Jardin-Théâtre Bestiarium
Studio National des Arts Contemporains Le Fresnoy, Tourcoing
www.lefresnoy.net
Jusqu’au 23 mars.
C’est un drôle d’objet que cette exposition ! À Tourcoing, Le Fresnoy concentre, en un dispositif que d’aucuns jugeraient minuscule, une bonne part de la crème des artistes contemporains. Qu’on en juge, Dan Graham, Jeff Wall, Rodney Graham, James Coleman, Juan Muñoz, Marin Kasimir, Bernard Bazile, et d’autres encore, regroupés sur quatre tables recouvertes de sucre, dont la découpe et l’ordonnancement n’est pas sans évoquer la perspective d’un jardin, aboutissant sur un mur où s’égrènent des diapositives de Ludger Gerdes, dont beaucoup figurent des jardins allemands, justement.
« Jardin-Théâtre Bestiarium », vue générale, premier plan : Hennann Pitz, « Les Gouttes d'eau », Rüdiger Schöttle, « Projection de diapositives », au centre : Jeff Wall, « Théâtre-loge avec son plan exposé comme un signe lumineux », au fond : James Coleman, « Valor Impositus », Christian Philipp Müller, « Vers une promenade de ceinture » et « Fauteuils de cinéma, dédiés à Robert Smithson », Marin Kasimir, « Vue de jardin - Cascade - Vue de cour » Confort Moderne, Poitiers, 1989. Coll. Fonds national d'art contemporain, Paris. © J-L Terradillos
« Jardin-Théâtre Bestiarium » est un objet ressuscité après vingt de sommeil, pour notre plus grand bonheur. Né à la fin des années 1970 de l’imagination du galeriste, artiste et historien de l’art allemand Rüdiger Schöttle, ce projet initialement textuel, où Schöttle imagine un jardin allégorique dans lequel se confrontent images et architectures, trouve une formulation plastique vers 1987, lors de sa rencontre avec le commissaire d’expositions belge Chris Dercon. Montré dans une première version au centre d’Art PS1, à New York, le projet interpella Guy Tortosa, alors en charge des arts plastiques pour la région Poitou-Charentes, qui s’y intéressa avec suffisamment d’audace pour le faire venir en 1989 au Confort Moderne, à Poitiers, dans une version encore plus radicale que celle présentée à New York.
Plus radicale car, loin de la dispersion des éléments orchestrée dans l’exposition américaine, la présentation française faisait sens dans une assemblage de proximité, où les pièces jouent à touce-touche, pour finalement ne faire qu’une et donner l’impression d’un cheminement dans un jardin Renaissant, où se mêlent pièces d’eau, zones publiques, folies et théâtres.
« Jardin-Théâtre Bestiarium », vue générale, Confort-Moderne, Poitiers, 1989. Coll. Fonds national d'art contemporain, Paris. © J-L Terradillos
Remarquable est le fait que cette création affirme d’emblée une singularité rompant avec toutes les formes de classification. Ni œuvre commune, ni exposition où s’affirme l’autonomie de chaque travaux – et battant dès lors en brèche ce dogme cher à l’idéal moderniste –, ce projet se pose plutôt tel une « œuvre-exposition », une sorte de tout organique, où aucune des contributions ne peut exister, ni faire sens, hors contexte et sans les autres. Un « work in process » qui ne s’entend que dans une proximité utopique, que l’on relit aujourd’hui avec un certain délice, tant elle semble ne pas avoir pris une ride.
Coiffée par une composition musicale de Glenn Branca, « l’exposition » pourrait s’assimiler à une nouvelle interprétation d’une grande pièce du répertoire, où les contributions de chacun interpellent toujours avec beaucoup d’acuité. D’autant plus que le principe de confrontation entre ses pièces de taille modeste fonctionne à merveille.
Coup de boutoir ultime donné au principe de l’autonomie, des centaines de diapositives de Rüdiger Schöttle – figurant des œuvres d’art et des images empruntées au cinéma ou à l’actualité – sont projetés sur les plateaux et enveloppent cet ensemble où le développement d’une réflexion paysagère semble également s’assimiler au montage et au déroulé cinématographique, qui poseraient en outre la question de l’horizontalité de l’écran.
Cette « exposition » est passionnante car, en plus de sa forme singulière, elle génère nombre de questions qui, aujourd’hui encore, se posent avec beaucoup d’acuité.
Vue du « Jardin-Théâtre Bestiarium », premier plan : Bernard Bazile, « L'antiphonaire », James Coleman, « Valor Impositus », Rodney Graham, « Circus gradivus », Christian Philipp Müller, « Fauteuils de cinéma, dédiés à Robert Smithson », Marin Kasimir, « Vue de jardin - Cascade - Vue de cour » Confort Moderne, Poitiers, 1989. Coll. Fonds national d'art contemporain, Paris. © J-L Terradillos