Alexandre
Qu'est-ce que c'est, une bombe sémantique ?
Necromonte
Analyse les termes et tu auras la réponse.
Famulus (pontifiant)
Une bombe est un objet qui explose, réduit en miettes la cible, sème partout le chaos et le désordre, ce que l'on désigne en jargon par le terme "entropie".
Necromonte Sémantique est ce qui a trait à la signification. La sémiotique est la science des signes, de leurs relations grammaticales, de leur articulation en phrases. La sémantique est ce à quoi renvoient les signes. Par exemple le mot "collaborateur", désigne quelqu'un qui aide un patron dans l'accomplissement de sa fonction. C'est un mot plutôt positif, comme collaboration, fidélité, entente, coopération.
La désinformation consiste à accrocher à ce mot, une signification parasite, telle que "collaborer avec l'ennemi, contre la patrie", signification revoyant aux traîtres français du temps de l'occupation allemande. C'était des "collabos". La semaine dernière, le chanteur rap Doc Gyneco qui s'était manifesté en faveur de Nicolas Sarkozy, fut empêché de se produire à Genève aux cris de "gyneco-collabo, sarko-facho! "
Une bombe sémantique est donc un dispositif -généralement linguistique mais souvent multimédia (jeu vidéo, film, manuel scolaire) visant à modifier le jugement des foules visées, non en censurant des mots tabous, mais en les maintenant mais en changeant leur signification. Ainsi une même déclaration politique peut avoir des incidences très différentes selon l'auditoire.
La bombe sémantique n'est pas l'apanage de la gauche, on la trouve en bon état opératoire dans le milieu des affaires et de l'entreprise. Elle est alors lancée par un vecteur spécifique : les experts (cabinets de stratégie, d'analyse, d'organisation et informatique etc) relayés par la presse professionnelle. C'est précisément cette bombe sémantique dont les ravages n'ont pas fini de se faire sentir. On peut l'appeler "l'esprit de Davos" du nom du colloque où elle a été lancée. Les ingrédients sémantiques de la bombe sont les termes : mondialisation, globalisation,, effet d'échelle, synergie, libre circulation des personnes et des biens, etc...
Il me faut à présent de raconter comment elle s'est construite artisanalement avant de provoquer des chocs planétaires, dont la bulle immobilière n'est qu'une conséquence encore limitée.
Alexandre
Pouvez-vous me donner des exemples concrets?
Necromonte
J'y viens.
L'amorce de la bombe est la révolution industrielle occidentale du XIXe siècle : la production et la distribution de masse. Auparavant les fonctions de création, de production, de commercialisation, fusionnaient au sein d'un même artisan : menuisier, bottier, tailleur, carrossier... Chaque objet créé était "discret", il résultait de l'instant magique, où la notoriété de l'artisan le mettait en contact avec l'acheteur avec qui il discutait pratique, esthétique, innovation... C'était l'ère du sur mesure, à la mesure d'un client réel, concrét, avec ses spécificités, ses goûts ses passions. La communication était interactive, car une émulation s'instaurait entre deux humains, chacun essayant de pousser l'autre à se dépasser.
Avec la production de masse , les concepts de rentabilité pour les classes moyennes, de rapport performance-prix, de moule et de clones, formèrent système. On divisa les humains en trois classes : le financier qui indique le but, l'organisateur qui décompose minutieusement en tâches précises, le programme de fabrication et de vente, d'après des schémas rationnels, enfin les jambes qui exécutaient sans réfléchir les micro tâches qui composaient le puzzle organisationnel.
Le virus de la spécialisation se développa selon deux directions. La première était qualitative. Par exemple lors de l'acte de vente, le pingouin chargé de négocier une automobile, devait demander leur autorisation au financier pour les remises à consentir, au chef de l'entrepôt pour la date de livraison et la disponibilité du stock, au chef d'entretien, pour les réparations, etc... Son autonomie était réduite à une rôle de camelot souvent mieux tenu par une publicité bien faite.
La seconde direction était quantitative. Pour diminuer le prix de revient, il fallait amortir la valeur de la création (les designers) entre un plus grand nombre d'acheteurs. Il n'y eut plus de limites à cet appétit, chaque entrepreneur visant le monde tout entier. Cependant la division en trois classes : le financier, le créateur du moule, les exécutants : hommes robotisés en attendant d'être remplacés par des robots.
Alexandre
Ceci vous me l'avez appris.
Necromonte Oui, pour mettre en relief la déshumanisation des entreprises, le mensonge consistant à faire passer un produit banalisé et terne, en un objet de marque nouveau et personnalisé. Mais ici, le propos est plus large, il consiste la planète toute entière.
Les Américains et leurs amis technocrates, s'avisèrent d'appliquer à la planète ce qui auparavant était (mal) appliqué dans l'entreprise.
De même qu'on répartit le travail dans une industrie, on décida de procéder de même dans l'ensemble du blog.
On divisa les travailleurs en trois classes distinctes :
1. Les penseurs, les créatifs, les compétents, les intellectuels, étaient paqués dans le ghetto doré américain (et en principe européen). De ce fait les Etats Unis devenaient la patrie de l'abstraction, baptisée ère post-industrielle. Ils ne produisaient plus, ils ne commercialisaient plus, ils n'extrayaient plus de matières premières, ils pensaient pour le globe. Leurs programmes de recherches étaient des algorithmes, des logiciels, leurs entreprises, des lieux virtuels qui pouvaient se trouver aussi bien à Park Avenue que sur un Yacht au large des Canaries.
