Le roi Cochet
Les deux colombes, au théâtre de la Potinière à Paris.
D'accord, Sacha Guitry n'est pas Molière, mais tout est relatif. Lorsqu'on le compare aux divertissements télévisuels et aux pitreries des stars adulés du public et faisant assaut d'aigreur et de vulgarité, il est un super Molière. Ce qui le sépare des plus grands, outre quelques effets facilesn est la superficialité du fond. Ce n'est au fond que du divertissement, mais de quelle qualité !
La Potinière est un tout petit théâtre un peu pauvre, dans le quartier le plus riche de Paris, non loin du Ritz et du Grand Hôtel. La distribution est dominée par Cochet dont la réputation est légendaire parmi les jeunes débutants de la comédie, qui viennent essayer de comprendre "comment il s"y prend". Autrefois, ils se glissaient dans les répétitions de Patrice Chéreau. Mais les autres rôles sont admirablement tenus de la soubrette, aux deux viragos sus-nommées les blanches colombes en passant par l'extraordinaire princesse russe, plus russe que nature, grande, visage anguleux et princièrement vêtue. Quelle classe !
Le français est merveilleux. A force de lire les magazines et de voir la télé, on finit par oublier ce magnifique instrument, qui brille de tous ses feux cristallins dans la prose de Guitry. Et on nous parle des progrès de l'internet, de téléchargement, de jeux vidéos, des dernieres grosses betteraves sucrières d'Hollywood. Jadis on pouvait encore faire la diférence entre la haute culture théâtrale et les hits hollywoodiens? Aujourd'hui le combat s'est terminé faute de combattants.
On me dira que la culture est élitiste. Un théâtre de 800 places qu'est-ce donc en termes de chiffres d'affaires? Mais pourquoi 800 places et non 2000, pourquoi n'y-a-t-il plus comme jadis 'Au Théâtre ce soir" remplacé par une méthode Cauet deshonorante pour l'esprit de ses fans (à ne pas confondre avec des amateurs). Pourquoi chaque ville ne développe-t-elle pas sa troupe? Au XVIIIe siècle, Florence comprenait 27 opéras, et un siècle plus tard on trouvait plus d'une vingtaine de théâtres en langue française ... à Londres. Pourquoi honore-t-on partout le ballon long ou ovale, et dédaigne-t-on ces drames qui du temps de la Grèce classique, servait à rassembler le peuple autour de son destin?
On objectera que c'est le fric qui compte pour le financier, et la notoriété pour le politicien. Mais pourquoi l'affluence ne se porte-t-elle pas sur les joyaux du patrimoine ? Qui a décidé que seule l'ordure est populaire et que la splendeur culturelle ne peut que rébuter les audiences? On entame ainsi un cycle pervers auto-alimenté. On accoutume les publics au pire, et on le conditionne à aimer le pire.