Dixième livraison
Séquence 224 de L’Entretien
La Haine et la chair
Tes pleurs ne le feront pas vivre, commença le maître d’une voix sourde
Si tu veux lui payer tribut, que ta chair s’épanouisse dans la haine, que ta haine attire le désir, incarnée elle prendra vie.
Vie mortelle pour tes adversaires
Pendant que le maître déclamait ainsi, le jeune homme se resaisissait
Cancer de l’âme, étendant ses métastases
sa méfiance paysanne reprenant le dessus. L’homme le manipulait jouant de son désir
le long du réseau subtil du désir et de l’argent,
comme sur un orgue émotionnel aux mille registres
l’un servant l’autre,
de son désir de revanche, transmutation de l’amour en carnage
l’autre surgissant de l’un
chair cannibale, volupté suprême de la mort de l’autre.
Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris, déclara Lars d’un ton humble et hésitant. Tout sa morgue évanouie, il semblait désemparé.
- Êtes-vous en train d’essayer … de me faire comprendre… que mon père souhaitait la mort de sa première femme et des enfants qu’il a chéris et élevés comme les siens propres ? Et que l’exécuteur désigné, c’est moi, avec tout le cortège de malheurs qui suivent la première transgression, le premier meurtre ?
Je ne suis ni Oreste, ni mon père Agamemnon, et Christiane n’est pas une Electre. Après tout un document se falsifie et votre intérêt pour mon insignifiante personne me paraît suspect. Ou vous comptez me voir m’emparer de la holding, et vous avez inventé le journal aux trois sceaux, ou vous n’y avez aucun intérêt et pourquoi alors vous donner tout ce mal ? Je vous prie d’excuser des propos qui peuvent vous paraître blessants. Ce n’est guère dans mon intention croyez-le, mais voyez vous, en dépit de toutes les intrigues dont je suis la cible désignée, je ne suis ni rancunier, ni sanguinaire. Je ne demande qu'à profiter tranquillement de ma jeunesse et de la rente que me sert mensuellement Hald, et qui suffit amplement à mes besoins.
Je voudrais poursuivre une carrière sportive, monter une affaire de produits diététiques pour champions, puis me marier et avoir des gosses, plusieurs gosses. J’aime les enfants, ils sont la vie jaillissante et c’est en eux que je veux trouver mon épanouissement, aux côtés d’une femme qui, ignorant tout de ma dynastie, ne croirait épouser qu’un petit entrepreneur venu chercher fortune aux Etats-Unis. Ainsi mon Karma serait conjuré.
Le reste, Professeur, n’est que jeu et rêve d’adolescent frustré, et je ne m’y engagerai pas. Je n’appartiens pas à la race des Atrides.