La bibliothèque d'Art
Pour Christine
...pour les enfants
Billet réactualisé et complété
L'avantage théorique des ouvrages d'initiation pour les enfants, est qu'ils sont facilement abordables pour les adultes et qu'ils sont tenus à une obligation de clarté. Ils partent du point de vue que l'enfant ne sait rien, qu'il est facilement dissipé et attiré par des jeux vidéo, ou des amusettes et que par conséquent il faut inventer une présentation attrayante, faisant appel à sa curiosité afin de l'emporter sur une concurrence toute puissante. Par ailleurs, ces ouvrages vont vers l'essentiel, les bases, puisque l'enfant est supposer tout ignorer de l'art.
Or ce qui est vrai pour l'enfant l'est aussi pour la majorité des adultes. L'école les a laissés en friche du point de vue artistique, au point que le homard de Vinci et Mickey L'Ange ne sortent pas d'un sottisier mais de copies du bac. Au cas où par miracle, des gens même éduqués auraient autre chose qu'une vague notion des tableaux du Tintoret, de Rubens ou de Klee, ce ne serait jamais qu'un souvenir superficiel. Les queues innombrables qui défilent dans les expositions internationales, les yeux mornes, les jambes pesantes, ne retiennent des oeuvres surabondantes que de vagues impressions ainsi que le montrent des interviewes et des sondages que j'ai effectués tout au long de ma carrière.
Du temps lointain de ma jeunesse, il était aisé d'accéder aux chefs d'oeuvre de Leonard de Vinci et du Titien. Le Dimanche, l'accès était gratuit, le public clairsemé, l'entrée immédiate. Je me postais souvent à côté de la Joconde. Elle se trouvait alors dans la galerie principale qui donne sur la Seine, et n'était protégée par aucun vitrage importun. J'écoutais avec intérêt les commentaires du public. Les plus stupides provenaient des texans. " C'est ça la Joconde? Elle est vraiment moche. Elle a le teint jaune, elle est vieille, c'est pas comme mon poster de Marilyn Monroe. Ceux qui admirent ça sont des snobs". Les plus subtils étaient émis par des italiens " C'est extraordinaire. Tu bouges, et son regard te suit partout. Et puis ce sourire, c'est vrai qu'il est mystérieux! ". Autre particularité, les gens avant de voir l'oeuvre lisent les étiquettes afin de savoir s'il faut ou non admirer.
Aujourd'hui la situation s'est ou améliorée ou a empiré. Améliorée grâce aux guides sonores munis d'écouteurs qui commentent les oeuvres les plus importantes et qui sont suivies avec beaucoup de sérieux par une partie du public. Et on voit souvent des cohortes d'enfants ou des groupes affiliés à des associations culturelles, se presser autour d'un conférencier et se trimballer d'un tableau à l'autres. Empirée, car alors que naguère seuls les amateurs visitaient les musées qui étaient relativement peu fréquentés, aujourd'hui ce sont des troupeaux de touristes, qui défilent à toute vitesse, dans ce parcours obligé qui fait partie des programmes des tour-opérators, entre la visite du Sacré Coeur et les Folies Bergère. Ces gens-là, photographient avec leur appareils numériques la tour Eiffel, comme s'in n'existait pas d'excellentes cartes postales. Ce sont eux, qui pénétrant résignés dans le musée du Louvre, en ressortent tout à fait abrutis, les yeux bovins, le cerveau empli de milliers d'images de sculptures grecques, de trumeaux dorés, de peintures à demi dissimulées par des rangées de têtes que reflètent d'épais verres de protection. Et les malheureux amateurs, les vrais passionnés en sont réduits à admirer les oeuvres sur les catalogues.
Le comble, c'est en Italie qu'on le rencontre. Autrefois on pouvait tranquillement admirer aux Offices, le merveilleux triptyque de Botticelli : le Printemps, Minerve et le Centaure et La naissance de Vénus. Certes, cela ne valait pas le contact intime, familier qu'en avaient les Médicis, lorsque ces chefs-d'oeuvre se trouvaient dans leur environnement naturel. Là elles se trouvaient exposées dans un zoo à des regards souvent indifférents.
