Défense et illustration du snobisme
Suite du journal du 9 septembre 2007
Me trouvant avec Marina Fédier dans le hall du Royal, je tombai sur la queue de la comète, le sillage des people, ceux qui s’attardent encore alors que les vedettes sont parties. Vous avez deviné : ce sont les snobinards et les poseurs. Nous en avons détecté trois beaux spécimens particulièrement antipathiques : un homme jeune, deux femmes presque jeunes. J’ai demandé à Marina, à partir de ces trois créatures, d’essayer de formaliser ce qui la poussait à les qualifier de snobs puants.
Elle fut embarrassée car ce ne sont que des constellations de traits distinctifs, en eux-mêmes inoffensifs, mais qui intégrés en une structure mimétique, donnent le bobo parfait (au Normandy) ou le Jet Set People idéal, (au Royal.) Mais ce qui est décourageant dans cette onde de forme qu’est le snobisme, est qu’elle est partout à la fois, et ceux qu’elle investit peuvent être, riches et pas riches, élégants et miteux, classe et malotrus, nobles et pas nobles, (car on a beau dire que snob, dérive étymologiquement de sans noblesse, les aristocrates sont bien pourvus de cet attribut), .Devant tant de confusion je suggérai alors à Marina de réduire par l’observation le paquet d’ondes du snobisme, pour le concentrer dans une particule dense et concrète : le snob en chair et en os. Et il y en avait précisément trois devant nous. Voici une idée de notre dialogue.
Marina F.
- Je ne peux définir pourquoi ils sont snobs, ça ce sent, ça vous frappe !
Bruno L.- Commençons par le premier spécimen. Décrivez-le.
M.F. - C’est un beau garçon, grand, sûr de lui, l’air sportif, les cheveux blond foncé ondulés.
B.L. - Sa tenue peut-être ?
M.F. - Lunettes noires…
B.L. – Dans un hall sombre…
M.F. – Un chandail bleu ciel, un jean de bonne qualité, des joggings, rien de spécial.
B.L. – Et les autres ?
M.F. – Voyez celle-ci, elle traîne un énorme sac de croco rouge orangé qui a dû coûter une fortune. Et celle-là : des bijoux de jour de chez Cartier, de petits riens discrets mais d’une grande finesse. Elle me rappelle Judith Pisar : pas un cheveu n’est déplacé, pas un pli sur son chandail, tout est d’un extrême raffinement, de la haute couture, pas du prêt-à-porter. L’autre aussi est impeccable. Les deux essaient d’avoir un port de reine, mais elles sont figées, raides, leur pose n’est pas naturelle. Leurs manières sont étudiées.
B.L. – Cela ne m’avance guère.
M.F..- Regardez-les, elles sourient sans arrêt d’une manière mécanique. L’homme toise tout le monde avec un mépris condescendant. Il vous voit sans vous regarder, comme si vous etiez transparents. Elles ne dégagent aucun charisme, et lui non plus. Elles ne seraient pas habillées haute couture, on ne le remarquerait pas.
B.L. – Je remarque qu’elle ne parlent pas vraiment, elles laissent tomber à vois basse quelques mots, elles paradent, vont et viennent, semblent affairées mais tournent en rond. Le type aussi déambule, l’air important en se montrant, sans regarder personne, comme si son entourage était transparent..
M.F. - Il est bien bronzé.
B.L. - Cela n’est guère spécifique, encore que…. Cherchez autour de vous et décrivez-moi brièvement les snobs flagrants que vous connaissez.
M.F. – Il y a d’abord cette peste que nous connaissons tous deux. Elle est typiquement Yang. Sa bouche est immense comme si elle voulait tout dévorer, ses yeux durs et rusés. Elle s’habille comme une adolescente : des costumes voyants mais trop vaporeux, et manquant de classe et de discrétion. Elle n’arrête pas de faire du name dropping et elle se donne beaucoup de mal pour organiser des dîners en ville qui n’en finissent plus. Lorsqu’elle me rencontre, elle me toise comme si j’étais une mendiante. Elle est béate d’admiration devant tout ce qui a un yacht, ou un château.
