L'adieu
D'après Mong Kao-Jen
Le voyage d'hiver, XI
Crépuscule
Au sommet de la colline les pins fléchissent gracieusement vars le couchant et les cyprès dansent sous la caresse du souffle qui du sol monte en moi. L'océan d'un côté, le fleuve de l'autre, tissent une toile de cristal sous le chant du ciel.
Pareille à un bienfaisant démon, la nuit percée d'étoiles se lève, précédée par l'astre d'argent.
L'ami qui vient de me rejoindre, m'interroge avec douceur. Pourquoi pleures-tu? N'est-ce pas une soirée magnifique? Je lui réponds avec fermeté car je ne pleurais point bien que des larmes voilassent mon regard ébloui.
Je laisse derrière moi les massifs du Nord, je n'atteindrai jamais les mirages secrétés par l'air ardent. Mon coeur gonfle comme une boule de feu et pourtant mes jambes sont engourdies par le froid de la nuit.
Le chant des vagues me berce et j'en lis les harmonies dans les nappes du ciel. Tous les antennes de mon corps se dressent dans l'air fraîchissant. Thym, pin et basilic mêlent leurs effluves désenchantées.
Viens douce nuit,
douce amie,
et que ma peine s'endorme
dans tes bras légers.
cf. Arrive ô douce nuit,
ô douce amie,
et que ma peine s'endorme
dans tes bras légers
( Texte original de Tchou-Jo-Su, 1408, 1459).
On notera la parenté entre l'Adieu du Chant de la Terre et Crépuscule. Dans les deux cas une bipartition; la première partie est consacrée à la description succincte du crépuscule par le poète, la seconde introduit le personnage de l'ami qui interroge le poète en fin de course. Il n'atteindra plus l'horizon lointain. L'atmosphère qui prévaut est la reconnaissance de la beauté de la nature, la situation d'un promontoire élevé, l'allusion au firmament. Seule la fin, une citation de Tcho-Jo-Su (La flûte de Jade, traduction Franz Toussaint) introduit une amertume qui dans le dernier mouvement du Chant de la Terre, n'apparaît que dans la musique.