Mais aujourd'hui la situation a radicalement chang. Il est pratiquement impossible de contempler ces tableaux humanistes, voués à la réflexion et à l'investigation d'un regard cultivé. Une queue de quelques heures, vous laisse crevé de fatigue et abêti d'ennui, en train d'essayer de franchir les rangées de têtes, et de résister aux coups de coude de visiteurs qui vous pressent de déguerpir pour prendre votre place. Pour voir et admirer dans les conditions de jadis, il faut montrer patte blanche et se faufiler les jours de fermeture avec la complicité de quelque bureaucrate de l'administration du musée.
Reste le livre, ou pire la vidéo. Cela vaut mieux que de piétiner au milieu du troupeau. Mais en dépit des progrès des l'édition, ce ne peut être qu'un pis aller, à consulter avant, pour se préparer à la visite, ou après pour se remémorer.
Certes je ne parle ici que des grands musées, des expos importantes. Il reste Dieu merci de petits musées merveilleux, comme le Marmottan. Quant aux expositions voici une recette. Présentez-vous une demi-heure avant la fermeture des caisses. Nul ne veut payer le ticket d'entrée (de plus en plus cher, surtout quand on est en famille), pour une demi-heure de visite. Vous aurez d'abord sélectionné les oeuvres qui vous intéressent sur le catalogue, et lu les commentaires qui les accompagne, puis entrés dans les salles, vous filerez droit vers ces tableaux et vous aurez tout loisir de les admirer, à condition de limiter votre choix, ce qui est de toute façon, nécessaire si vous voulez approfondir votre contact. Mieux vaut voir convenablement et à loisir dix tableaux, qu'au pas de course, une centaine. Cela est d'ailleurs vrai pour toute approche de l'art, il faut lutter contre la saturation. Il en est de même en musique. Plutôt que d'acheter des coffrets volumineux où on vous débite une centaine de disques pour 99 euros, achetez plutôt deux ou trois interprétations soigneusement sélectionnées et écoutez-les une cinquantaine de fois !
J'en reviens à présent au décodage des oeuvres, à l'information qui se cache derrière l'information de surface. Guido Ballo a écrit deux merveilleux ouvrages aujourd'hui épuisés : L'occhio comune et L'occhio critico. Il montre dans le premier (l'oeil commun, non exercé, incapable de discernement) comment il ne faut pas appréhender un tableau, dans le second (l'oeil critique, éduqué), comment atteindre l'information authentique, cachée par l'information de surface. C'est cette démarche que tentent les auteurs de livres pour enfants, alors que les monographies pour adultes, vous noient sous une montagne de commentaires parasites, incompréhensibles même pour l'artiste et destinés à faire valoir le critique d'art auprès de ses pairs.
Je commencerai ma revue par un livre de Fabrice Wateau destiné aux élèves de la 6e à la 3e.
Il est orné d'un dessin de Ben : Comment savoir si c'est de l'art ou pas?
Excellente question qui n'a aujourd'hui rien d'enfantin. Je défie qui que ce soit de ne pas confondre une roue de bicyclette de Duchamp d'une roue en vente chez un brocanteur. A fortiori un enfant de cinquième. Il est vra que cette question ne se posait pas au siècle dernier.
Ce qui surprend dans ce livre, est l'incroyable confusion qui préside au choix et à l'ordonnance des oeuvres. On trouve pêle-mêle le meilleur et le pire, le classique et le pseudo avant-gardiste.
Citons dans le désordre les noms suivants: Rubens, Picasso, Hiroshige, voisinant avec Bern et Hilda Becher, Christian Boltanski, Piero de la Francesca, Tony Cragg, Annette Messager, Ernest Pignon -Ernest, Julius Schnabel, Olivier Debré... Aucun lien n'apparaît, ni stylistique, ni historique. La confusion entre artistes majeurs et secondaires, fait qu'on met à égalité Piero della Francesca et Debré, Picasso et Boltanski.
Même désordre même indétermination dans les tableaux. Au lieu d'apporter des éléments de réponse aux questions que se poseraient les élèves, on se contente d'énoncer les questions en laissant la charge de la réponse à l'élève. Des questions niaises ou absconses troublent n'importe qui élève voire quel adulte cultivé. " Que veut dire Schnabel lorsqu'il affirme: ... si le fait de s'exprimer fait de vous un expressionniste, alors tous les artistes le sont.". je mets au défi un jeune bambin de répondre à propos de deux sans papiers expulsés : "Est-ce cette représentation qui a justifié un tel lieu d'intervention, ou est-ce le lieu qui a justifié cette intervention. Expliquez."
