Cinquième livraison
Le dernier talisman
Séquence 218 de l'Entretien, suite. p.1620 du vol.XXV
Il fut aussitôt arrêté par le tenace vieillard, qui en l’agrippant cette fois par le pan de la chemise qui débordait du jean, l’apostropha en ces termes :
- Ecoutez-moi patiemment, Monsieur, (il avait repris son vouvoiement et son ton était empreint de respect), si l’objet que je me propose de vous montrer à présent ne vous tente pas, il est à vous ! Je suis persuadé que vous êtes homme d’honneur et que vous ne simulerez pas l’indifférence pour vous l’approprier indûment.
Excédé, mais curieux, se maudissant de céder au racolage de ce bonimenteur de foire, Lars suivit l’homme au fond d’un réduit, situé à droite de l’arrière boutique. La fille et le gérant étaient restés à l’écart, le cagibi étant trop exigu pour que tous s’y tiennent.
Quand le garçon émergea du réduit, son visage était bouleversé. – Qu’est-ce que cela? murmura-t-il, il me le faut !
- Je vous ai tenté, il vous faut donc négocier, répondit calmement le personnage pâle, ses yeux perçants rivés sur le suédois comme ceux d’un faucon.
- Combien vaut-il ?
- Cet hybride a été obtenu par des manipulations génétiques interdites, frappées par le dernier moratoire. Son ADN a été trafiquée et cet organisme émet des phéromones tout à fait particulières. Celui qui parvient à les synthétiser, aura le pouvoir de domestiquer les élites les plus intelligentes de la planète, de les assujettir à ses moindres désirs pour les mener à leur propre destruction. Non seulement celui qui enfermera en lui la séquence interdite, anéantira ceux qui lui font obstacle, mais ceux-là concourront à leur perte avec un zèle victorieux, combattant leurs libérateurs. Cocu pitoyable, l’esclave remerciera son maître et les défendra au péril de sa vie.
-Pourrais-je assujettir de jolies femmes ? demanda avec une désinvolture feinte, le garçon dont les yeux brillaient d’excitation.
- Cela dépend. Le charme ne peut agir sur des êtres obtus, bornés et insensibles. Agissant sur le système nerveux, il capture les réflexes identitaires. Il se nourrit de l’ego des êtres libres, en les vampirisant. Le pouvoir provient de la séquence génique inscrite dans les portails quantiques protégés par la sphère de cristal. Songes-y. En t’appropriant du gêne mutant, dominant et inaltérable, il te sera donné de générer des surhommes. (Il avait repris le tutoiement). Ces mutants réaliseront le vieux mythe du Golem, le superbe monstre récurrent des films de Science Fiction, Mais ici nous sommes dans le réel. En te vendant « Maître du code génique dominant » je te donnerai le pouvoir de réduire à ta merci les intellectuels les plus brillants de la planète.
Mais voici. Son acquisition, tu ne peux plus l’acquérir à cause de ta morgue puérile. Pour mériter ce dernier talisman, fais-moi une offre, je la transmettrai au propriétaire.
- Je désire traiter directement avec lui, sinon, pas de marché, dit Lars qui s’était ressaisi.
- Rends toi à Berkeley, et demande un rendez-vous au docteur Armin Necromonte : voici son adresse, non loin de l’université. Mais je t’avertis, il est gourmand. Tu as eu tort de ne pas avoir voulu traiter avec moi. Je suis bien plus accommodant.
Sur ces paroles, il se détourna et partit aussitôt sans saluer.
Qu’y avait-il de si extraordinaire dans ce cagibi ? geignit la fille, tu m’as négligé, je n’ai rien pu voir !
Mais Lars ne l’écoutait plus. Plongé dans un cauchemar intérieur il murmurait des mots inarticulés : Berkeley, Necromonte, il faut que j’y aille ! C’est là que gît la réponse… Ma voie… Ma voie. La revanche. La maîtrise ultime… Je payerai. J’en ai la volonté et les moyens, et je les engagerai Satan dût-il empocher la mise !
Il sortit sans se retourner, comme un somnambule, la fille sur ses talons..
Demeuré seul, le gérant ouvrit un coffre mural dissimulé derrière la glace. Il en sortit une boite noire brillante, enfermant un récipient sphérique en cristal cerclé d’or. Une lueur bleutée émanait du centre de la sphère, pareille à la luminescence d’un gaz ionisé.
Le gérant frotta doucement de la pulpe de ses doigts boudinés le sommet de la sphère ; attirant à lui la lumière qui vira au rose saumon, vacilla, puis disparut. Au centre du globe apparut une tête ratatinée d’où provenait une voix flûtée à peine audible. Elle interrogea : - Tu commets une infraction. J’espère qu’elle est justifiée.
- Ce sont des louanges et non des admonestations auxquelles je m’attends : le poisson a mordu à l’hameçon, j’en suis sûr. Et quel poisson ! La force du requin, l’agressivité du piranha, la patience de l’araignée. L’idéal quoi ! Préviens le Maître. Le jeune type va se présenter sous peu, je gage qu’il se prépare dès à présent à une dure négociation. Il sera bien étonné quanr il connaîtra les termes du marché !
- Les acceptera-t-il ? interrogea la voix flûtée. Ils sont assez inhabituels.
- Oui. Sans aucun doute. Il ne souffre d’aucune inhibition et, bien guidé, efficacement soutenu, il se montrera digne des espérances que nous portons sur lui. Je l’ai bien étudié, à son insu. Il nous étonnera tous, vous verrez. J’en prends le pari.
- Range sans tarder les objets, reprit la voix, le lieu n’est pas sûr. J’attends le candidat pour l'introduire au Maître. Tu seras informé de l’issue de la confrontation. Va en paix.
Le gérant s’empressa d’obéir. Il remit dans sa boite le globe opalescent d’où avait disparu l’effigie, introduisit les objets dans le coffre-fort et rabattit sur la porte d’acier terni, la minable glace déformante.
Il s’éclipsa dans la nuit veloutée de la côte. On entendait au loin des rumeurs : une pulsation sourde et scandée de tam tam. Ils dansaient… Et le compte à rebours était initié depuis cinq heures.
Ils dansaient, cannibalement à l’aise, tout comme cinq cent cochons…