Vous avez dit populaire?
La télévision est de plus en plus passionnante en ce mois d'août. Ma chambre d'hôtel est agrémentée d'un écran plat posé sur le bar, qui a remplacé l'ancienne télévision en couleurs. Le gain de place est nul, puisque le dessus du bar a une dimension invariable. En revanche l'image, jadis lumineuse et brillament colorée est d'un grisâtre vaguement teinté, ressemblant aux clichés noir et blanc recoloriés, des rééditions rajeunies du muet. Heureusement le contenu sauve le contenant. Nous avons vu les labos où l'on cultive le virus de la fièvre aphteuse.
Rassurez-vous, il n’y aucun risque de contagion, le labo est bien de chez nous, rien à voir avec les anglais qui ont laissé échappé le virus. On a donc interdit une fois de plus les importations de vaches et de bœufs britanniques dans l’UE, ce qui arrange et notre prestige et nos affaires.
Et bien entendu à l’occasion de la mort, hélas attendue, du Cardinal Lustigier, on a sorti la notice nécrologique toute prête. L’homme était admirable, et jouissait dans notre pays d’une réputation analogue à celle d’Aimé Césaire dans le sien : un juste, un arbitre, un homme unanimement respecté. Il avait publiquement exprimé la repentance de l’Eglise envers les juifs, geste qu’on attendrait en vain de la part des Turcs, pour les Arméniens, et pour les chrétiens exterminés et contraints à l’exil, de la part des Russes, pour Lénine, et autres monstres communistes, de la part des communistes pour leur adhésion aux pires atrocités du XXe siècle, de la part des algériens, pour le génocide des harkis et des musulmans fidèles à la France, et de la part de Kadhafi pour les tortures à l’électricité, les viols et les sévices divers infligés à de malheureux boucs émissaires.
De nouvelles péripéties dramatiques jalonnent le voyage du président Sarkozy chez les riches. La télévision italienne nous le montre en fureur contre les paparazzi qui mitraillent son bateau, risquant de provoquer un accident lacustre analogue à celui, urbain, qui coûta la vie à la princesse Diana. On a entendu également le programme ipod suivi par la famille présidentielle pour l’édification culturelle des foules : Céline Dion, Elvis Presley, Johnny Halliday et quelque chose d’autre comme Madonna ou Doc Gyneco… Non... pas celui-là! Il vient de se produire à Genève et on a dû arrêter son concert pour des raisons de sécurité. Des antifascistes, socialistes et respectueux de la démocratie, lui ont lancé des cannettes pleines, risquant de blesser des enfants, tout en hurlant : gynéco-collabo-Sarko-Facho. Il faut dire cependant que ces courageux résistants étaient plutôt ivres.
J’entends des internautes ricaner : encore Lussato avec sa culture élitiste ! Il est normal que le président de la France qui représente toutes les tendances, soit culturellement engagé dans les goûts du peuple allant du pire au pire du pire. (voir le syndrome Cauet). Encore que dans sa politique frénétique d’ouverture il ose ouvrir les pages de son agenda à la musique élitiste, dite classique. Ne l’a-t-on pas vu à Orange, au Trouvère de Verdi, et n’a-t-il pas prôné le relèvement des programmes artistiques dans les lycées ?
Ce n’était pas ainsi que procédaient les élites de l’âge d’or. Elles donnaient, comme aujourd’hui, le ton, elles lançaient la mode. Mais ce n’était pas à écouter Dion, Presley et Gyneco que le public était convié, ni à l’île de la tentation, et autres feux de l’amour. Il applaudissait Franz Liszt et Paganini, les super stars du moment, Verdi et Meyerbeer, Mozart et Wagner, Musset et Molière… Ces stars étaient aussi populaires en leur temps que celles qui hantent le prime time et les people.
Qu’on ne nous dise donc pas que le grand art est forcément élitiste. Il l’est devenu et on doit se demander par quelle étrange transmutation, il est passé du stade populaire à la frange restreinte des intellos non branchés. Par quelle autre opération chimique, l’art populaire jadis joué dans les kiosques des villes d’eau : Offenbach, Wagner, Bizet, Rossini ou Mendelssohn, a subi une transmutation, qui a changé l’or en plomb, le vin en vinaigre, les exquis joyaux des salons et des opéras, dans le beat obsédant vomi par des hauts parleurs surpuissants. Mais la question porte la réponse et il n’est pas sûr qu’on ne la connaisse, personne n’ayant intérêt à comprendre … la question. Les lignes de crête réservée à une élite de clercs minables, les bas-fonds boueux, apanage de ceux qui, forts du soutien populaire, transforment la fange par la grâce miraculeuse du Star System.