Médusa à Salzbourg. Berlioz venge Berlioz
Benvenuto Cellini et Lélio.
Salzbourg fait une farce à Berlioz, titre le Figaro du 13 août 2007.
Mais le compositeur se venge post mortem maudissant ...
les profanateurs qui osent porter la main sur les ouvrages originaux, leur font subir d'horribles mutilations qu'ils appellent corrections et perfectionnements, pourlesquels disent-ils, il faut beaucoup de goût. Tels sont ces vulgaires oiseaux qui peuplent nos jardins publics, se perchent avec arrogance sur les plus belles statues, et quand ils ont sali le front de Jupiter, le bras d'Harcule ou le front de Vénus, se pavanent fiers et satisfaits, comme s'ils venaient de pondre un oeuf d'or.
(Lelio, récité par Gérard Depardieu)
L’opéra de Berlioz, est épuisant à monter et à mettre en scène. Valery Gergiev, le chef d’orchestre, était inquiet de la performance qu’il devait diriger au Festival de Salzbourg.
Mortier l'ancien directeur du festival s’était déjà distingué dans l’art de monter des spectacles dans l’esprit opposé à celui qui avait animé le compositeur, avec comme but, le souci de provoquer le public le plus conservateur du monde. Il fallait surenchérir. Ce fut réussi.
Peter Rusicka choisit Philipp Stolzl l’auteur de vidéoclips publicitaires et rock, notamment pour Madonna et Mike Jagger, n’ayant apparemment aucune expérience de l’opéra ni de la musique romantique. Toutes les conditions d’un beau succès furent donc réunies. Et les bobos, assujettis à Médusa firent chorus, applaudissant les fastueuses trouvailles, telles qu’un hélicoptère de marque Cellini, et sifflant Gergiev coupable de diriger la partition dans un style qui ne convenait pas au spectacle.
Non loin de là, Riccardo Muti dirigeait La Symphonie Fantastique précédée de Lélio (qui devrait la suivre). Lélio est un mélodrame assez grandiloquent et passablement hétérogène. Il suppose que le poète surnommé Lélio ( et qui n’est autre que Berlioz) se réveille après le cauchemar symphonique et se ressource auprès des muses apaisées. Il se trouve que Berlioz dit par avance ce qu’il pense de ceux qui osent s’approprier de son œuvre pour la défigurer, (voir ci-dessus la citation extraite du Figaro) et il n’a pas de paroles assez dures, assez insultantes pour ceux qui comme le metteur en scène de Benvenuto Cellini, ont tenu à mutiler l’œuvre au nom de la liberté et de la modernité. Ceci ne tirerait pas à conséquence si tous les grands compositeurs, ne pensaient pas comme Berlioz. Wagner a été un des plus cinglants, et pourtant il n’aurait jamais pu prévoir le sort qui attend ses drames musicaux à Bayreuth. Il a résumé ironiquement la pensée médusa : « quelle insolence que d’imaginer que le compositeur puisse avoir son mot à dire sur son œuvre ! »
Dans une récente interview au Nouvel Obs, le compositeur le plus à la mode en France, Pascal Dusapin, soutient un point de vue différent. Il donne d'abord des garanties d'obédience à Medusa, en citant la musique arabe et le jazz comme référence, en évoquant le rhizome deleusien, et en récusant toute filiation avec la musique occideentale classique, qu'aime Force de la Terre. (La bourgeoisie conservatrice qui fréquente Salzbourg). Il pense qu’une fois composée, la musique appartient à l’interprète.
Mais il ajoute cependant que pour atteindre une telle autonomie, il lui est nécessaire d’écrire des indications de plus en plus précises, ce qui limite la marge de manœuvre de l’interprète. Lorsqu’il est enchanté de constater la différence d’exécution entre les américains, les allemands et les japonais, il omet de dire qu’aucun ne se permet de changer la moindre indication originale, c’est une question de nuances, comme la différence entre une sonate de Beethoven jouée par Backhaus ou par Glenn Gould. Les notes et la cohérence sont au rendez-vous et ceux qui les écoutent peuvent avoir une idée assez précise de la pensée du compositeur.
Le problème avec la mise en scène d’opéra, est qu’à force de vouloir prendre le contre-pied du modèle académique, celui-ci disparaît et il ne reste plus que la provoc, devenue pensée dramatiquement correcte, académisme à rebours, c'est-à-dire académisme au carré. Le désinformation mille fois répétée devient information, l’information authentique, dénigrée, privée de tout public, est prise pour de la désinformation. Ainsi en va-t-il pour la mise en scène d’Opéra : microcosme de notre tragicomédie politique et scientifique.