Bruno Lussato

J'éprouvai une réelle sympathie pour cet homme suprêmement intelligent et je crois qu'elle était réciproque en dépit de nos cultures : occidentale et extrême orientale. Il est vrai que j'ai toujours lu les poètes chinois (cf. explication de textes, chinoiseries) et j'ai appris à manier un pinceau. 

 Puis la jalousie et l'envie de son entourage firent leur travail de sape et excitèrent sa méfiance envers moi. J'avais eu en effet l'occasion de former un de ses enfants et ne demandant rien en échange, sinon le plaisir - ou plutôt la joie - de voir progresser et s'épanouir, ce jeune particulièrement doué et attachant, il était normal qu'il s'interroge sur mes motivations profondes. Les intrigues et les malentendus s'accumulèrent jusqu'à tisser une véritable toile d'araignée d'informations fausses et de demi-vérités. Le problème qui se posait était de convaincre un chinois déjà naturellement méfiant par sa formation  de ma bonne foi, tout effort de ma part ne pouvant qu'accroître sa méfiance. Je finis par faire basculer cet homme revenu de tout et en particulier du régime maoïste, accoutumé à se méfier même de sa famille, et cette expérience a été une des joies les plus profondes que j'aie éprouvé dans mon existence. La recette est assez complexe à mettre en oeuvre car il faut satisfaire plusieurs conditions. Je vais essayer d'en dégager quelques unes à l'intention des internautes de bonne volonté qui essaient sans relâche de combler le fossé entre civilisations apparemment antagonistes. 

1. Le basculement ne marche qu'avec des hommes de grande envergure, d'une grande finesse de sentiments et d'une intelligence supérieure. Ce qui n'est pas banal.

2. Ces personnages ont plusieurs facettes. L'une est enfouie profondément : c'est l'être essentiel dont parle Marina Fedier et conformes au taoïsme et aux coeur de toute religion. Les autres concernent la vie matérielle, faite d'intrigues de luttes pour le pouvoir, pour l'argent et pour la notoriété. Immanquablement tout personnage puissant est entouré de gens qui ne jouent que sur ce registre. IIl finit par ignorer qu'il existe des hommes de bien, désinteressés et sincères. Il faut réveiller cet être essentiel et l'amener à vous écouter.  

3. Pour cela il faut donner des gages. Non seulement il faut se garder de toute interférence financière car dépendre économiquement d'un grand et d'un puissant détruit la confiance, mais il faut de surcroît montrer qu'on est prêt à montrer sa fidélité, son estime et sa sincérité, en se "mouillant" et en donnant des preuves de dévouement quitte à se compromettre ou à prendre de son temps et de son énergie. C'est quelque chose que j'ai appris d'une grande Société du Nord de la France, que je conseille depuis des décennies et dont la générosité de coeur est proverbiale.

Son président m'a appris qu'il faut donner à ceux qui le méritent sans rien attendre en échange. En ce qui me concerne, cela fait partie de ma vocation de professeur. Un maître ne peut rien demander à son disciple, sinon de progresser, et à son tour , lorsqu'il sera en situation de le faire, d'aider à ceux qui ont besoin de son soutien. C'est ce que l'on peut appeler la subversion du bien car de tels sentiments semblent aujourd'hui si suspects (préchi-précha, paternalisme, sentimentalisme, romantisme, utopie, naîveté dit-on de ceux qui les ressentent) qu'il faut emprunter des chemins détournés pour les traduire en acte.  

4. Dans le réseau serré de la désinformation, il faut découvrir l'information derrière l'information, celle qui se dissimule, qu'on ne dit pas parce qu'on a honte, parce qu'elle risque de blesser et ... de vous faire apparaître vous-même sous un jour peu glorieux. En effet, il n'est pas suffisant de faire le ménage chez l'adversaire, de mettre à jour ses stratégies et ses défenses, pour le lui renvoyer en miroir. Il faut également avec la plus grande honnêteté reconnaître devant lui nos propres hypocrisies, nos petits calculs mesquins, nos failles et nos vulnérabilités. Alors tous les non-dits remontent à la surface comme des bulles. C'est un accouchement douloureux, mais l'effet de surprise et la découverte de la sincérité dans l'échange, et la volonté d'aider l'autre, emportent tout chez le sceptique.