2. Les copieurs qui transforment les plans géniaux et les idées révolutionnaires des occidentaux en produits bien finis, sont les asiatiques dont la qualité d'exécution est réputée. Ce sont des machines humaines : hommes, femmes, enfants qui à partir de deux bols de riz et par jour, délivrent des jouets, des écrans de TV, des bassines en plastique.
3.Les esclaves. Il faut pour faire marcher la machine du combustible, des matières premières, des aliments pour les occidentaux. Ce rôle d'extraction sera réservé aux africains.
Ainsi s'instaure un système harmonieux :
Les américains livrent au monde, des brevets, (par exemple tel ou tel algorithme) du Know How, de la connaissance scientifique et technique (par l'intermédiaire des universités). Ils se font payer, et ils utilisent ces fonds pour rémunérer les chinois en échange de leur fabrication, d'autant plus compétive qu'elle est fondée sur l'esclavage. Enfin les asiatiques comme les occidentaux, rémunéreront les pays "en voie de développement" qui en retour utiliseront ces fonds pour importer des produits manufacturés asiatiques et du professionnalisme anglo-saxon.
Cette division du travail exige pour fonctionner, l'abolition totale des frontières et le libre échange des personnes et des masses monétaires. Le système est totalement abstrait et d'une extrême délicatesse.
Malheureusement, rien ne se passa comme prévu. On n'avait pas tenu compte, en effet, de l'incompatibilité culturelle des acteurs, de l'impossibilité de se comprendre, des niveaux d'évolution des acteurs, les uns étant surestimés (les africains) les autres sous estimés (les asiatiques). Pis encore, on avait tout réduit à des équations de type macroéconomique où seule la logique économique imaginée par les experts occidentaux avait cours, et d'où les facteurs émotionnels, la corruption, la bêtise, l'avidité, la haine, le fanatisme, étaient exclus.
On aboutit à un triangle bancal, totalement déséquilibré, opposé à l'axiome de départ qui fondait la division harmonieuse du travail. Parmi les assomptions délirantes du modèle de Davos, on citera :
1. Le fait que les africains, dont la culture spécifique a été détruite par la colonisation, et remplacée par un ordre étranger, ce dernier à son tour anéanti par la décolonisation, laissant place au chaos, étaient incapable d'atteindre une productivité suffisante pour se nourrir eux-mêmes. De surcroît, on leur imposait des plans de culture conforme aux besoins ponctuels des occidentaux, mais néfastes au plan local. En fait de produits manufacturés, ceux que les occiedentaux livrèrent à l'Afrique, furent surtout des outils de destruction, ajoutant la terreur et le génocide au chaos et à la famine.
2. En sens inverse, la croyance outrecuidante, que seuls les américains, détenteurs de la puissance post-industrielle, et du savoir technologique, pourraient accéder à des tâches de création et d'intelligence. Dans la mesure ou au contraire, les asiatiques profitaient des commandes occidentales pour s'instruire, et passée la période d'imitation servile, accèderaient à la connaissance technologique, l'atout des occidentaux serait dévalorisé.
3. Un enfant comprendrait que lorsque des bassins économiques et culturels sont affectés par des conditions très disparates, des écluses sont nécessaires pour compenser les dénivellations trop brutales. C'est le rôle des droits de douane, et de la monnaie. Instaurer une monnaie unique (dollar ou euro) tout en supprimant des droits de douane, serait se priver de deux outils de rééquilibrage. Or ces deux conditions n'ont pas été respectées:
- Au sein de l'Europe, l'euro, monnaie unique, instaure une homogénéité forcée au sein d'une hétérogénéité de fait. La France est le pays de la paresse, côtoyant une Allemagne où l'on travaille dur et bien. Les statistiques ne tiennent évidemment pas compte de la motivation et de la conscience professionnelle qui expliquent la suprématie de nos voisins à l'exportation. Or l'euro ne tien pas compte de ces disparités et il s'ensuit une perte de compétitivité non compensée par l'inflation et une dévaluation de la monnaie du pays localement défaillant.
- Cette carence devient caricaturale, lorsque les barrières douanières sont levées entre des pays où les charges sociales écrasent les entreprises, et d'autres où l'on fait travailler des enfants pour quelques bols de riz. Il faut être des économistes sophistiqués pour pouvoir nier une telle aberration.
Alexandre Je ne vois pas le lien avec l'effondrement de la bourse et les menaces sur les marchés.
Necromonte Il reste encore un passage obligé avant d'y arriver, la notion de niveau d'abstraction au point mort, développée par Hayakawa et Korzybski. Pour en comprendre le sens, il nous faudra faire connaissance de deux sympathiques personnages : Bessie la vache, et Rosie la Vache. D'ici là, tu auras la possibilité de compter des moutons pour t'endormir, si ce n'est déjà fait après cette assommante leçon. Je vois en effet que tes yeux se ferment malgré toi. Bonne nuit.
Alexandre C'est que je me suis levé tôt ce matin, professeur. Bonne nuit et merci.