Le citoyen entreprenant
Dans un de mes précédents billets j'avais parlé de l'Entreprise Citoyenne, concept proche de la "gouvernance", terme à la mode, mais qui exprime la nécessité pour toute entreprise ou organisation (y compris les administrations étatiques) de tenir compte des parties prenantes et non seulement des élites qui les gouvernent, et des actionnaires qui attendent une rémunération du capital investi.
L'Etat se glorifie d'avoir pompé aux citoyens et aux entreprises, un magot record au titre de l'impôt sur la fortune. Mais qui a pensé que de prélèvement excessif, en spoliation douce, ce ne sont pas seulement les riches qui souffrent (ils peuvent voter avec leurs pieds) mais surtout les classes moyennes et les petits entrepreneurs, écrasés sous les charges, dégoûtés d'en faire plus. Ceux qui ont un petit capital, partent, comme les jeunes ambitieux et entreprenants.
Les entreprises multinationales se laissent de plus en plus tenter par une centralisation absurde qui prive de toute initiative les collaborateurs, en les transformant en zombies. Ces derniers finissent par s'habituer à leur condition de relais apathiques d'un but qui les dépassent, et cette apathie contagieuse est favorisée par la vulgate gauchiste qui ne parle que d'avantages acquis et accorde une prime à la paresse, comme si dans un monde en mouvement, le mot acquis avait une valeur sacrée et que la concurrence n'existait pas.
Je donnerai deux exemples concrets que je vis en ce moment et qui illustre les carences des entreprises de petite taille comme celles des monstrueuses multinationales.
Premier exemple : un hôtel quatre étoiles.
Je réside actuellement, comme chaque année, avec les membres de l'Institute for Systems and Devlopment, au château de Divonne, un agréable hôtel de la chaîne Relais et Châteaux. Nous avons tous constaté une chute de qualité générale, qui affecte également tous les établissements de la région, une des plus opulente de France, à cause de la proximité de Genève.
Des réductions drastiques de frais généraux entraînés par des charges sociales croissantes, se sont faits au détriment de la quantité (suppression de personnels) et de la qualité (recrutement d'employés stagiaires ou venant de sortir de l'école hotelière, et non formés). Les investissements nécessaires ont été différés, comme par exemple le remplacement de l'ancien ascenseur vétuste, qui tomba en panne pendant quatre jours, obligeant le personnel à trimballer des montagnes de linge sur trois étages, et des clients d'un certain âge ou handicapés, à monter les hautes marches du château, à pied.
Trois remarques peuvent être formulées quant à cet incident :
1. La responsabilité du groupe qui attend le dernier moment pour se décider à rénover un ascenseur délabré.
2. La société d'entretien, qui envoya des spécialistes une bonne douzaine de fois pour réparer la panne. Dès que ceux-ci partaient, laissant l'ascenseur en bon état, ce dernier retombait inopinément en panne, souvent en gardant prisonniers clients ou employés.
3. Le directeur de l'Hôtel, en pleine période estivale, et en particulier le 15 Août choisit ce moment pour prendre ses vacances en famille. Aucun adjoint ne fut prévu pour traiter un incident de ce type. Il finit par se rendre à l'Hôtel, constata les dégats, engueula la compagnie d'entretien, et tout rentra dans l'ordre ... quatre jours trop tard.
Tout va à l'avenant : le personnel déboussolé, privé d'instructions précises, les clients ne se plaignant pas mais partant pour ne plus revenir. Pis encore, pour le service des chambres, (il n'y en a que trente) trois employés se firent mettre en arrêt maladie, paralysant toute l'activité et faisant reposer leur charge sur le maigre personnel restant.
Les rescapés de l'ancienne organisation, des vétérans connaissant par coeur le métier, hochent la tête " ces jeunes, marmonnent-ils, ne connaissent plus que leur droits syndicaux, ils veulent en faire le moins possible, et ne s'interessent pas à leur métier". C'est injuste pour la majorité d'entre eux qui sont pleins de bonne volonté, mais il suffit d'un tiers de paresseux et de démotivés pour déstabiliser un établissement.
