Le paradigme Necromonte
Une leçon de démolition
Première livraison
Le cabinet du Professeur Armin Necromonte à Berkeley.
Armin Necromonte, maître en systémique, donne une leçon à Alexandre Ludell, en présence de Sixtus Famulus.
Extrait de l'Entretien. Voir à ce sujet les relations entre Valentin Ludell, Lars Hall et Alexandre ►♦♦
Ci-contre, "le nuage qui ne bougeait jamais".
Personnages
Sixtus Famulus. Assistant personnel d' Armin Necromonte, professeur honoraire à Berkely.
Le professeur Necromonte
Alexandre Ludell, frère de Richard Ludell et de Christine. Fils naturel de Lars Hall-Bentzinger III et de Christine.
Note : toute ressemblance avec des personnages existants est purement fortuite.
Necromonte. Je suis heureux de vous recevoir. J'ai bien connu votre père. Il doit avoir aujourd'hui 42 ans, il n'en avait alors que 18.
Alexandre.
Il a 42 ans Monsieur, et j'en ai 22.
Necromonte.
Il sortait à peine de l'adolescence lorsque vous êtes né.
Famulus
Alexandre Ludell est le fils de Valentin Ludell. Monsieur Hall-Bentzinger n'est que son père biologique. Mais il le considère, ainsi que Richard Ludell, son frère, comme son héritier. Il désire que vous lui expliquiez certains mécanismes financiers qui le préoccupent comme par exemple la bulle immobilière qui a fait partir en fumée quelques deux cent millions de dollars, pour adoucir la vérité.
Necromonte Qu’est-ce que la vérité ? De toute façon la finance n'est pas ma spécialité, et vous avez dû, mon garçon, bénéficier des conseils des plus grands économistes. Que pourrais-je donc vous apprendre ?
Alexandre Les fondements cachés, monsieur.
Famulus
On ne s'adresse pas comme ça au maître. On dit professeur.
Alexandre Oui monsieur.
Necromonte, souriant. Quelle importance Sixtus? Appelez-moi comme vous voudrez, jeune homme.
Famulus (réprobateur)
Les formes sont les formes. Voici le curriculum des deux frères. Richard fait de bonnes études à Wharton. Alexandre n'a qu'un diplôme de bachelor à l'Université Hartzmann à Santa Samarea.
Necromonte L’université Hartzmann ?
Famulus Elle a été fondée par le beau-père de Monsieur Hall-Bentzinger.
Necromonte Quelles sont vos activités actuelles?
Alexandre Je m'occupe de l'Uxelladum Center, et du secteur armement non conventionnel.
Necromonte Et votre frère, que fait-il?
Alexandre Rien
Famulus Il vient de terminer ses études à Wharton et n'entre que maintenant dans les affaires de Monsieur Hall. Ce dernier a tout de suite mis Alexandre au travail car c’est un gros bûcheur et il jouit d’une large autonomie.
Necromonte Je vous l'ai dit, la finance n'est pas ma spécialité. Des études abondent sur le mécanisme des hypothèques et du rating. Mais ce n'est que de l'information de surface. Par exemple on s'étonne que le dollar ne soit pas plus faible après que la banque fédérale ait fait fonctionner à plein la planche à billet. On dissimule le fait que les professionnels des marchés ont déjà anticipé la catastrophe, et c'est pourquoi le dollar est faible depuis deux ans. Il a déjà payé par avance les aberrations du système financier. Mais, tout cela, vous devez le savoir, je suppose.
Alexandre Oui.
Necromonte Ce qui vous intéresse est donc au niveau au dessus, ce qu’on pourrait appeler la méta-économie. Se demander quels sont les ressorts intimes qui font que le marché agit de façon aussi chaotique tel est son objet. Mais, vous devez aussi connaître le problème de l'opacité des fonds, et les erreurs d'évaluation des cabinets de rating. Elles conseillent les banques sur les valeurs à acheter en les classant de AAA à D. Puis, en fonction du risque, elles préconisent les AAA. Mais ce sont elles qui attribuent les premiers prix! Par ailleurs, comme nul ne sait la proportion des junksbonds et des hypothèques notées AAA et ravalées à BB, dans la plupart des fonds, il devient impossible de leur donner une valeur précise et cela ne plait pas du tout, mais pas du tout aux investisseurs. On est ainsi contraints à suspendre la cotation de fonds qui sont peut-être peu contaminés. Mais vous devez être tributaires de ces distorsions : je vois que votre père possède une banque privée.
Alexandre Trois.
Necromonte Sont-elles atteintes par la contagion?
