L'aventure des grands-mères adoptives
Un bouleversement de Société Depuis la découverte de la pilule, la femme a pu contrôler ses naissances, faire ses études et n’être mère que lorsqu’elle était prête.
La diffusion de la pilule a de ce fait entraîné des changements profonds dans l’organisation de la Société. De plus en plus l’homme aide la femme, notamment pour les travaux ménagers et l’éducation, mais cela demeure insuffisant. En fait les parents sont tous deux débordés ; et n’ont qu’un temps limité à consacrer à leurs enfants. Les séminaires, les voyages d’affaires, les réunions tardives, la surcharge due aux restrictions de personnel, dévorent un temps précieux, phénomène aggravé par le cloisonnement extrême de la société, l’absence du personnel de maison qualifié, dont le coût s’accroît d’année en année à cause des charges sociales. Les hommes et les femmes, estiment peu valorisant le travail d’employé de maison, et lui préfèrent un poste de caissière dans une grande surface !
De surcroît, les appartements sont de plus en plus petits et il devient impossible de loger les grands-parents, ou le personnel de maison. Les grands-parents absents, souvent à la retraite dans une ville éloignée, les parents absents au travail, on n’a plus de temps pour entretenir une famille. les enfants se retrouvent seuls, dans une famille rétrécie, dont les oncles, tantes, grands-parents sont dispersés dans le monde et forment des diasporas inefficaces. Le seul compagnon de l’enfant est la télévision, et plus récemment les jeux vidéo. Mais un écran de télévision, même plat, interactif et en home cinéma, ne peut donner de l’écoute, de la compassion, en un mot d’amour.
La solitude des femmes âgées De leur côté, beaucoup de femmes proches de la soixantaine –ou plus-, ne vivent pas à proximité de leurs petits enfants. Elles se sentent inutiles et esseulées, ou se réfugient dans des activités artificielles comme le bridge.
Je me promenais au Champ de Mars, quand une veuve de soixante cinq ans me parla. (C’était lors de années 90). Elle me dit : je vais à la messe et heureusement que j’ai la religion qui me soutient, car autrement, Je me suiciderais.
Réunir deux solitudes J’eus alors l’idée de réunir des femmes seules et isolées, et des enfants dont les parents, à tort ou au défaut, n’ont pas le temps de s’occuper. Les dames âgées pourraient servir de « grand-mères adoptives » pour les gosses. On les sélectionnerait pour des raisons évidentes de commodité en fonction de leur lieu d’habitation : même ville, même quartier, voire même arrondissement.
Ces personnes d’un certain âge pourraient rencontrer régulièrement des enfants, sur la base d’une affinité réciproque et d’une entente avec les parents et ce n’est qu’au bout d’un an d’essai, que la famille pourrait adopter la grand-mère.
Pas de simulacre
Les obligations de part et d’autre, parents et grand-mère adoptive, sont les mêmes que celles qui s’instaurent entre les parents et une vraie grand-mère. La grand-mère adoptive n’est pas payée, elle est libre de ses mouvements, elle n’a pas d’horaire. Elle peut par exemple convenir d’un jour – le mercredi par exemple – pour sortir les enfants, les emmener au guignol, ou au misée. Si elle est mariée, son mari jouerait le rôle du grand-père. Il est évident qu’à Noël ou lors des fêtes familiales, il est hors de question d’abandonner à leur solitude ces personnes âgées qui donnent leur amour aux enfants. Il est non moins évident que si les grand-mères sont invitées dans leur propre famille ou chez des amis, elles sont libres de s’abstenir, comme elles le feraient pour des petits enfants authentiques.
Pas de substitut électronique à l’amour Aucune émission de télévision, aucun jeu vidéo ; aucune chat room ne peut remplacer une personne vivante, prête à donner son amour et son expérience à des gosses pour qui elle se dévoue. Réciproquement, pour une femme âgée et solitaire, aucune télévision, aucun jeu de bridge, aucun papotage entre « anciens » ne remplace le sourire d’un enfant.