B.L. – D’autres ?
M.F. – Il y a cette femme, l’une des héritières les plus riches du monde. C’est une grande femme hautaine, affectant la discrétion d’une dame authentique et y parvenant, accueillant les hommages de dizaines de parasites, fréquentant peu, et haut. Sa morgue, on veut y déceler de la classe, la banalité de ses propos appelle des réponses admiratives et empressées. Elle pose en effet beaucoup de questions, ce que l’on prend pour de la curiosité encyclopédique, mais qui restent toujours au niveau de sa culture, qui est faible. En réalité elle ne veux pas savoir, elle veut simplement paraître au courant.
B.L. – Elle m’avait un jour convoqué dans le fumoir de son hôtel particulier pour me poser ses fameuses questions. Elles étaient élémentaires et avaient trait à la dernière mode du jour. En les énonçant elle avait un petit air de reine Victoria. « Que pensez-vous de l’écologie, professeur ? », « Faut-il aider les turcs ?», « Que faut-il faire pour sauver la planète ? » ; «Comment aider les sans papiers ? » . Sans attendre les réponses, elle fait un geste. Un valet de chambre en costume de ville surgit du néant et me reconduit. Sans un mot. La dame a disparu sans prendre congé ni saluer.
Et puis, souvenez-vous de ce grand homme d’entreprise, universellement adulé pour son charisme et son génie, qui sont authentiques, mais ne fréquentant que des personnalités très médiatiques. Les mauvaises langues disent qu’on l’a vu en tenue de bébé, se faisant fesser par une nou-nou.
M.F. – Cela n’a rien d’extraordinaire, Cathelat, la star de la communication, faisait ses conférences sur le désign publicitaire vêtu d’une barboteuse ! C’est une autre forme de snobisme. En fait le snobisme est une boursouflure de l’ego. Il repose sur la persona, le masque social et il arrive que le masque dévore le visage ou qu’il colle à la peau de telle sorte que détruire le snobisme revient à détruire le snob.
B.L. – J’ai lu un article sur la jet set. On y affirme qu’en dépit du clinquant et des paillettes, ces gens casino-château-bateau, n’exercent qu’un cours minime sur les événements. Les véritables acteurs sont souvent ternes, simples, conviviaux. Les familles du Nord en particulier sont dépourvues de ce besoin de paraître, elles sont. Le puritanisme y est bien entendu pour quelque chose, et aussi la pingrerie, je suppose, car le vrai snobisme coûte cher.
M.F. – La radinerie n’est-elle pas une forme de snobisme ? Quelqu’un vient de se joindre à notre conversation.
B.L. C’est mon vieil ami Hilarion. Bonjour, Hilarion, il est rare de te voir parmi nous.
HILARION
C’est que j’ai lu vos propos sur le blog. Ils m’intéressent au premier chef car ils correspondent à votre devise : l’information derrière l’information, autrement dit, l’information à l’envers, l’envers des choses, l’envers de mots.
M.F. A présent que vous m’y faites songer, je m’aperçois que notre diatribe contre les snobs n’a rien à faire dans ce blog.
HILARION. Vous vous trompez. Un visage faussement impassible, des yeux de glace, un sourire éclatant, une pose nonchalante, ce sont autant d’informations que le snob vous transmet. Tous les spécialistes de la communication non verbale vous le confirmeront. Mais derrière cette information se cache l’autre, l’authentique. Le regard qui veut paraître dur et impénétrable est simplement vide, le sourire doit beaucoup au dentiste mondain, la pose est d’un poseur : étudiée, elle masque un sérieux travail d’apprentissage et bien souvent une anxiété réelle.
B.L. Ce sont les caractéristiques du kitsch, du faux, du simulacre.
M.F. Le snob est dépourvu d’eau vive. Son âme est stagnante.
HILARION. Si j’en crois vos billets sur le moi existentiel, il me semble qu’il faille composer avec lui. Il faut bien vivre.
B.L. En effet le snob vit sur le mode existentiel, il étouffe son moi essentiel.
