Signes intérieurs de richesse
Marcelin Galopin habite à Monceau-les-Mines dans une bâtisse qui autrefois servait de vannerie, mais qu’il a fait aménager confortablement. Rien n’y manque : une chambre à coucher pour sa femme et lui, une chambre pour les enfants quand ils passent par là, une cuisine avec réfrigérateur, distributeur de glaçons, armoire réfrigérée pour les conserves, cuisinière robuste à charbon d’un modèle inusable achetée dans une brocante, machine à laver le linge, et même une horloge ronde gagnée dans un concours. La pièce à vivre est luxueusement décorée par des reproductions sur toile façon ancien de grands maîtres flamands, avec des cadres en vrai bois doré, et des meubles paysans durement négociés lors des héritages. La pièce maîtresse est la table de repas en carreaux de pierre marbrière, achetée lors d’une succession d’un notable d’Autun.
Madame fait le ménage, la cuisine et lave le linge. Pour les vitres, on utilise les services d’un des garçons qui est chômeur et vit de petits travaux. L’aîné, lui, travaille dans l’usine, mais il est paresseux et profite de bien des jours fériés pour faire de la moto. Le cadet, lui, il fait ce qu’il peut, mais il peut peu. C’est pourquoi il est payé en conséquence. S’il reste, c’est que le patrimoine lui reviendra intact à la mort du patriarche, le plus tard possible. Pour l’instant l’héritier qui n’a pas plus de soixante ans devra patienter encore une dizaine d’années, le pater familias n’ayant aucune envie de se retirer, ce qui signifierait la mort pour lui.Galopin a acheté un terrain pour trois sous pas loin de Sète. Pendant vingt ans, tous les étés il partait se reposer en train deuxième classe et plantait sa tente dans un coin abrité. La vue sur mer était imprenable mais allez arrêter les badauds. Voici quelques années, les Arabes sont venus, et puis les Russes, faisant grimper la valeur du terrain. Désireux à quatre vingt ans de profiter enfin de la vie, Galopin décida de faire construire une maison Phénix en dur sur le terrain, et il s’y rendit dans une vieille Mercedes achetée de deuxième main mais en bon état, dont il avait changé les plaques 500SE en d’autres moins voyantes 220 S.
Galopin est correctement habillé, il achète des costumes de marque chez Tangara, le soldeur, et des cravates chez Carrefour, en pure soie importée de Chine.
Tout ce que gagne l’entreprise de Galopin est réinjecté dans les machines, les locaux et l’expansion. Le personnel possède 25 pourcents de la firme, autant que lui. Il a donc coutume de dire à chacun de ses 5000 employés : tu gagnes autant que moi, tu es aussi riche que moi, puisque tu as aussi un quart de la firme ! C’est comme le pâté d’alouettes : moitié cheval, moitié alouette, c'est-à-dire un cheval, une alouette. Les cinquante autres pourcents de la firme appartient à une société holding qui comprend une cinquantaine de membres de la famille. Au début ils étaient trois frères et deux sœurs qui ont contribué avec leurs économies à monter la firme. Le génie de Marcelin Galopin les a fait fructifier. Jusqu’ici, tout était réinjecté dans la firme pour faire de l’emploi, mais avec l’impôt sur la fortune, les membres de la tribu, vivotant, n’avaient plus les moyens de payer, et se virent obligés de réclamer des dividendes pour faire face à l’impôt. Il ne leur restait plus beaucoup pour subsister, mais ils étaient devenus riches.
On l’a compris, Marcelin Galopin est un riche. Il n’est pas aimé par François Hollande ni par Ségolène Royal qui n’ont de sentiments que pour les pauvres.
Geffroy de Castet La Boulbène est sous-préfet. Il a fait l’ENA, et il a décroché une sous-préfecture obscure, mais très prisée, car c’est une de celles où on mange le mieux.
J’ai eu le privilège d’être invité pendant un week-end et je fus ébloui par le faste et le raffinement de son train de vie. Je passe sur les vins fins présentés par un maître d’O en queue de pie, qui déclinait avec onction les crus qui figuraient sur l’étiquette d’une bouteille sans doute vénérable mais invisible, le vin étant servi dans des carafes en cristal. Je ne fume pas, et c’est dommage, car les cigares servis à la fin des repas étaient d’une marque que je ne connaissais pas mais qui surclassait les Davidov pour nouveaux riches.
J’eus à ma disposition une voiture noire officielle, qui servait généralement à Madame la Préfète pour ses courses et mes moindre désirs étaient anticipés par un personnel stylé et attentionné. Monsieur le sous-préfet me détaillait les fastes de son installation, la qualité du service, mais ce qui le rendait le plus fier, était la chambre de Louis, son fils de six ans. Elle avait été redécorée par Christian Dior avec l’aide d’un psychologue spécialisé dans la décoration des chambres d’enfant. Tout avait été démoli, des vieilles moulures, des trumeaux, des meubles empire remplacés par des Stark, des planchers Versailles recouverts de moquette. Les murs furent recouverts de tentures exclusives représentant les voyages en dirigeable autour du monde, la moquette était assortie aux poufs et aux polochons, et d’adorables robinets marrants ornaient la salle de bains signée Capron.
Monsieur le sous-Préfet tenait table ouverte pour le plus grand prestige de la France. Ses voisins de promotion, des intellectuels de la régions, des journalistes, mais surtout beaucoup de nobles, de notables, capables d’apprécier un homard Thermidor, et de différencier un caviar molossol d’un sevruga de la caspienne. On chassait beaucoup et on parlait gibier.
Vous pouvez vous demander en quel honneur je fus convié à cette cour de nababs, quels services émérites rendus à la Patrie, me valut de mordre à pleines dents dans le budget somptueux prodigué par la République ? C’est simple, Monsieur le vicomte de Castet la Boulbène de Montereau la Rochefoucault, était un ami du premier mari de mon épouse, avec qui il jouait au bridge et au golf. Une solide amitié liait ma femme à la famille de Castet et surtout à sa femme Hélène avec qui elle partageait bien de grands potins et de petits secrets.
Ah, j’oubliais. Monsieur le sous-préfet Geoffroy de Castet la Boulbène est pauvre, ou du moins il n’est pas riche. Son train de vie dépasse certes celui de la plupart de riches industriels que je conseille, mais ses signes extérieurs de richesse le classent parmi les non fortunés. Et les signes intérieurs de richesse que je viens d’énumérer, bien succinctement, sont aussi tolérés que les trésors de richesse intérieure qui ornent l’esprit des philosophes confirmés. Monsieur le sous-préfet est donc aimé par François Hollande, à moins bien entendu, qu’il ne soit pas un UMP, un centriste, où un socialiste défroqué.
Bien entendu ceci n'est qu'un canular, et toute ressemblance avec des cas réels, serait purement fortuite.