Chronique
Management et physique quantique
Au cours d'une consultation sur la grande distribution j'ai esquissé en passant les réflexions de Kevin Bronstein du mois d'Août 2007. A vrai dire je ne voulais pas m'apesantir sur des notions aussi abstraites, alors que mon interlocuteur désirait avoir mon avis sur des sujets beaucoup plus concrets, notamment comment basculer une entreprise orientée amont (définir la gamme en fonction des avantages concédés par le fournisseur) vers l'aval(définir la gamme est les prestations en fonction des besoins réels du client). Le but était de mettre en avant d'une manière exclusive, la satisfaction en prix et en qualité du client, comme dans un de ces marchés de province qui réjouissent leurs chalands par leur accueil, leur enthousiasme et leur compétence. Relisez mon parcours du combattant, de chez Darty à la boutique en face.
Dans une gigantesque multinationale de type Matrix, le client n'existe pas, on ne le voit pas, on ne le sent pas, on ne le touche pas, vu d'en haut, là où les décisions sont prises et impoées à la base. On ne l'observe pas et ainsi qu'une particule à l'échelle quantique, le voici qui disparait et occupe l'espace de tous les possibles, immatériel, sans temps ni lieu précis, obéissant à des séries de formules aussi incompréhensibles que celles de la physique quantique. Dans sa forme ondulatoire, le champ matériel disparait, laissant la place à un univers déconcertant, là où le chat de Schroedinger est à la fois mort et vivant, ou les probabilités d'un événement et de son contraire peuvent dépasser un.
Or, au sommet, le client individuel, concret, bien localisé est annihilé par un logiciel qui définit son comportement, sans le connaître, sans daigner savoir s'il est heureux ou malheureux, nomade ou agoraphobe... Mieux encore, le stade ondulatoire, présente les mêmes caractéristiques que l'espace quantique. Je pense en particulier au président d'une grande chaîne de supermarchés (non, ne vous fatiguez pas, ce n'est pas lui!) qui était cousin du célèbre chat quantique. Il poussait les vendeurs à désobéir à leurs chefs, à refuser des produits en provenance de la centrale d'achat, quand ils ne convenaient pas aux clients, il exhortait les directeurs de magasin à seconder le personnel commerçant par des secrétaires, des formateurs et des apprentis. Il hurlait quand le magasin était mal tenu et que les salles de pause étaient minables. Il fallait les rénover, instaurer la méritocratie, renvoyer les bons à rien.
Mais dans le même temps, il refusait systématiquement comme dispendieux et non nécessaires, des dépenses, même modestes, de réhabilitation, d'entretien, d'amélioration des conditions de travail. Il refusait d'améliorer le traitement de ceux qui s'étaient échinés à satisfaire les contraintes contradictoires imposées par une bureaucratie tatillonne, il subordonnait l'implantation des gammes dans les magasins, au bon vouloir des acheteurs, et des grands fournisseurs. On dit communément : il veut le beurre et l'argent du beurre. Les vendeurs, il les veut vivants, créatifs, pleins d'imagination et d'initiative, de vrais commerçants, et en même temps morts, disciplinés, suivant les directives des services du groupe et les tracts et publicités en s'abstenant de la moindre contestation. Des commerçants - bureaucrates, des vivants - morts, voilà qui ressemble fort au chat de Schroedinger.
Tous les séminaires, les réunions générales, les discours présidentiels, se déroulent dans l'abstraction, sans frein ni critique. Une chose et son contraire est possible, comme le fait pour Nicolas Sarkozy de plaider contre l'entrée de la Turquie dans l'UE, et pour la préparation de cette entrée; et en même temps le rejet de la même Turquie
La réduction du train d'ondes
Il suffit d'observer le champ ondulatoire, et en particulier une de ses particules élémentaires, pour que se manifestent des conduites spécifiques, bien localisées et proches du réel. Dans le cas qui nous occupe, la particule dense et spécifique c'est le client pendant l'acte d'achat. Toute incertitude est levée, et le réel prend ses droits. La difficulté provient du fait que l'agrégation de tous les événements élémentaires ne reconstitue pas forcément l'image fournie par le modèle abstrait, comparable aux équations qui définissent le comportement ondulatoire. Il se produit un phénomène opposé à celui constaté par Staune dans son ouvrage sur le sens. Dans la nature, on peut se demander comment des corps humains au niveau macroscopique, localisés et matériels, peuvent être composés d'ondes immatérielles au niveau microscopique. Dans la méga entreprise, on peut s'étonner que des processus ondulatoires, immatériels, définis par des ondes de probabilité, conçus par des logiciels indépendamment de toute référence au réel, proviennent de l'agrégation au niveau microscopique, d'événement localisés, matériels et spécifiques, et infiniment probables.
Décentralisation et principe de subsidiarité
Il existe deux formes de management opposées dont la dérive va en s'accentuant. Les entreprises centralisées de type Matrix, s'appuient sur une vision ondulatoire des flux, définie par des manipulations statistiques souvent contredites par les faits, et particulièrement vulnérables aux aléas. Les entreprises décentralisées utilisent le principe de subsidiarité : elles traitent les problèmes au niveau de la particule. Cela exige une observation constante et minutieuse (il suffit "d'observer " pour que cela existe, "cela" représentant un événement localisé dans le temps et l'espace d'aujourd'hui). La décision est prise le plus bas possible au niveau du terrain. Par exemple on ne se contentera pas de choisir et de commander un produits, en laissant cette latitude au chef de rayon. On ira plus bas et former les sous-chefs de rayon (les chefs de modules, B.L.) de telle sorte qu'ils puissent avoir un contact constant de chaque produit, de chaque client, de la décoration des pancartes, à l'implantatio des gondoles.
Une modélisation des trois vendeurs : Darty, Fnac, video international. On peut affirmer que le vendeur en rouge, siglé Darty, est un animal dénué d'initiative, comme ces directeurs de banque à qui l'on demande conseil et qui répondent par des recommandations crachées par le logiciel contral et élaborées par une équipe lointaine des réalités. La pinguin rouge ne fait qu'appliquer les directives et de guider l'acheteur.
Le pinguin en Bbeu-gris, n'est pas arrivé à ce niveau. Il ne peut répondre lors qu'on l'interroge sur les choses sont élémentaires, car il est sans voix. Tout ce qu'il sait faire, est d'abouter des données fournies par le client, appuyer sur un terminal et attendre qu'il crache les réponses.
Le vendeur de la boutique indépendante, est un homme, au sens de Marx ... il travaille! Et ce travail engage tout son être; le fait progresser vers une perfection jamais atteinte, le moteur étant le plaisir de communiquer avec son client et de lui apporter des offres non seulement adaptées a ses demandes mais encore plus, innover pour satisfaire des besoins réels et de faire évoluer le chaland vers une plus grande maturité de ses requis. Il est bien évident qu'aucun logiciel ne pourra résoudre ses besoins les plus spécifiques. Le logiciel ne connaît que des clients imaginaires, virtuels, abstraits; ceux sur quoi s'appuient les décideurs politiques, marketing des marques, ou distributeurs.
Et il faut bien convenir, que comme une architecture reflète l'esprit du temps, nos constructions banalisées ou abstraites, glaciales et uniformes, sont bien à l'image de la mécanique ondulatoire qui engendre notre vision du monde.