La seule parade à la désinformation est en effet la vérité. Une once de vérité peut détruire des montagnes d'intoxication et de mensonges. C'est pourquoi le politiquement correct existe. C'est une construction édifiée pour empêcher l'existence de la moindre faille qui permette la vérité de s'infiltrer et faire éclater la bulle de mensonge.

5. Tout ceci est très rationnel, presque calculé et ne peut que rater si on n'ajoute pas trois conditions indispensables :

a) L'imprévisibilité. Avant l'échange décisif, le dialogue avec l'adversaire, il faut vider son esprit après avoir étudié tous les scénarios et les variantes du dialogue à venir, comme le joueur d'échecs étudie d'une manière synthétique les variantes et les coups de l'adversaire. L'esprit est vide, mais c'est un vide potentiellement fécond qui permet de se concentrer sur l'autre, sans être parasité par nos idées préconçues;

b) La créativité. L'échange avec l'adversaire exige la mise en oeuvre continuelle de compromis qui puissent tenir compte de ses exigences. Comme dans la fable de La Fontaine : Le Laboureur et ses enfants, l'effort acharné pour parvenir à une solution équitable, quitte à faire des sacrifices, est en lui-même productif et fécond.

c) L'amour. C'est un bien grand mot et bien galvaudé. On peut à mon avis le définir par son absence. Lisez le livre que je conseille à tous mes clients et à mes élèves, les 48 lois du pouvoir de Greene. C'est le meilleur concentré de ce qui vous permettra de conquérir et surtout de vous protéger du pouvoir. Mais l'amour est une catégorie absente de cet ouvrage qui en dépit de son extraordinaire efficacité, laisse un arrière goût amer. Lorsque l'auteur recommande de fuir les faibles et les malheureux et d'écraser sans état d'âme l'adversaire mourant, il est incontestablement efficace. Mais réfléchissons....

Lorsque vous affrontez un adversaire qui a pratiqué et sans doute mieux que vous, les lois du pouvoir, et même en a ajouté quelque botte secrète, comment riposter? Où est votre différentiel stratégique?

L'amour, la volonté d'aider l'autre, de le comprendre profondément, la pureté et la générosité des sentiments, sont une botte aussi secrète que la vérité. On ne la trouve qu'en la pratiquant, elle ne se calcule pas. Il faut faire parler ses sentiments les plus nobles. Mais il s'ensuit le respect de la première condition. Tout ce que je viens de dire ne concerne que l'échange avec des gens supérieurs, forts, intelligents. Des lions et non des hyènes.

Le propos de l'échange que je viens de définir n'est pas le compromis ni la négociation, c'est le basculement. Si votre adversaire mérite votre admiration, votre estime, adressez vous à la personnalité partielle qui porte ses valeurs essentielles. Ne parlez ni comme un homme d'affaires, ni comme un politicien, ni comme un manipulateur. Déposez les armes. Cela n'empèche pas d'avoir des rapports durs dans d'autres situations que pendant ces moments de vérité et de respect mutuel.

Cette condition est sévère, elle signifie que tout ce que je viens de vous communiquer ne fonctionne qu'au niveau supérieur, celui des grands de ce monde et des esprits supérieurs, qui sont terriblement seuls, et aussi au niveau du terrain auprès de gens simples, dépourvus de pouvoir mais riches de potentialités et d'enthousisame, pour peu qu'on s'intéresse sincèrement à eux.

Cela m'amène à ma dernière réflexion. Lorsqu'un étranger frappe à votre porte, qu'il est intelligent, animé par le désir de progresser, d'évoluer, pour lui-même et non par appétit de lucre, de pouvoir ou de vanité, ouvrez-lui quelle que soit sa condition et son passé. Aidez-le même s'il est riche et déplait à Monsieur Hollande, s'il est étranger et déplait à Monsieur Le Pen.  Aidez sans relâche, mais abandonnez sitôt que vous découvrez que celui en qui vous avez déposé votre temps et votre énergie est un velleitaire, un homme influençable, un rapace, un paresseux, un jouisseur, en un mot : un être faible. Il vaut mieux avoir un adversaire fort et intelligent qui pourra devenir un ami sincère, qu'un ami ou un "groupie" peu solide et dépourvu de cette volonté et cette force morale qui fait d'un homme et d'une femme, le précurseur de l'ère du verseau, dont parle Marina Fédier. Car, dois-je le préciser, tout ce que je viens d'écrire concerne en premier lieu les jeunes, ceux qui portent notre destin. Il faut les aider à tenir tête aux mandarins, à ceux qui nous étouffent et les étouffent, aux zombies infestés par des virus sémantiques pervers et destructeurs. 