Alexandre Non.
Famulus Je crois savoir que les banques sous contrôle Hall-Bentzinger n'investissent que dans les activités du groupe. Elles sont florissantes et bénéficient de la situation de détresse du marché financier. On anticipe même une catastrophe un peu plus importante. La situation est très intéressante.
Necromonte Vous connaissez donc mieux que quiconque les mécanismes intimes des processus déstabilisants auxquels nous assistons et qui font écho aux fluctuations extrêmes qui apparaissent périodiquement depuis quelque temps dans tous les domaines.
Alexandre Oui
Necromonte Si cette connaissance constitue l'information derrière l'information, vous avez donc besoin de creuser plus profond et de découvrir les déterminants de ces réactions chaotiques.
Alexandre Oui, monsieur
Necromonte Je puis vous y aider mais il faudrait pour cela que je remonte loin dans l'histoire. Seriez-vous d’accord de me suivre dans cette incursion ? Je m’offre comme guide.
Alexandre Oui, je vous remercie Monsieur.
Famulus Professeur!
Alexandre Oui, professeur.
Necromonte Vous n’êtes guère loquace.
Alexandre
Vous êtes le professeur et vous parlez, moi je suis le disciple, et j'écoute.
Famulus Il n'a pas tort
Necromonte J'ai quand même besoin d'avoir un retour lorsque je m’adresse à vous. Je veux bien vous expliquer les fondements de nos ... difficultés, mais si cela vous dépasse, ou si vous voulez des détails concrets, dites le moi.
Alexandre
Oui, Monsieur. Je préfère rester au niveau du concret.
Necromonte Sixtus, vous pouvez disposer, vous connaissez par coeur ma démonstration.
Famulus J'écouterais volontiers votre exposé si vous le permettez. Il y a toujours quelque chose de nouveau à glaner chez vous.
Necromonte Merci. Voulez vous m’écouter avec attention Alexandre? J'essayerai d'être aussi clair que possible.
Alexandre Je vous remercie, monsieur.
LA PREMIÈRE LEÇON
Necromonte Savez-vous ce que sont les trente glorieuses, Alexandre?
Alexandre Non, monsieur.
Necromonte Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, l'Europe était un champ de ruines. On manquait de tout, et lorsqu'on prononçait le mot magique "avant-guerre" les visages se rembrunissaient et les poitrines se gonflaient de nostalgie. Avant-guerre tout était possible: pas de tickets de rationnement, des jouets pour les gosses, du beurre, du pain frais, des phonographes pour les amateurs de musique...
L'Europe était en ruine, mais les espoirs étaient dans les coeurs. Tous les occidentaux rêvaient à un avenir meilleur. Certes il prenait des formes bien différentes selon les esprits.
Le rêve américain
Pour les classes moyennes, c'était le rêve américain qui constituait l'idéal à portée de main. Le sourire de Shirley Temple, les boutons lumineux à contact, les couleurs californiennes, les chaînes HiFi, les voitures rutilantes, l'hygiène omniprésente symbolisée par la blancheur Colgate. La grande distribution enfanta la consommation de masse, la publicité et la distraction kitsch. La culture américaine s'enrichit des apports culturels des juifs immigrés, chassés par la guerre, puis par le communisme triomphant et la bureaucratie envahissante.
L'ordre communiste
Mais en Europe occidentale sévissait le rêve communiste, réplique du cauchemar soviétique. Des intellectuels formèrent des générations de professeurs qui à leur tour endoctrinèrent leurs élèves : le paradis socialiste était prêt à surgir sur les décombres du capitalisme impérialiste. Les américains sauveurs de l’Europe, furent voués aux gémonies. La récompense pour le plan Marshall, fut « US go home ! »
La décolonisation : une panacée démocratique
Un autre rêve animait les belles âmes, en Amérique, en Russie, en Europe : la décolonisation. En débarrassant les colonies de l’infâme exploitation française, anglaise ou néerlandaise, on les ferait accéder à la démocratie, donc à la prospérité. Les américains comptaient ainsi supplanter les français en Indochine, en Algérie, en Afrique, au Cambodge. Leurs technocrates, partant du fait qu’une démocratie a besoin de trains, calculèrent le nombre de rails nécessaires pour irriguer toute l’Afrique, devenu – en vertu des droits de l’homme et de l’égalité des cerveaux – un continent semblable à l’Europe. On édifia ainsi de gigantesques aciéries qui finirent évidemment par faire faillite. Ce sont de petites aciéries de Brescia qui les remplacèrent.
