Chronique
Survols
(La Tempête, Shakespeare)
Le Deuxième Faust. (Goethe)
Je ne sais exactement ce que j'ai commandé par le Net, sous le titre de Prospero's Books : un DVD si j'ai de la chance, ou un simple bouquin ?...
L'oeuvre de Greenaway l'auteur de Meurtre dans un jardin anglais (on déteste où on adore) ose s'attaquer de la manière la plus perturbante qui soit à l'oeuvre ultime du plus grand dramaturge de tous les temps. Avant de l'aborder, esquissons le scénario original en en faisant ressortir les similitudes avec la flûte de Mozart.
1. Place dans la chronologie : tout à la fin de la production, ce caractère tardif se ressent nettement.Le lieu est imaginaire et féériste, sans qu'il soit impossible de l'identifier. Désert de sable dans un cas, île rocheuse et aride dans l'autre.
2. Personnages orientés Yin-Yang. La polarité bien-mal et le triomphe du bien sont similaires. Prospero comme Sarastro prêchent les lumières, le pardon, la tolérance. Les héros amoureux sont Yin (Pamina, Miranda) ou Yang ( Ferdinand). Sous l'influence du maître Prospero (ou Sarastro) ils aspireront après des épreuves pseudo maçonniques à l'unité et à l'harmonie.
3. Identité cosmogonique. Dans les deux cas un objet magique attribue le pouvoir : une flûte provenant de Sarastro, le cercle zodiacal hérité de Zoroastre. Ces deux talismans sont confiés en dépôt à un sage dans le premier cas, le père et mentor de l'héroïne, dans le second à une pupille fille de Zoroastre.
4. Les traitres. Car il n'en manque pas dans la Tempête. Cela va de la brute scélérate livrée à ses instincts les plus barbares (Caliban, personnage politiquement incorrect) au propre frère de Prospero, roi de Milan : Antonio qui le condamne à mort, lui et sa fille. Sans compter toute la racaille (Trinculo l'ivrogne et les courtisans félons) et Sebastien qu'il pousse à assassiner son frère, roi de Naples.Sous ce point de vue; Shakespeare en campant Caliban, se montre tout à fait indifférent au mythe du "bon sauvage" qui connait une nouvelle vogue comme segment du pôle sémantique Médusa
5. Bien que la fin de la mission de Prospero et des Sarastro soit orientée ver la réconciliation et le pardon (Papageno et Papagena) il y a des tâches impossibles. (Monostatos) Le pire dans l'abjection est Antonio qui demeure aussi cynique qu'auparavant et Trinculo le plebéien, brute ignoble. Caliban est au moins capable de ressentir la nature et la beauté des lieux enchantés. Néanmoins, contrairement à la Tempête où tous sont pardonnés, La Reine de la Nuit, Monostatos, les servantes de la Reine, sont confondus et précipités dans l'orchestre.Morart est plus sévère que Shakespeare.
Abstraction et fantasmagorie.
Un point commun déjà relevé dans la Flûte est l'ambiance désincarnée qui fait des personnages, des symboles plutôt que des oeuvres en chair et en os. Cette ambiance feutrée, transparente est accentué par les esprits et par Ariel, (équivalent des génies) qui fournissent par la choréographie et par la musique, ce caractère authentiquement musical qui caractérise les autres oeuvres.
CITATIONS
CALIBAN
Le monstre essentiel qui montre que tous ne sont pas civilisables et notamment les prétendus "bons sauvages" chers aux tiers-mondistes et qu'on pare de tous le potentiels les plus vertueux. Shakespeare contredit que la culture forge la nature.
Un démon, un démon né! Jamais sur sa nature aucune éducation ne tiendra : les efforts que j'ai faits pour son bien, humainement, sont tous perdus, tous, sans retour. IV, 188-190
La conscience, vue par le pire des traitres, surpassant Caliban en ignominie : Sébastian, le mal essentiel. Cf. Oscar Wilde à propos de l'âme.
Où cela se niche-t-il ?
Si c'était une ampoule au pied, je porterais pantoufle, mais je ne sens point cette déesse en mon sein. ...
.Votre frêre gît là. Il ne vaudrait pas mieux que le terreau qu'il couvre
s'il était ce dont il a l'air, à savoir mort...,
Prospero abjure l'Art du magicien, objectifs grossiers qui ne doivent servir qu'a accomplir un noble but.