Certes, il y a la présence de Genève qui paye mieux. Par ailleurs le personnel a du mal à trouver à se loger, les lois sociales unilatéralement tournée vers la protection des locataires, dissuadant les propriétaires de louer. Les logements offerts par la Direction sont de qualité insuffisante.
Autre exemple. Le directeur d'une succursale bancaire
Autrefois je demandais conseil au directeur de ma banque, un homme sensé et expérimenté qui m'a toujours bien guidé depuis une vingtaine d'année. Je me suis plainte du fait que les recommandations qu'il m'avait faites récemment étaient contraires au bon sens et à la rentabilité. Il m'informa qu'il n'y pouvait rien, que c'était de la direction du groupe que tombaient les préconisations. "Tous les matins, j'ouvre mon ordinateur et on me dit ce qu'il faut conseiller au client". - "Mais vous, qu'en pensez-vous? répondis-je." - "Je ne pense pas. Il m'est interdit de penser. Je serais sévèrement sanctionné si je déviais des instructions reçues". Cet homme de qualité avait été démotivé, ses capacités, sa connaissance, son intuition, étaient détruites au profit de calculs, qui, ainsi que le montre la "masterclasse pour Alexandre, livraison II," échappent même à la direction du groupe.
La cause des carences
La direction du groupe hotelier, comme celle de la grande banque n'ont vraisemblablement pas compris que le succès de leur établissement est étroitement lié à l'épanouissement professionnel et personnel des employés, des cadres, du personnel dirigeant. Tout commence par la nécessité d'avoir des emplyés créatifs et motivés, ce sont les cellules de l'organisation. La difficulté réside dans la mise au point d'une organisation décentralisée, avec de larges plages de liberté et d'initiative, ce qui entraîne des risques de dérapages, et de l'instauration d'un contrôle central qui donne charpente et fiabilité à l'ensemble. Y parvenir est un jeu gagnant-gagnant.
Au contraire, des entreprises tentaculaires, fortement centralisées, ne considérant les employés que comme des stipendiés, des charges nécessaires à traîner, des adversaires potentiels, (attitude confortée bien souvent par les syndicats et les prud'hommes) découragent les meilleures volontés et incitent les jeunes à profiter et à abuser du système social français très pénalisant pour le travail. L'absentéisme n'est pas seulement une plaie financière et un destructeur de compétitivité, il détruit aussi les absent, tant qu'il est vrai que les loisirs sont bien souvent une occasion de se relâcher et de s'abrutir.
Une carence grave qui affecte nos entreprise, est la permanence des habitudes, des règlements, des accords, des droits et des privilèges même absurdes et que l'on considère une fois pour toutes comme "acquis".
L'eau vive et l'eau stagnante
Toulouse-Lautrec, dont on montre des oeuvres dans de nombreuses expositions, apprit la peinture auprès des grands maîtres officiels, peintre de toutes les gloires : Léon Bonnat, Ferdinand Courmon et bien d'autres pompiers aujourd'hui tombés dans une juste obscurité, mais alors adulés par le public, les critiques et les musées. Il ne mit pas longtemps à faire la différence entre cette eau stagnante, et l'eau vive, l'art vivant, la peinture en mouvement des impressionnistes. La copie du passé, est une cristallisation de l'être, la mort de la création. Mais sans la connaissance des règles, le génie de l'artiste n'aurait pu s'épanouir.
Le yin et le YangLa difficulté est de fusionner les contraires : l'ordre et l'intégration, la spontanéité et la liberté, sans les opposer. C'est au prix de l'affrontement de ce défi que l'homme pourra devenir ce qu'il est. Mais cette approche dialectique, combinée avec l'imagination poétique, il faut l'apprendre dès que possible aux enfants. C'est le plus précieux des héritages qu'on pourra leur transmettre, celui qui en fera des citoyens respectueux des prescriptions morales et des règles collectives, et des individus entreprenants, libres et créateurs, sans lesquelles une civilisation ne peut que décliner inexorablement.