Le saut des générations
Par ailleurs nous savons tous que les grands-parents jouent quand ils sont présents, un rôle que ne peuvent remplir les parents. Ils ont une patience, une complicité, une compréhension, une connivence souriante, qui manquent aux parents, qui eux, ont la charge difficile de devoir faire preuve de fermeté, voire de punir, pour structurer l’enfant et lui apprendre ses limites. Les grands-parents sont « gâteaux » voire gâteux pour les gosses et ce saut intergénérationnel est précieux. Ils peuvent apprendre des contes, raconter des histoires, des souvenirs, qui perpétuent d’une manière vivante une tradition.
Un enthousiasme unanime Lorsque j’initiai le projet d’une association pour les grand-mères adoptives, le succès fut profond, étendu et immédiat. Plusieurs journaux se sont mobilisés, les télés m’invitèrent avec des pédiatres, des psychologues, des psychiatres, qui tous cautionnèrent le projet. Je fus assaillie de demandes, de propositions de volontariat, les maires étaient particulièrement désireux d’expérimenter le projet dans leur arrondissement. La plus touchant fut des lettres d’enfants qui m’écrivirent « grâce à vous, j’ai trouvé une adorable mamie que j’adore » ou encore « Ma vie à maintenant un sens, je suis intégrée à une famille qui habite à deux pas de chez moi, et qui a des enfants que j’aime. Je ne suis jamais plus seule, et constamment je pense à ces gosses, à les gâter, à les guider ».
Les barrages administratifs
Hélas. En dépit de l’enthousiasme général, je dus la mort dans l’âme abandonner ce magnifique projet. Madame Giscard d’Estaing que je consultai me déclara qu’elle ne donnait pas six mois à l’association sans qu’elle croule sous les procès. Si un jour une mamie adoptive avait un accident, ou au contraire, relâchait sa surveillance sur un gosse, ou toute autre raison, l’association et sa présidente –en l’occurrence, moi- nous aurions été tenus pour responsables.
J’étais disposée à donner de mon temps et de mon argent pour cette action de grande portée sociale, mais non de me charger de procès sur le dos. D’ailleurs, pour cette raison j’eus beaucoup de mal à convaincre des hommes d’expérience, de me seconder à des postes de vice-président ou de président. Ils se défilèrent par peur de la bureaucratie française. Le barrage bureaucratique l’emporta et enterra l’espoir de milliers de parents, d’enfants et de personnes vouées à la solitude.
Tous les avocats que je consultai me dissuadèrent de m’engager dans ce coupe-gorge juridique et pénal.
Les barrages de la routine et de l’indifférence Si au lieu d’enterrer le projet avec condescendance, les juristes consultés avaient fait preuve d’un peu de bonne volonté, et d’un peu d’imagination, il eût été sauvé.
En effet j’appris – trop tard – qu’une solution juridique était à portée de mains. Il suffisait tout simplement de constituer une association à but lucratif, autrement dit de faire payer les parties que je mettais en contact. C’est avec suspicion que la Justice évalue les initiatives caritatives privées, la philanthropie étant réservée à l’Etat. Tout privé qui empièterait sur les prérogatives morales du collectif, serait immédiatement classé comme suspect. Au contraire en fondant une agence à but lucratif gagnant de l’argent et payant des impôts, toute responsabilité était couverte. Une nounou rémunérée est protégée contre les accidents, pas une grand-mère adoptive désintéressée.
C’est ainsi que des initiatives commerciales ont vu le jour, comme par exemple « les grand-mères du mercredi ». Mais l’amour en était absent.
Contre la ségrégation On voit partout, et en particulier dans les sanctuaires américains, des maisons de retraite, des parcs à personnes âgées où des vieux ne vivent qu’avec des vieillards, tous attendant la mort. Même aussi luxueux que les Héspérides, ce sont des mouroirs. Rien n’est plus triste que ces parcs à vieillards, de plus en plus jeunes, grâce aux bonnes âmes qui s’imaginent rendre service aux retraités en les retirant de la vie active à 58 ans. Pendant ce temps on empêche ces personnes âgées qui ont du temps libre, la plus précieuse des denrées, de prodiguer leurs trésors d’amour et d’expérience, à tant de très jeunes qui vont à la dérive ou en butte à la solitude.