Dédicace
Mon cher Océan,
c'est un grand risque qu'ont assumé pour toi tes parents, en t'octroyant le nom le plus difficile à porter entre tous. Dès lors, te voici voué à l'impossible, au destin le plus vaste, le plus primordial, le plus essentiel, synthèse grandiose des forces contradictoires qui gouvernent un univers éclaté.
Depuis cinquante ans, c'était le temps où je rencontrai pour la première fois le professeur Isak Borg, mon prédécesseur dans la route d'une vie, l'Océan ne cesse de me hanter. Il ouvre les portails de mon travail le plus essentiel, la première de ses centaines de séquences. Le thème de l'Océan ne cesse de faire surface dans le flot de 40 000 pages manuscrites destinées à la BNF, sysmographe de nos délires collectifs.
Océan.
On peut gloser à l'infini sur le terme, en faire un sujet de dissertation de bac, ou pire, un corpus bibliographique à l'usage des cuistres. Mon interprétation est totalement subjective et au confins de deux influences, de deux existences, de deux parcours, l'une renfermée, secrète, repliée, traversée par un vent mystérieux, l'autre, la tienne, dépliée, glorieuse, ouverte, volontaire, tournée vers l'action et les grandes réalisations sociales. Autant mes moyens sont démunis, et ma voix est faible, autant tu portes en toi un souffle puissant, qui autant que ton nom t'impose des responsabilités planétaires.
Et pourtant, au delà des oppositions : le vieillard conscient de son impuissance et de sa faiblesse, entre le futur leader d'un monde nouveau qu'il dominera, si Dieu le permet, que de conjonctions !
Tous deux nous sommes (car tu le seras, c'est ton destin, et c'est pourquoi je m'adresse au jeune homme et non à l'enfant) nous sommes, dis-je, voués à départager le bien et le mal, à prendre conscience que nous vivons une ère de combat sans merci entre nos valeurs bibliques et chrétiennes, et celles qui prenant le contrepied, nous condamnent à la désespérance. Cette ligne de partage des eaux s'amenuise. Si tous les jours il faut lutter pour défendre la démocratie, il est bien plus urgent et plus difficile de défendre nos valeurs sacrés, sans lesquelles la démocratie ne serait qu'une leurre dérisoire.
L'Océan est source de toute vie, tout procède de ses tréfonds mystérieux, genèse invisible et secrète.
LOcéan est porteur de ces vagues instables, sans cesse en mutation et en dévoration réciproque, ces vagues, qui, si tu n'anticipes pas leur devenir en te fondant à elles, se révèlent des ondes funestes qui saperont ta volonté, te heurteront à ceux qui tu aimes. Or pour te fondre en elles, tu dois devenir leur générateur, tu dois être toi-même Océan.
Mais prends garde. Incarnant le cosmos liquide tu ne pourras ignorer l'élément dont tu proviens ni les habitants glauques qui hantent les profondeurs océanes des émotions et des fureurs des hommes. Tu te garderas de baisser les bras, de tirer ton épingle du jeu. Tu n'en auras pas le droit. Comme le vieillard prophétique, tu devras contempler le combat entre le bien et le mal, car le manichéisme, dans ce domaine, on ne peut en faire l'économie. On ne peut transiger avec le diable, tu le sauras en apprenant les souffrances de ton peuple, et leur source qui n'est due à aucune fatalité, sinon le Mal qui est détermination, force pure. Le Mal absolu.
Cet esprit du mal, que le vieillard à l'ossature frêle de moineau se contente de calligraphier sur son parchemin, tu devras le combattre sans relâche. Tu devras être implacable envers les mauvais, car les épargner serait sacrifier des faibles et des victimes. Et ta mission sera, partout où tu le pourras, d' aider ceux qui le méritent, ouvrir ton coeur à la compassion humaine, et non à sa caricature : la froide action humanitaire qui sert d'alibi au désengagement.
L'Océan et le Cosmos.
l'Océan habite la face cachée, aquatique, le dessous des choses. En t'adonnant à la grande musique classique, en étudiant les oeuvres sacrées qui t'accoutumeront à la complexité, en plongeant dans leurs arcanes, tu te retrouveras dans son élément, dans ton élément.
Voici le message qu'un modeste vieillard, t'adresse en toute humilité dans l'espoir qu'un jour tu sauras en tirer un certain réconfort. Il faudra peut-être attendre des décennies pour cela, mais qu'est-ce que vingt ans, dans le gigantesque conflit qui nous projette, nous les justes contre des blocs d'iniquité et de dureté?
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