On reste en définitive sur une impression superficielle ou faussement ésotérique.
Le deuxième livre que je vous présente effectue la jonction entre vous et votre enfant. C'est une manière habile de dire que vous êtes au même niveau qu'eux, ce qui est sans doute le cas général. La quatrième de couverture énonce toutes les appréciations fausses que l'adulte (plus encore que l'enfant) émet sur l'art contemporain. Citons des questions récurrentes auxquelles nous ajoutons des exemples.
Pourquoi ce tableau coûte si cher? (Damien Hirst) Tout le monde peut en faire autant! (Keith Herring) C'est mal dessiné ! (Bad Painting),pourquoi on dit que c'est beau? (Dubuffet, un corps de dames) On dirait du gribouillis (Twombly), Je n'y comprends rien (La grand verre de Duchamp) Ce n'est pas intéressant (une boite de m... de Manzoni)...
L'auteur répond intelligemment et succinctement à ces questions. Il donne des conseils précieux pour la visite des musées et l'appréhension de l'œuvre d'art. Citons :
1. Bannir les visites les jours de pluie.
2. Choisir une destination qui n'impose pas de délais trop longs. Eviter les queues (je conseille de passer aux caisses une demi-heure avant la fermeture et de ne voir que quelques oeuvres auxquelles on s'est préparés en feuilletant le catalogue dans la cafétéria. Ainsi on évite
3. de rester trop longtemps au musée et de tenter de tout voir
4. Ne pas hésiter à retourner voir les mêmes oeuvres. Il faut en effet du temps et des visions répétées pour pénétrer dans l'intimité d'une oeuvre de génie.
On trouve une division de l'ouvrage en fonction de l'âge assortie des questions correspondantes. Les oeuvres anciennes, figuratives dominent. Cependant on trouve aussi un Mondrian, un Baselitz, un Klein, réservés aux enfants les plus grands et aux adultes..
Evidemment les questions-réponses sont sommaires et ne vont pas très loin. Mais elles constituent une base essentielle pour continuer approfondir une oeuvre. On peut regretter qu'il n'y ait pas une mention du style:
Attention, ces explications sont grossièrement simplifiées. La plupart des oeuvres sont plus complexes, plus organisées, plus raffinées que ce que l'on en a dit. On conseillera par la suite des vidéos comme la série "Palettes" surtout axée sur la fabrication du tableau, ou des livres spécialisés, comme celui de Russel sur Guernica de Picasso.
Et Picasso peint Guernica
Le chef-d'oeuvre raconté aux enfants par Alain Serres.(Rue du monde).
Plusieurs livres dont un chapitre de Décodage (Lussato, Interéditions) et une vidéocassette, réalisée par Frédéric Maugard et moi-même, ont analysé en détail cet immense tableau, le plus illustre avec La Joconde,
Ce que l'on peut reprocher à cet album, par ailleurs bien illustré et bien présenté, est son parisianisme légèrement snob, mélange de fausse bonhomie (on prend les enfants pour des imbéciles), et d'allusions de chapelles. Un exemple en est le titre. On ne pouvait écrire simplement : Picasso peint Guernica, il fallait ajouter le :et. Bien sûr il a été prémédité. Il s'agissait de suggérer que Guernica est venu après bien des hésitations, mais n'est-ce pas le cas de toutes les oeuvres. Plus graves sont les désinformations idéologiques qui pullulent dans les explications et qui dénotent la présence de Médusa, le gauchisme bcbg des bobos. Par exemple nulle allusion n'est faite aux origines chrétiennes de l'oeuvre, du Beato de Liebana (Apocalypse mozarabique) exposée à l'orangerie à l'époque de la création du tableau, grâce aux soins de Sabartès, le biographe de Picasso, jusqu'au retable d'Issenheim qui démontre que le tableau dont la structure en triptyque est révélatrice, est en réalité un immense crucifixion. Tous les ouvrages récents mettent l'accent sur cette signification religieuse, soigneusement occultée par les communistes et les gauchistes. Le Musée Picasso, lui a consacré une magnifique exposition : Corps crucifiés qui démontre la genèse chrétienne du tableau.
Il constitue cependant un premier contact de qualité passable, avec la peinture de Picasso.