droit de dire qu'ils sont en correspondance, mais pas identiques. Or le système mental fonctionne sans énergie, comme l'a démontré Niels Bohr, il génère la notion de présent, inexistante dans le monde physique, il produit un univers bigarré, qualitatif (les qualias) alors que le monde physique est composé de structures neutres et hautement formalisées dont les différences proviennent de la combinatoire de ces élements.
Le famulus du Pr. Osgood
Avant de voir le grand ponte, je fus reçu par un certain Jacobowitz, ou quelque chose d'approchant, terne, gras et un peu doctoral. Il était l'assistant qui surveillait les futurs phd et tenait auprès du Pr.Osgood, le rôle de Wagner, le famulus de Faust, se gonflant la tête et essayant d'imiter la manière magistrale du Maître. Mis en confiance et emporté par l'enthousiasme, je me laissai aller à lui parler de ma théorie de l'Information psychologique. Je m'enhardis aussi à lui dire que j'avais inventé deux néologismes : psychèmes - représentation, pour désigner les composants du système psychologique dont l'interséction avec le présent donnait naissance à un champ de représentation R et le mot ergie à la place du terme énergie s trop attaché à cet univers matériel étranger que je postulais irreductible à l'univers mental.
Il me regarda comme si j'étais un fou à lier, sans daigner émettre la moindre critique et en se demandant comment le patron pouvait inviter un olibrius pareille dans l'illustre campus d'Urbana.
Le Professeur Osgood me considéra pensivement. "Je vois que vous avez rencontré cet imbécile de J*** , que voulez-vous, il devient de plus en plus difficile de trouver des esprits intélligents. Ils ont la tête farcie par ce qu'on leur a forcé dans le crâne, et qu'ils perpétuent avec zèle et compétence professionnelle.
- Mais pourquoi n'avez-vous pas écrit clairement ce que contient votre livre, pourquoi toutes ces précautions oratoires pour remplacer spécificité sémantique par médiation sémantique ?
-Osgood m'amena à son bureau austère et banal. Voyez cette rangée de dossiers suspendus (il y en avait pour au moins trois mètres). Tous font état des papiers où sont les critiques et les commentaires de mes publications, ainsi que de mes papiers sur les travaux de mes collègues. Le jour où ce nombre baissera, l'existence de ma tenure (la chaire) sera remise en question, il n'y a pas d'inamovibilité comme chez vous. Et comment nourrir une famille?
- Mais vous êtes connus par vos livres, tous les étudiants les potassent.
- Les livres ça ne compte pas, ça déclasse un chercheur. Il faut être reconnus par les liens, et avant tout publier dans un journal comme Administrative Quarterly. Or pour cela il faut, quelque soit le sujet, remplir à bloc votre papier par des calculs formels sophistiqués, et utiliser uniquement un langage référendaire. Par exemple citer TOUS les auteurs qui ont écrit à telle date, que lorsqu'on vieillit, le temps passe plus vite. Et puis, il faut aussi donner des résultats concrets qui puissent attirer de l'argent et nourrir la chaire. C'est ce que fait J*** .
-Comment s'y prend-t-il?
- Il a instrumentalisé le différenciateur linguistique. Pour cela il a prélevé les cent mots les plus courants du Thésaurus de Rodgers, il les a mixés et répartis dans une échelle de sept valeurs (pour les étudiants). Flamand a utilisé des marins et ses échelles sont de cinq graduations. Les étudiants sont plus raffinés que les marins français.
- Et quels sont les axes sémantiques?
- C'est le Thésaurus qui les détermine, au hasard, par exemple : sucré/salé, agressif-doux, chaud-froid. En ce moment on suit la position des candidats de la campagne électorale. Nixon est en train de devenir plus sucré et nettement plus mou que Taft . Ces histogrammes sont relevés scrupuleusement tous les jours et servent à montrer les changements de tendance de l'opinion.
- Mais quel sens cela a-t-il?
- Il ne faut pas chercher le sens. Il faut calculer, appliquer des protocoles minutieusement vérifiés, et contrôler leur application.
-Mais c'est de la folie !
- Cela permet d'obtenir des fonds. Les gens, tout ce qu'ils demandent c'est des tendances et des évolutions conformes aux critères scientifiques de l'analyse factorielle. Et, jeune homme, si un jour il vous prendra l'envie d'enseigner dans un campus, n'oubliez pas l'orthodoxie et les sophistication factorielles de l'Administrative Quarterly.
Nous nous quittames tristement. Plus tard, lorsque je devins adjunct professor à Wharton, le système était encore en place. Il l'est toujours.