Aliénation quantique. Troisième partie
Rappelons-nous qu’au début du développement des sciences, l’homme observait la nature pour y retrouver Dieu. Jusqu’à Einstein l’objet des sciences est une réalité qui s’est séparée de Dieu et de l’homme. Ce que sent l’homme représente un danger pour la pensée objective. Mais aujourd’hui, même dans les sciences, on se rend compte qu’on ne peut pas éliminer l’homme –sujet de la recherche objective. La jeune génération commence à prendre au sérieux l’expérience personnelle.
Karlfried Graf Dürkheim. Le Centre de l’être. Albin Michel 1992.
Ces propos recueillis par Jacques Castermane proviennent d’un penseur, professeur de philosophie de l’Université de Leipzig, à l’époque du congrès Solvay et qui a baigné dans l’atmosphère survoltée qui entourait la physique quantique et relativiste. Décantés ces propos jettent une passerelle entre les mesures théoriques et le sens qu’on pourrait leur attribuer.
En fait ce sens n’a toujours pas été trouvé, et les spéculations souvent déguisées en rationalité académique, sont nombreuses et contradictoires, se contredisant et s’annulant entre elles.
J’ai déjà évoqué l’interprétation la plus répandue, en fait une non-interprétation, celle dite de Copenhague. Les concepts de la physique quantiques ne sont que des abstractions inférées à partir de mesures. Ils ne nous renseignent nullement sur le réel qui demeure caché à tout jamais. La recherche même du sens est oiseuse et non productive. On rejoint ainsi l’aphorisme de Bridgman (si ma mémoire est bonne) : The How is the Why of the modern man. « Le comment est le pourquoi de l’homme moderne ». L’école de Copenhague anticipe le désenchantement du monde actuel, où l’algorithme, le logiciel informatique et le modèle financier ou biologique se substituent au réel, prétendent même être le réel.
Mais Niels Bohr lui-même a du convenir que pour que les instruments de mesure soient opérationnels ils sont tributaires d’un observateur humain qui les lise et les interprète. Le remplacer par un robot, ne ferait que déplacer le problème : il faudrait en effet pour que le robot trouve un sens aux mesures, qu’un observateur humain l’ait programmé. Or, comme il est rare que les physiciens travaillent en état de somnambulisme, il nous faut donc admettre que les états de conscience sont indispensables à la connaissance objective. Ce raisonnement tient, même en l’absence de l’hypothèse de la réduction du paquet d’ondes, causée par l’intervention de la conscience. D’ailleurs à ce propos, Bohr soulignait que la notion de présent qui ne se trouve nulle part dans les Sciences, et qui ne peut être définie par un instrument de mesure, n’est propre qu’à la conscience de l’homme. Le présent résulterait du choc entre un futur ondulatoire où tous les états potentiels seraient superposés et la réduction du train d’onde qui transformerait cet état fantomatique, en une réalité concrète.
Je me souviens qu’un jour une voyante me prédit que je connaîtrais un genevois d’une trentaine d’années, avent un voyage à Francfort et qui m’épouserait après m’avoir proposé de le rejoindre aux Etats-Unis. Je passe sur tous les détails. Plusieurs années plus tard, je rencontrai en Normandie un homme d’affaires Genevois qui se rendait à Francfort. Tous les détails prédits se révélèrent exacts. Le coup de foudre donna raison à la voyante et j’allais le rejoindre comme prévu, lorsque je découvris qu’il était marié. Il est impossible dans un cas comme celui-ci d’évoquer la « serendipity », la coïncidence significative, ni la synchronicité de Jung. La voyante avait raison et tort à la fois. Tout se passe comme si le futur qu’elle entrevoyait faisait partie d’un ensemble important de nombreux futurs différents, présentant tous des points communs, et se déroulant simultanément. Mais lorsque je rencontrai le genevois, le présent rencontra l’anticipation d’un ensemble de scénarios simultanés, et il se produisit une réduction brutale du train d’ondes : un seul de ces scénarios fut admis, comme lors que la réduction du paquet d’ondes, l’électron ne peut passer que par une seule fente. Cet exemple n’est évidemment cité qu’à titre anecdotique pour donner chair à des concepts bien abstraits.
Car il y a bien d’autres interprétations divergentes. L’une d’elle est celle du potentiel quantique, émise par David Bohm. On a vu que la non-séparabilité, déclare que les deux particules jumelles situées à des milliers d’années lumières l’une de l’autre, ne sont qu’une seule particule. Bohm prétend au contraire qu’il s’agit de deux particules différentes et qu’elles sont informées de leur état par un flux dépourvu d’énergie. En effet l’instantanéité avec laquelle la seconde réagit à une observation de la première, exclut une communication matérielle, puisqu’elle se produirait à une vitesse supérieure à la lumière.
Par la suite Bohm affina son interprétation. Il prit l’exemple d’un poisson placé dans un aquarium et filmé par deux caméras sous deux angles différents. Les observateurs qui ne verraient que les deux écrans projetant les images du poisson, se demanderaient comment la première image est corrélée à la seconde, et comment la modification d’une nageoire dans le premier écran se traduit par celle d’une même nageoire dans le second. En fait il n’y a pas de communication ni de corrélation entre les deux images, car aucune ne correspond à la réalité. Celle-ci est en dehors de notre champ de perception, voire même conceptuel.