L'utopie gauchiste
À la faillite du rêve communiste, succéda un avatar : le gauchisme radical. Celui-ci remplaça l’ordre soviétique par le chaos généralisé, mais surtout fit fructifier la haine des enfants européens pour la culture de leurs parents. Il s’ensuivit une passion suicidaire pour tout ce qui pouvait la détruire : au début Staline, Mao, Che Guevara, Castro, Amin Dada, Pol Pot, aucun monstre n’était assez ignoble, aucun tyran assez dangereux pour être ne pas être encensé par les intellectuels dits de gauche.
Un des tableaux les plus connus de Picasso s’appelle « massacre en Corée ». Les coréens du sud, valets de l’impérialisme capitaliste, vipères lubriques, fascistes sanguinaires, y massacraient de pauvres victimes sans défense : les coréens du Nord. Pas une bataille perdue où les intellectuels ne se soient pas engagés. Au nom de la démocratie, la France favorisa la victoire de Khomeiny contre notre allié le Schah. On se souvient du baiser de la mort dont Carter, comme Judas, gratifia son allié iranien.
Cependant ces doctrines suicidaires fomentées par les intellectuels en chambre, ne diffusèrent que lentement leur poison, en commençant par les professeurs d’université, la presse, les instituteurs, les enfants. L’industrie et le commerce prospéraient en Europe, et jamais le continent ne fut plus prospère qu’avant qu’éclate la bombe sémantique mondiale dont Mai 68, les brigades rouges, Action directe, furent les vecteurs.
Les industriels, les banquiers n’avaient que faire de ces songe-creux. Ils se contentaient de les réprimer par la police, de les écarter du pouvoir, pour les cantonner dans le ghetto du verbe.
Les parasites du capitalismeMais pendant ce temps-là, deux adversaires mortels de la civilisation occidentale, prenaient racine sans que nul ne s’en inquiète, et avec l’aide de leurs victimes : les classes moyennes, les industriels, les banquiers.
L'immigration sauvage
Le premier, à combustion lente, fut l’introduction massive par des industriels, de main d’œuvre bon marché provenant des pays sous développés (nommés en langue correcte : en voie de développement). Ces patrons oublièrent que ces prolétaires de seconde classe, pouvaient avoir des enfants, eux de troisième classe, faute de classes adaptées pour les reclasser dans une société peu préparée à recevoir un aussi grand nombre d’ « Aliens ». Les mouvements de gauche en profitèrent pour nommer les clandestins des sans papiers et, aidés par des Giscard et autres âmes généreuses, les multiplier par le regroupement familial. Ainsi les services sociaux, le système médical, l’équilibre urbain fut-il menacé par cet afflux non contrôlé. Pour éviter des explosions, on versa des sommes considérables pour intégrer ces demi-barbares, c'est-à-dire pour les faire taire. C’était donner à manger aux crocodiles. La faillite qui s’ensuivit, fut répercutée sur la population et en particulier les classes moyennes hautes, dénommées « les riches ».
Le règne des économistes
Mais un phénomène plus nocif encore envahit l’occident. Pires encore que les idéologues gauchistes, on vit apparaître une nouvelle espèce de gourous, prêtres défroqués vivant, comme les mathématiciens, dans un monde idéal, pur, mathématiquement cohérent et n’ayant pas grand-chose à voir avec le monde réel. Ces gens étaient aliénés du monde, par le cerveau, comme les gauchistes l’étaient par le cœur. On les appela des économistes, des financiers, des conseillers d’entreprises et d’états. Ils inventèrent une extraordinaire machine à détruire nommée « division internationale du travail » qui en collaboration avec la transnationalisation, la globalisation, la mondialisation, la modélisation boursière et financière, la suppression des frontières, l’informatisation généralisée des flux matériels, constituèrent une bombe à retardement, ou plutôt une fusée à plusieurs étages, abandonnant des pièces dévastatrices à chaque avancée de la technologie. La crise boursière à laquelle nous assistons, n’est qu’une des secousses prévisibles dues au réajustement à la réalité, de modèles fantasmatiques, ceux qui dominent la planète entière, parachevant l’œuvre de destruction de l’idéologie gauchiste et de l’utopie écologiste. Me suivez-vous Alexandre ?
Alexandre Oui, Monsieur, mais je préférerais qu’on reste sur un terrain plus pratique.
Necromonte. Bien. Donnons-nous rendez-vous demain, après une bonne nuit où vous pourrez assimiler ce que je vous ai transmis et me poser peut-être me poser quelques questions.
Alexandre
Je vous remercie, Monsieur. Au revoir.