HILARION. Je suis choqué par votre manque de rigueur. En effet le snobisme est à peu près partout. Vous dites que snob c’est sans noblesse, les dictionnaires prétendent que les snobs singent les manières des puissants, des riches et des vedettes, sans y parvenir, ce sont des personnalités factices. Mais c’est faux. Je puis vous citer des snobs célèbres qui sont au faîte du pouvoir, de la fortune, de la notoriété. Alors, ce n’est pas parce que les snobs ratés pullulent, comme les mauvais artistes, les politicards, les histrions et les escrocs, qu’il faille jeter le bébé avec l’eau du bien. Reportez vous à la logique contradictoire de Lupasco qui est aussi celle de la physique quantique, ma chère Marina.
De même que le chat de Schroedinger est simultanément mort et vivant, et que le passionné hait et adore tout à la fois, l’objet de son amour, un puissant peut singer la puissance, un grand artiste jouer le grand artiste, l’immensément riche faire étalage de l’argent, et la personne bien née, forcer sur les conventions. Prenez l’exemple de la reine d’Angleterre, n’est-elle pas une caricature de la royauté ? Et Diana elle-même, que vous aimez tant, Marina, n’était-elle pas attirée par les yachts et le glamour people au point de se compromettre avec des imbéciles et des manipulateurs ?
B.L. En t’écoutant je comprends que le snob ne se définit qu’au négatif. Car ce qui le caractérise est son incapacité d’atteindre l’authentique, le moyeu. Son dédain pour les hommes de spiritualité, de foi, de génie, et de cœur, lorsqu’ils n’ont ni notoriété, ni pouvoir, ni fortune.
HILARION. C’est juste. Les snobs cependant admettent les pauvres, les faibles, les obscurs à condition qu’ils beneficient d’autres avantages.
B.L. Lesquels ?
HILARION. Le sexe, le plaisir, et le danger.
B.L. C’est exact. Il est des gens qui ont tout et vont se jeter dans des aventures invraisemblables par ennui, par provocation, pour tester leurs limites/
M.F. Les particules élémentaires ont bien décrit cette déchéance.
B.L. Titre significatif. Encore la physique quantique !
HILARION. Cet ouvrage décrit un type spécial de snobisme : le snobisme à l’envers, la grossièreté, la déchéance, l’imbécillité, élevées au statut de distinction extrême.
M.F. Vous oubliez la perversion.
HILARION. Oh, la perversion... Ce n’est que bluette à côté de ce que nous vivons dans les prisons, les camps… ou tout simplement dans bien des familles convenables. La perversion du snob, est du simulacre inoffensif, comme tout ce qu’il effleure de ses mains gantées, de son regard masqué, de sa perception appauvrie.
Et à présent, assez dénigré les snobs/ ce sont les gens les meilleurs du monde, qui ne feraient pas de mal à une mouche et qui font marcher le commerce. Puisque vous êtes à Deauville, allez faire les boutiques, on y trouve tous les accessoires pour toutes les bourses, pour tous les goûts. Autant de projections matérielles de l’infinie diversité du snobisme.
M.F. Autant aller au Faubourg St.Honoré.
HILARION. On n’y trouve que le haut du panier, Deauville vous montre le bas, le linge sale du m’a-tu-vu.
B.L. Ne dis-tu pas des snobs ce que Molière disait des cocus ? Les meilleures gens du monde.
HILARION. Molière a fort bien peint ceux de son temps : cocus et poseurs, il les appelés précieux et façonniers. Mais aujourd’hui la variété s’est considérablement enrichie. Il y a la fausse simplicité, le snobisme à l’envers affectant la grossièreté. Un symbole parfait en est cette paire de bouton de manchettes de Bulgari, en or plaqué acier. Cela pourrait passer pour de la discrétion ou de la modestie, n’était la petite surface non couverte et laissant apparaître l’or. Citons aussi les attributs du pouvoir : gardes du corps et chaussures impeccablement cirées. Le garde du corps du puissant passe inaperçu, celui du snob, est un « beau bébé » imposant, important, l’air féroce. C’est un lutteur déclassé, ou simplement un figurant péché dans les petites annonces.
B.L. On a compris. L’information derrière l’information, c’est la pauvreté derrière l’opulence.
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