Der Wanderer
Le voyageur
Voici un thème récurrent chez poètes et musiciens. On le rencontre dans les Sonnets de Shakespeare, l'Adieu du Chant dela Terre, les lieder éponymes de Schubert... et il forme la trame de cette série des Fraises Sauvages, pélerinage d'un vieil homme à ses sources d'eau vive.
Le moineau
A la fin de son parcours, il s'aperçut qu'avec la vie, l'argent lui était compté. Les quarante voleurs s'étaient partagés ce qui restait de son pécule qui n'avait été dévoré par son amour du confort et de la vie aisée. N'aimant pas sentir le poids des contraintes financières peser sur son imagination, il les négligea et induisit en tentation les prédateurs attirés par tant d'inconscience. Citons le fisc spoliateur qui l'accusa à tort d'abus de droit et le dépouilla cyniquement, son personnel qui mit à sac tout ce qui pouvait avoir la moindre valeur de ses objets, le plus riche de ses clients, Ali Sandagarao Mossa Saadi Bey, qu'Allah bénisse cet homme de bien, et qui profita de la naïveté de son conseiller pour le spolier proprement, les compagnies d'Assurances; et deux ou trois cambriolages bien ciblés. De tout le travail d'une vie d'orgueil, de prestige et de rayonnement culturel, il ne resta que ces vestiges que le vieillard revisita comme une ruine témoin d'une gloire disparue.
Le vieux tomba aussi soudainement que progressivement (les deux vont de pair) des classes aisées, à la pauvreté dorée... or de Bologne qui devient noir de vergogne. On lui fit comprendre que seul le nécessaire du nécessaire lui permettrait de survivre une année. Mais, opiniätre, il ne l'entendait pas ainsi :" je ne puis me priver de tout se dit-il, je continuerai à m'offrir de petits plaisirs et lorsqu'il n'y aura plus rien dans la caisse, je me tuerai, en douceur, sans douleur ni violence."
Laissez moi vous rappeler cette histoire du cancéreux à qui les psécialistes prédirent une survie d'un an au maximum. L'homme décida de tout liquider pour jouir enfin de la vie. Il s'offrit les plus belles croisières, les mets les plus délicats, les filles les plus somptueux.
Un an plus tard, il était guéri mais sans le sou !
Le pauvre Beethoven ne savait comment payer ses soins médicaux. Les Anglais charitables se cotisèrent pour régler l'opération, et feignirent de croire à toutes les symphonies et oratorios prêts à être imprimés. L'angoisse du pauvre sourd, était la survie : si je guéris, comment pourrai-je subsister? Cela nous révolte aujourd'hui, et pourtant ...
Mais, le vieux ne pensait plus à ces tristes prémonitions et le soleil brillait pour lui. Précisément, ce 22 Novembre 2007, ll faisait un ciel sans nuages, merveilleusement limpide et il sortit. Si son esprit marchait assez bien et il respirait l'air vivifiant.
Dorante : Comment se porte Madame Jourdain?
Madame Jourdain : Elle se porte sur ses deux jambes.
(Le bourgeois gentilhomme)
Malheureusement, tel n'était pas le cas du vieil homme : ses jambes ne le portaient plus tout à fait convenablement.
Mais ce matin-là était jour faste. Sans aucune aide, il traversa l'Avenue et s'en alla dans cette mervilleuse boutique : Au Nom de la Rose. Il voulait offrir une rose sublime à l'adorable Nathalie, l'infatigable assistante de l'homme à qui il devait rendre visite quelques heures plus tard.
Il y avait foule, et le valeureux Christian, confectionnait des bouquets dignes des mille et une nuits, pour les riches arabes et russes résidant au Georges V et au Plaza. Des gardes du corps imposants, crânes rasés et flegme concescendant attendaient après avoir donné calmement des ordres. " La dernière fois, c'était parfait, le rosé qu'il faut, celui-ci me semble un peu pâle" Après des recherches, Christian sélectionna des roses qui à vrai dire me semblèrent tirer sur le poireau. Mais il les dépouilla des pétales extérieures et un rose à peine perceptible apparut. - Cela peut aller, dit le malabar -. Après bien des hésitations, Christian finit par trouver un compromis. Tout cela me prit une matinée d'attente, mais quel parfum !, quel festival de lilas, de cyclamen, d'orange, de fuchsia. !.. Et cette odeur entêtante de roses, petites mais d'une couleur d'arc-en-ciel et embaumant des notes d'amour, de fête, de jalousie...
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Timidement, il demanda à Christian ... une rose, mais quelle rose ! La plus poétique des roses pour la plus charmante des femmes. Je lui donnai le nom de son patron et Christian me sussura : "ne parlez pas de moi, mais laissez-moi la lui offrir. Revenez la prendre cet après-midi."
J'étais tout heureux pour cette bonté et m'en allai vers Hédiart, me payer une autre folie : des pâtes de fruits.
Vous pensez peut-être que des chocolats c'est mieux. Hé bien, vous n'y connaissez rien ! Il y a longtemps que ces confiseries ont disparu des étalages, et elle côutent hors de prix : cinq euros pour trois petits rectangles : mandarine, orange et fruits de la passion. Il franchit ainsi les portails du déraisonnable et acquis les trois précieux c'hefs-d'oeuvre. Ne croyez pas qu'il exagérait. On lui avait expliqué pour le décider que seuls des fruits indemnes de défauts, de la plus haute qualité et préparés artisanalement sans colorants, sans arômes artificiels, peptine, et autres poisons de supermarchés (où on ne trouve pas de véritables pâtes de fruits) peuvent constituer un ingrédient acceptable. C'est pourquoi on ne trouve plus de ces carrés somptueux dans la plupart des confiseries.. Il n'y a plus de fruits ! Il n'ay a que des ordinateurs.