Retour à l'Elysée

Ces réflexions personnelles sont moins déconnectées de la réalité politique qu'il n'y paraît. Le président Sarkozy va se heurter à un malentendu fondamental qui sera entretenu et amplifié à plaisir par ses adversaires. C'est celui qui consiste à croire que les mots sont les choses, et que le président a un pouvoir illimité. D'une part on lui reproche d'intervenir d'une manière concrète, d'autre part on lui attribue des malheurs qui ne dépendent pas de lui, malheurs dont la source se trouve bien souvent chez ses détracteurs. Le président est comme un nageur qui par gros temps essaye de traverser la Manche, traînant derrière lui des gens qui font tout pour frêner sa progression tout en l'accusant de ne pas aller assez vite. C'est une situation que l'on voit dans un film de Hitchcock où le héros dévale la corniche bordée de précipices, au volant d'une voiture sabotée, et entravé dans sa conduite par une charmante idiote qui s'agrippe à lui en hurlant : j'ai peur, j'ai peur, on va mourir!.

J'ai déja signalé la principale embûche. Non seulement une partie de la population ne veut pas travailler, et entend bien exercer son droit à la paresse, mais elle désorganise l'activité de ceux qui portent la croissance et la productivité. Ils sont soutenus par des idéologues et des syndicalistes qui font tout pour miner les fondations économiques, et sans pudeur, pour plonger la France dans la misère. Ils sont soutenus par le droit du travail et la justice de classe, dont la justification est le maintien des droits acquis, quelle que soit la pertinence de ces "droits" (la plupart du temps des privilèges éhontés) dans un monde globalisé et concurrenciel. Que faire? Il faudrait un miracle pour en venir à bout, car le mal est dans les cellules et hors d'atteinte de la chirurgie étatique et administraitve.

On s'étonne ensuite que la croissance n'est pas au rendez-vous et on en rend responsable l'Etat, y compris pour les dégats causés par les transnationales, les inondations, les feux en forêt ou la misère morale et financière des hopitaux. Les mesures qui pourraient pallier dans une certaine mesure ces désastres, se heurteraient immanquablement aux lobbies et aux adversaires idéologiques. Matrix et Medusa contre Force de la terre.

Il est cependant deux domaines où les mots peuvent changer les choses. D'une part l'école. Le président a clairement défini les valeurs de Force de la terre : méritocratie, respect, reconnaissance des arts, de la litterature, de la poésie comme consituant essentiel de l'humain, responsabilité des parents, et ce que je nommerai le Syndrome de Salomon. Les adversaires égalitaristes de Sarkozy, sont comme la mauvaise mère qui exige au nom de la justice égalitaire qu'on coupe en deux le bébé pour le répartir entre les deux plaignantes. Peu importe qu'il meure de la répartition. La bonne mère au contraire accepte l'inégalité, que le bébé n'appartienne qu'à l'une d'entre elles pourvu qu'il vive. Est-il besoin de commenter?

L'autre domaine est une situation que j'ai souvent évoquée dans ce blog et dont la gravité augment de semaine en semaine. Il s'agit de notre comportement envers le géant russe. Je commence à connaître un peu la mentalité des dirigeants et des classes agissantes. Il domine une frustration aiguë d'avoir perdu un empire, un rang de puissance majeure, le sentiment qu'à l'ordre soviétique, s'est substitué un chaos organisé par Eltsine où sans pudeur des aventuriers et des profiteurs ont fait main basse sur les ressouces nationales. Poutine n'était sans doute pas l'homme idéal pour présider la Russie, il n'en avait pas la vocation ni le charisme international, mais il avait compris que ce n'est pas par la douceur et la tolérance que son pays pourrait s'en tirer. Que ceux qui ont lu notre histoire de France lui jettent la première pierre!