Mais cet art grossier,
cependant je l'abjure, et quand j'aurai requis (voici, je la requiers) la musique céleste qui doit aux fins que je poursuis plier les sens
Auxquels est destiné ce charme aérien
Je briserai ma baguette, je l'enfouirai
A plusieurs coudées au sein de la terre
Et plus profond que jamais sonde ne parvint,
je noirai ce mien livre. v, I, 50-57
Ces lignes éclairent l'interprétation de Greenaway. Vous connaissez tous le film fantastique : le Dr. Mabuse, où un démoniaque criminel inscrit dans son carnet de bord; les meurtres qu'il planifie avec soin. On le renferme dans une cellule protégée, et le Dr.MAbuse continue d'écrire son journal. Et voici : les feuillets du jour se réalisent tels que décrits dans le monde extérieur, comme si les mots magiques devenaient réalité.
De même Prospero est abandonné à la Mort dans une embarcation de fortune, démunie, mais chargée de ses livres de magie. L'action est de ce fait rêvée et se concrétise par ses désirs : ses ennemis échoués dans l'île à sa merci, les deux jeunes gens amoureux, manipulés et passant par les épreuves de la Flûte Enchantée, avant dêtre prêts pour la fusion amoureuse, le naufrage (c'était de la magie blanche, nul ne périt), Le livre terminé, et l'histoire avec, la baguette du magicien (qui est aussi la flûte de l'opéra de Mozart) Prospero et Sarastro se retirent laissant la place aux jeune couple. Et le livre magique est noyé.
Très astucieusement Greenaway fait dire tout le texte du début par Gielgud, le plus grand dramaturge shakespearien, qui passé 90 ans, le porte tout entier, interprétant toutes les voix. A l'écran on voit des fantasmagories qui émanent des Livres de Magie, une sorte de reconstitution imaginaire de ce qu'ils pourraient être et de ce qu'ils pourraient faire. A ce stade, les acteurs n'existent que dans les feuillets manuscrits lus par Gielgud, les images dépassant le compréhensible et le concevable. Je n'y ai rien compris, rien retenu, sinon quelques éclairs de beauté renaissante, des images à couper le souffle, des trucages vidéo d'un extrême raffinement. J'aurais peut être été plus loin, s'il y avait une seconde projection du film. Hélas il eut le sort réservé aux nanars. On le donna une fois à la télévision, voici sans doute plus de vigt cinq ans. Mais c'était du temps béni où on passait toutes les productions shakespeariennes de la BBC, de pures merveilles. Je venais d'écrire Bouillon de Culture et je prophétisais Brouillon d'Inculture, raillé par l'establishment. pour qui, grâce à l'informatique une nouvelle ère dorée se serait ouverte dans les écrans télématiques. On sait ce qui en est : l'ipod, les jeux vidéo, les films série américaine dont on gave toute la journée les malheureux occupant des chambres d'hôpital. Alors, Prospero Books, vous parlez ....
Mais revenons-en à Greenaway. A partir de la seconde partie, le livre se concrétise, les personnages deviennent vivants; et ne sont plus dits. Certes Prospero parle toujours, mais les amoureux aussi. Ils ont conquis leur chair, la chair de leur voix.
De quoi est tissé le tissu de la Tempête?
Comme la Flûte Enchantée - et on le verra prochainement, Faust de Goethe, cette oeuvre est hybride. La musique, le texte, la chorégraphie, la poésie, sont au service d'un message transcendant, celui du pardon, de la mansuétude, des instances spirituelles féériques et indicibles. D'où l'impression d'irréalité et de projection spectrale produite par cette réalisation exceptionnelle. D'ailleurs, comme dans les deux autres oeuvres commentées c'est des esprits et non des hommes qu'il s'agit.
Et que va devenir Prospero, la féérie accomplie et l'hormonie à peu près rétablie? Shakespeare décline son identité et son destin.
Nos divertissements sont finis. Ces acteurs, j'eus soin de vous le dire, étaient tous des esprits :
Ils se ont dissipés dans l'air, dans l'air subtil.
Tout de même que ce fantasme sans assises
Les tours enneigées, les palais somptueux,
Les temples solennels et ce grand globe même,
avec tous ceux qui l'habitent se dissoudront,
s'évanouiront tel un spectacle incorporel
sans laisser derrière eux ne fût qu'un brouillard.
Nous sommes de la même étoffe que les songes
Et notre vie infime est coiffée de sommeil
(iv, I, 156-158)