Tout joyeux il rentra chez lui, avec précaution mais sans aide. Et il se sentit oiseau au printemps en dépit du froid glacial. Le Printemps chantait en lui, la poitrine était comme une volière, il en émanait de petits sons aigus et cristallins. Il fut étourdi de bonheur. Ses ennuis matériels, ses contraintes charnelles , le karma maudit, l'angoisse des transitions solaires, s'étaient évanouis. L'oiseau, maintenant solitaire, chantait de petites mélodies tièdes et brisées, au son de boite à musique. Il était devenu oiseau, cet oiseau dont il avait toujours rêvé dans son enfance.
Oh, ce n'était qu'un modeste passereau gris et un peu déplumé. Il trottinait en trébuchant comme son compagnon et semblait aussi heureux: il venait de dénicher quelque épluchure luxueuse dans une corbeille d'Hédiard.
Destination de la rose
Le Palais
Jusqu'ici, bien avant que vieillard fut ce respectable débris, il était vigoureux, plein de feu, d'arrogance et d'énergie. Son autorité en imposait. Quand donc était-ce? Il y
a un mois, ou peut être deux, ou plus ? Il se rendait souvent au palais pendant les jours d'été. Le bâtiment était magnifique avec sa vue sur le parc, les assistants et les groupies, pleins de vitalité, de foi et d'enthousiasme. Comme la France, touts était animés par le fol espoir d'un miracle, d'une rupture présidentielle. Le Patron infusait à tous, par sa poignée de main, ses yeux impérieux, ses lèvres serrées par la détermination, son jeune charisme.
Et voici les mauvais jours, un automne au vent d'hiver, dehors les troubles et les coups d'Etat larvés, les pièges soigneusement montés. Le Président est préoccupé. L'atmosphère a changé, l'air a tourné. Quelques silhouettes patibulaires rodent qui parlent au nom de l'idéologie mortifère qu'ils n'ot jamais abandonnée. La cour est déserte. Certes le Saint des Saints a toujours été vide et silencieux, marque du vrai pouvoir. Mais c'était un vide ouaté, plein de vibrations joyeuses, de calme confiance. Aujourd'hui, le vieillard sentit le gel qui desséchait son coeur, envahir subrepticement les lieux, en train de subir comme lui, ce phénomène de doute; de ce doute qui est la marque de la sagesse et l'avant-coureur de la vieillesse.
Des gardes prévenants firent patienter le barbu (tiens, n'ai-je pas omis de vous parler de la barbe grise qui poussa en deux mois, dévorant les traits émaciés et pâles de l'errant?) Une charmante hôtesse lui dit qu'il serait plus confortablement installé que dans la galerie du premier. Et les tapisseries étaient si belles;
A vrai dire, le voyageur les trouvait tristes et poussiereuses, surmontant des chaose d'appoint dignes d'une salle de séminaires pour cadres. Il préférait la Galerie du Premier étage. Sa faiblesse avait ceci de bon qu'elle lui procurait de menus privilèges, - dont il est vrai, il se passerait bien - entre autres emprunter l'ascenseur privé du Président, une vieille caisse poussive datant d'avant guerre, mais fonctionnant parfaitement. Tout le monde devait escalader les marches raides de l'escalier Napoléonien.
Le premier étage était morne ce jour-là, non qu'il eût été plus désert que les autres jours, mais que les silhouettes hostiles qui s'y faufilaient, au lieu d'emplir le lieu, les vidait de son air vital, lui infusant un gaz inerte, irrespirable.
Le voyageur était en fait obsédé par une seule idée, et ceux qui l'interrogeaient sur son entretien avec l'hôte de lieux, le prenaient pour un bouffon shakespearien. Comme pour Gilbert Bécaud, 'important c'était la rose". La remettre à la charmante Nathalie semblait une urgence vitale, au même titre que la pâte de fruits et que le passereau qui fouillait dans les poubelles d'Hédiard. L'oiseau dilatait sa poitrine, de bonheur, de tendresse, de pitié pour le pauvre petit être chétif et misérable.
Entretien
Il m'était très difficile de dialoguer avec ce vieillard, il n'entendait pas mes paroles et j'avais du mal à comprendre les siennes. On venait de deux mondes différents. Bientôt, une cérémonie lui rendrait les honneurs, l'entourerait de respect, de prévenances; quelquefois de gratitude, mais il était ailleurs. Il voyageait, et ces séquences désordonnées, je vous les livre amis internautes tant que je les aurai décrites et fixées sur le billet. Car je suppose qu'il faudra encore un ou deux billets pour accompagner ce vivant venu du lointain vers une destination inconnue. Vour pourrez toujours éluder ces séquences en évitant le carré noir J'allai prendre congé de mon hôte absent lorsqu'il murmura enfon un message, pour vous, cher internaute :
Ecoutez le mouvement lent du dernier quatuor de Beethoven. Vous entendrez mon oiseau y chanter, défier les ténèbres et la mort environnante par son gazouillis insistant mais presque inaudible. Ecoutez le mouvement lent de l'Op 335