Or l'Europe, poussée par les lobbies américains et la vulgate des droits de l'homme, nous incite à multiplier les semonces contre celui qui est le plus populaire dans son pays, et au moment précis où la Russie devient un arbitre obligé et une pièce déterminante pour la prospérité de notre pays. L'axe Paris-Berlin-Moscou est indispensable pour notre sécurité. Isoler la Russie, agresser son leader, prendre parti, signifie exciter le sentiment nationaliste et pousser la Russie à regarder ves l'Asie. Cela est bien plus désastreux que l'affaire de la Turquie pour des raisons que j'ai déjà énoncées dans mon ouvrage Virus.

Comment inverser la spirale totalitaire et anti-occidentale, (et surtout anti-européenne) favorisée malignement par une politique d'affaiblissement de l'Europe, constante de la diplomatie américaine?

Je ne trouve rien d'autre à proposer qu'une métaphore, celle que j'ai intitulée "basculement" dans ce journal. De même qu'un adversaire a de multiples facettes, de nombreuses personnalités partielles, un pays comme la Russie est animée par plusieurs noeuds sémantiques. Une des Russies, et des leaders qui la représentent, sont avides de reconnaissance, très sensibles aux marques d'amitié et de considération, aux échanges spirituels et culturels avec l'occident, celui de Force de la Terre, et non celui de Medusa (le gauchisme bien-pensant) ni de Matrix (la domination des lobbies américains). Le président Sarkozy et son entourage, devraient parler à titre privé et individuel à leurs homologues russes, en faisant abstraction des petits machiavélismes et de la real politic. Ces échanges obéissent à une règle qui vaut également pour le basculement de l'adversaire : "Une table, deux chaises". Ils sont à la fois plus qu'officieux : strictement personnels, d'homme à homme, de coeur à coeur. Ils se situent à un autre niveau que le domaine existentiel, celui du monde concret, réel, et finissent par changer le regard, instaurer une confiance qu'on ne peut construire que progressivement.

La culture est le terrain idéal pour de tels échanges, car son domaine n'est pas de ce monde. Ainsi s'explique l'influence de Rostropovitch hier, de Gergiev au jourd'hui, supérieure à n'importe quel ambassateur, pour le rapporchement entre les peuples. Si l'argent et le pouvoir séparent, l'amour et la culture unissent.

S'agissant de culture, il appartient, je le répète au président de la France, de pratiquer l'ouverture vers les grands artistes et les grands esprits de la planète, bien qu'ils soient ignorés du peuple (à qui la faute?). La grande faiblesse de Force de la terre (la bourgeoisie traditionnelle et les classes moyennes industrieuses) est son dédain, ou sa parfaite ignorance pour les lignes de crète. Il lui faut du show biz, des paillettes, du glamour ou pire encore, du sentimentalisme misérabiliste médusa. Medusa et Force de la terre s'accordent pour freiner l'initiation de masses au grand art et aux loisirs d'élévation non admis par la vulgate misérabiliste. Hier, je déjeunais avec un jeune dirigeant très cultivé. Il connaissait Mozart, mais ignorait Dutilleux.

Le message de Nicolas Sarkozy aux écoles et université, est essentiel. Mais il faut à présent en préciser les modalités, et inclure dans le cursus culturel l'art vivant et non seulement les oeuvres du passé. Celles-ci doivent ouvrir la voie à la compréhension de celles-là. On prend comme une fatalité, que l'on honore les belles faces inspirées, des rugbymen, leur regard subtil et leur haute spiritualité. Quelle leçon pour les jeunes! Et que dire des rappeurs, des misérables chanteurs à micro qui vendent des millions de disques? L'Etat au lieu de faire contrepoids en popularisant les loisirs d'élévation au détriment du divertissement de masse, en rajoute sous prétexte d'être anti-élitiste. Certes il y a Arte, mais c'est l'autre extrémité du spectre, pour gens pseudo-cultivés.Mais où sont les émissions systématiquement culturelles, où on présente les chefs d'oeuvres du patrimoine artistique? Elles existaient du temps du noir et blanc, alors que l'Etat assumait sa fonction éducatrice, elles ont disparu aujourd'hui, comme des vestiges oubliés. Il convient que le Président et son équipe se penchent sérieusement sur cette question cruciale. Je suis convaincu que s'il met son énergie coutumière à défendre et à populariser notre patrimoine par des émissions non jargonneuses, authentiquement populaires, il afforntera la pire des ségrégations, celle qui sépare la haute culture pour initiés, et la sous-culture de masse pour le peuple défini une fois pour toute comme incapable d'accéder au grand, au noble, au subtil.