Chronique
J'ai déjeuné avec G*** un ami de Poutine et un des meilleurs connaisseurs des équilibres de force en Russie. Il a brossé pour moi et pour X*** un tableau de la Russie actuelle qui en aucun cas ne peut être comparée du point de vue culturel comme politique avec ce que nous connaissons en Europe. C'est justement cette affinité culturelle qui nous trompe comme un mirage. (Que l'on pense à Pavlova, à Petipas, à Tchaikowsky etc... profondément liés à la vie musicale européenne, et en sens inverse, Berlioz et Wagner, qui furent honorés et soutenu par la société de Saint Petersbourg). Les élites européennes qui lisent Gogol ou Dostoiewsky ont l'impression que l'écart entre la Russie et l'Allemagne n'est pas supérieur à celui entre le Danemark et l'Ile de Malte. Or cette similitude ne touche que les classes supérieures et cultivées, décimées par Lénine et par Staline au profit des "barbares". Et ceux là façonnent les mentalités russes et les critères de valeur fondées sur le pouvoir et l'orgueil national.
Ainsi, en Europe, nul dirigeant digne de ce nom ne se permettrait d'ignorer les bases de l'économie.
Poutine ne s'en soucie guère. Les considérations d'ordre financier, lui sont totalement étrangères.
En revanche ce qui l'obsède est l'ordre social et urbain. Les tensions latentes, les révoltes, l'agressivité des masses défavorisées, l'implacabilité des oligarques assoiffés de pouvoir et dont l'appétit n'a pas de limites, tous ces germes de chaos, doivent être contrôlés, les tensions jugulées par la force, les fortunes indûment accumulées pendant la période Eltsine, retournées à l'Etat.
Dans un pays comme la Russie, ce n'est pas par un vote républicain et des discours langue de bois qui vont maintenir l'ordre. Or quelle que soit la brutalité des méthodes de Poutine, elle est préférable à un chaos, dont l'irak donne un triste exemple. Mais les élites européennes et américaines, celles qui ont abandonné le Shah pour soutenir Khomeny, ces nobles inintelligences ignorent tout de la mentalité profonde russe et l'enjeu qu'elle représente. Leur indignation est d'ailleurs plus que suspect lorsqu'on voit leur tolérance pour les régimes du Golf, fondées sur le gaspillage éhonté, et sur l'esclavage organisé. Par ailleurs, les Russes qui ont mal vécu l'abandon de leur grandeur passée, ressentent comme une humiliation l'attitude négative ou condescendante de l'occident à leur égard, et ce ressentiment les pousse à des alliances contre-nature.
Poutine et ses fidèles forment "système". Le seul scénario crédible est celui qui maintient le contrôle de Poutine et qui apparaît au peuple comme un gage de stabilité. Car la Russie a un besoin éperdu de sécurité et de continuité.
Le système libéral a produit des effets pervers sur les Russes. X*** a longuement insisté sur le fait que si les salaires augmentent, Le prix des produits manufacturés augmente bien davantage.
D'après G*** le choix entre Ivanov, le favori et d'autres challengers, peut ne pas se poser. La seule chose stable est l'imprévisibilité de Poutine, érigée à l'état de système.
J'aurai sans doute dans les prochains jours l'occasion d'affiner la cartographie du pouvoir. .