Réponse à Arnaud
A propos de l'apport de la physique quantique à notre appréhension du réel.
Parmi les commentaires reçus au sujet de mon dernier billet, le dernier propose une réflexion en guise de conclusion au débat sur le réel.
Nous sommes enfermés dans la prison de nos cinq sens qui nous impose une vision très restrictive du monde qui nous entoure. Nous prétendons qu’elle colle à la réalité, alors que nous savons qu’elle passe par le filtre du cerveau qui ajoute une nouvelle distorsion. L’immense apport du débat suscité par la physique quantique réside dans la remise totale en question de la nature de la réalité.
Dans la dédicace de Faust, Goethe disait qu’au moment d’aborder la deuxième partie de son chef d'oeuvre (il était alors agé de soixante quinze ans) , tout ce qui lui paraissait proche s’éloignait, et que le lointain devenait réel. David Bohm, si son intuition est juste, attribue au lointain une réalité voilée, inaccessible sinon par le raisonnement, et qu’il nomme l’ordre impliqué (ou le potentiel quantique). Cet univers où disparaissent les notions familières à la physique classique d’espace de temps, de masse, d’énergie, n’est littéralement pas « de ce monde». Il est ailleurs, et pourtant en « se déployant » il donne naissance aux manifestations concrètes que nous percevons par nos instruments de mesures, elles mêmes, uniquement accessibles par la fenêtre de notre introspection.
En dépit de tous les efforts des physiciens, pour évacuer le rôle de la conscience individuelle, de ce que nous avons de plus spécifique, de plus humain, il ressurgit chaque fois que l’on pousse la réflexion et rend dérisoire la tentative de tout ramener à un pragmatisme étroit. Malgré qu’en aient les réductionnistes héritiers de la pensée du XIXe siècle, sérieusement ébranlée au XXe, nous abordons notre XXIe siècle avec la claire intuition de l’importance de cet au-delà pressenti par les grandes religions et par l’illumination des grands maîtres spirituels, qu’on le nomme ordre impliqué ou univers parallèle, dépourvu de toute substance concrète et pourtant d’où procède tout ce qui nous entoure. C’est ce que l’on exprime autrement en disant que les objets concrets de la physique classique, celle qui naguère prétendait incarner le réel, sont constitués au niveau le plus fin, de non-objets, dépourvus de tout attribut concret et générant selon les instruments de mesure, l’univers ondulatoire ou sa réduction en particules minuscules et denses.
Je renverrai le lecteur aux ouvrages fondamentaux de Bernard d’Espagnat et d’Olivier de Costa de Beauregard, et bien entendu à la somme édifiée en vingt ans par Jean Staune. Ils constituent à mon avis la plus frappante rencontre entre les conquêtes les plus récentes de la physique quantique et la pensée initiatique la plus pérenne, transmise par la tradition et par le savoir intuitif des grands penseurs.
Pour terminer, je voudrais vous rappeler une anecdote empruntée à l’histoire du Centre Culturel des Capucins que je dirigeai pendant plusieurs années. Un des plus brillants spécialistes de la physique quantique, qui par ailleurs récusait toute réflexion heuristique et toute pensée parallèle à propos de sa pratique, avait accepté d’initier les participants de mes séminaires. C’était des esprits raffinés, d’un niveau élevé, appartenant aux cercles dirigeants de l’Oréal. J’insistai pour que ce savant emploie des termes accessibles, dépourvus de tout jargon, pour faire accéder son public au sens profond de la révolution quantique, et ses répercussions sur notre manière de pensée.
Quelques jours plus tard, notre physicien me téléphona : au début je pensais que vous payiez mes prestations d’une manière très généreuse. Mais pour atteindre la clarté que vous avez exigé, j’ai dû passer deux nuits blanches, et en définitive je pense que je n’ai pas été assez payé !
Les conférences du physicien connurent un éclatant succès et furent acclamées comme une contribution nécessaire à la compréhension du monde qui nous entoure. Depuis, la physique quantique et le changement de paradigme qu’elle implique, fait partie des sujets les plus appréciés de mes séminaires d’ouverture pour des cadres dirigeants. A condition, bien entendu, que la réflexion établisse des passerelles fructueuses avec notre approche spirituelle et notre sensibilité, au lieu de rester cantonnée à un énoncé stérile de notions dont Bernard d’Espagnat a montré qu’elles relevaient d’une « objectivité faible », et d’un niveau de réalité superficiel.