On peut dire de même que les deux particules n’existent pas. Ce ne sont que deux projections d’un réel qui nous échappe et que Bohm appelle le potentiel quantique ou encore ordre impliqué. Impliqué, parce que nous ne le connaissons pas, et que nous ne pouvons que déduire sa présence par une inférence, une implication. Cet ordre impliqué, lorsqu’il est observé, perd sa nature quantique et se déploie dans l’espace-temps, celui de la physique classique. Il en résulte que le réel est voilé, caché, et que ce que nous prenons pour la réalité, n’est qu’apparence, tributaire de nos instruments de mesure et de notre conscience.
L’intervention de la conscience individuelle dans le champ de la science, ne pouvait plaire aux matérialistes. Aussi remplacèrent-ils la conscience de l’observateur par une conscience collective qui objectiverait le phénomène. Mais cela ne pouvait pas résoudre le dilemme : une conscience collective peut être sujette à hallucinations, et elle est de même nature que la conscience individuelle.
Une autre interprétation est encore plus farfelue. Pour résoudre le hiatus incompréhensible entre la physique quantique des particules, et la physique classique ou se meuvent les vrais chats, les vrais poissons, les vrais objets, on avança l’argument que dans notre univers classique, les interactions ne sont pas toutes prises en compte, et qu’on ne peut calculer les perturbations qu’un battement d’aile de papillon an Chine peut provoquer en Floride. Si on pouvait calculer toutes les interactions des objets macroscopiques, on vivrait dans un monde quantique. Ainsi on n’aurait plus besoin de la conscience pour expliquer la réduction du paquet d’onde, puisqu’elle proviendrait de la suppression des interactions entre objets. LA physique classique ne serait qu’une partie de la physique quantique.
En revoyant toutes ces hypothèses prises pour des vérités, et il en est bien d’autres, on est soit saisis de vertige, soit sous l’impression d’une lacune importante dans l’esprit des physiciens. Ils tombent dans le handicap qu’ils reprochent à la physique classique : la non prise en compte des interactions et un rétrécissement abusif de la perspective.
En prenant du recul, on voit apparaître au contraire des processus qui correspondent aux intuitions des grands maîtres de l’antiquité et du moyen âge. On songe aux « veines de dragon » qui relient d’une manière invisible les vides et les pleins des paysages chinois, préfigurant un réseau de relations invisibles et inférées entre des objets et des êtres concrets. De même que l’ordre impliqué se déploie en acte dans l’espace-temps et le monde concret, les veines de dragon, donnent secrètement naissance au monde visible de la peinture. Le réel se situant non pas dans ce qui tombe sous nos sens, mais dans un réseau abstrait et voilé de relations.
Autre parallèle : la dualité judéo-chrétienne entre un monde invisible, échappant à l’espace et au temps, sans matière ni énergie, le monde divin, et le monde visible, celui de César, enchaîné à l’espace temps, tributaire de la matière et de l’énergie. Le monde divin est bien décrit par la Genèse, l’esprit flottant dans l’espace, la réduction du train d’onde par le « fiat lux » libérateur, matérialité surgissant de l’immatériel. Mais également, dans les Evangiles, Jésus participe des deux mondes, celui d’où il vient et qu’il regagne après sa crucifixion, sans espace et sans temps, et celui incarné, où l’Esprit devient chair, comme le paquet d’ondes devient particule concrète et dense. Ceci n’est évidemment qu’une correspondance à but purement pédagogique, mais l’interdire comme le font certains physiciens de renom, est méconnaître la valeur heuristique est céder à deux erreurs impardonnable chez des hommes de science : d’une part nier la pensée holistique et rester cramponnés à la pensée analytique du siècle dernier, d’autre part, s’interdire de penser tout simplement.
Cette limitation dogmatique, frise l’incorrection épistémologique, lorsque certains, tels que Jean Staune (par diplomatie sans doute) nient toute correspondance entre la physique quantique et la parapsychologie, en prétendant que des avancées dans le domaine parapsychologique ne peuvent rien nous apprendre sur la physique quantique et sur la nature du réel.
Tout d’abord on ne peut nier que le conscient et les manifestations qui y ont leur siège, fonctionnent sans masse ni énergie. De surcroît, elles sont « aplaties » dans le temps, et leur traversée dans le monde spatio-temporel, donne naissance au « choc du présent ».
Enfin, les expériences très sérieuses sur la télépathie, la précognition, l’effet Ganzfeld et les phénomènes mis en évidence par les GNA (Générateurs de nombres aléatoires) ne peuvent s’expliquer sans un recours à la Physique Quantique. Les travaux qui valurent le prix Nobel à Sir John Eccles, démontrèrent expérimentalement la séparation entre l’esprit et le corps, en suggérant un point d’interaction au niveau quantique.
Du point de vue épistémologique, ces concepts se traduisent par les notions de premier monde matériel et de second monde mental, avancées par Sir Karl Popper, qui dévalorisent les arguments prétendument scientifiques des physiciens matérialistes. Ainsi, les religions, les philosophies anciennes, et les dernières données de la physique et de l’épistémologie, se rejoignent-elle dans une conception du monde, qui, enfin réintroduit du sens dans un univers morcelé et aliéné.