Le dernier cercle
L''enfer où Dante Alighieri se plut à fourrer ses ennemis, était fortement hiérarchisé. Le septième cercle, le plus proche de Minos, le roi des enfers, rassemblait la quintessence du mal, le mal absolu, l'infinité d'ordre supérieur de la perversion.
A propos de L'empire du Mal, inspiré par Elisabeth Costello, eight lessons, contrairement à l'auteur imaginaire de Coetzee pour qui il existait le mal absolu, contaminant rien que par son évocation, j'ai soutenu qu'il y a des hiérarchies dans le mal même infini des degrés dans les infinis, ce qu'admettent les franges les plus poussées de la théorie des nombres. Je m'oppose ainsi à ceux qui pratiquent l'égalitarisme jusque dans le jugement sur le crime. Par exemple on a entendu tel gauchiste de salon affirmer qu'un seul enfant mort, incrimine autant un agresseur, qu'une multitude d'enfants massacrés. A ce qui prétendent le contraire, ils reprochent de tenir une comptabilité de l'horreur. Ces âmes charitables font allusion aux victimes palestiniennes de l'état-bourreau d'Israël. Mais si on suit leur raisonnement, quelle nation en guerre peut se targuer de n'avoir jamais fait de mort innocent dans les rangs de l'adversaire, voire des malchanceux qui se trouvaient au mauvais endroit et au mauvais moment?.
La mauvaise foi de ces donneurs de leçon est facile à démontrer. Il suffit de leur représenter qu'ils sont du même camp que les pétainistes condamnant vertueusement les résistants, qui par leurs provocations aux forces d'occupation ont sacrifié en connaissance de cause la vie d'innombrables femmes et enfants. D'ailleurs la population française était exaspérée par ces anglais, qui avec l'approbation du traitre De Gaulle, détruisaient des villes entières comme le Havre. Et que dire des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers, d'enfants allemands massacrés par les bombardiers US?
Ces "philosophes" sont incapables de faire la différence entre l'homicide involontaire sous l'empire d'un combat, et le meurtre gratuit, assorit de viols, violences et tortures, commis à froid, en toute impunité. Ou plutôt cette différence il l'établissent bien, mais non en fonction de la gravité du dommage subi et de la perversion de l'intention qui l'a causé, mais selon qu'il est perpétré par un allié ou un adversaire.
J'ai expliqué dans Virus, le processus qui consiste à stigmatiser l'allié et tolérer le pire chez l'ennemi, par l'existence d'un noeud sémantique incrusté dans les replis les plus obscurs de notre psychisme (Jaynes le situe dans l'hémisphère droit du cerveau), processus suicidaire que j'ai nommé Médusa. Il dérive de la haine de soi, hérité de la haine du père, et par extension de ses racines familiales. Jean-Paul Sartre dans un accès de vision prémonitoire l'a décrit d'une manière saisissante dans Les Mains sales. Il devait y succomber par la suite et prendre la tête des suicidaires, ce qui n'ajoute rien à sa gloire.
Médusa use de mille procédés pour justifier l'autodestruction suicidaire. L'un d'eux est le syndrome de Stockholm anterograde, qui consiste à se mettre dans la posture d'un otage pour justifier le basculement dans le camp adverse. Mais souvent cette position provient du mimétisme, de la pression sociale du milieu intellectuel contaminé, ou tout simplement dela bêtise.
On peut à la rigueur justifier par des considérations matérielles le syndrome de Stockholm antérograde. Notamment la peur ou l'intérêt. C'était le cas de Munich, puis de la cour pressante et éhontée aux pires tyrans comme Staline, Kadhafi, Kohmeiny, Castro, Mao, et bien entendu Pol Pot, dont la prise de pouvoir a été encensée par Le Monde. On peut ainsi justifier l'empressement de l'UE à satisfaire le noble Kadhafi. Ce seigneur n'a jamais subi l'opprobre de Milosevic, pas plus que les khmers rouges et leurs séides.
Ce n'est qu'au bout de trente ans que les pires tortionnaires que le monde ait porté, commencent à rendre des comptes, alors que la plupart sont morts de leur belle mort, dans l'aisance et la sécurité. Je suis porté à excuser la population cambodgienne et les autorités, qui peuvent invoquer de légitimes raisons matérielles. Mais comment accepter le silence persistant des donneurs de leçon qui jadis n'avaient pas de mots assez durs pour stigmatiser l'occupation française au Cambodge, à la fois paternaliste et protectrice. Ce qui irritait les gauchistes, était l'enrichissement des coloniaux au dépens de la population. S'enrichir pour eux était infiniment plus répréhensible que tuer, massacrer, torturer, au nom d'une idéologie intouchable.
Encore aujourd'hui, les journaux les plus virulents, les plus exquisement sensibles aux humiliations verbales, aux mesures mêmes justifiées prise à l'encontre de nos pires adversaires, sont pudiquement réservés sur les atrocités que ceux-ci commettent dans l'indifférence générale. Que ce soit les égorgeurs et les massacreurs du FNL aujourd'hui au pouvoir et nous narguant impunément, ou les nations terroristes de l'Iran, de la Lybie ou de la Corée du Nord.
Or cette dissymétrie n'est pas anodine. La lutte persistante des intellectuels dits de gauche pour la démolition systématique de l'occident traditionnel "Force de la Terre," au profit des pires fanatiques, finit par peser sur l'opinion, et chloroformer toute faculté d'indignation des européens, les habituant à la soumission. Elle a des conséquences matériellement et moralement délétères. Qu'on pense au suicide de Kravchenko coupable d'avoir dénoncé les goulags, et harcelé par Sartre et les Lettres Françaises, au desespoir des résistants au régime soviétique, trahis par les intellectuels, gauchistes et communistes français en tête. Ces gens là ont opéré en toute impunité, ils n'étaient nullement obligés de prendre ces positions, ils savaient parfaitement ce qu'ils faisaient à l'exemple de Sartre qui ne voulait pas désespérer Billancourt. Ils ont contaminé des générations d'étudiants et tourné la tête à des légions de naïfs et d'imbéciles. On peut trouver à la rigueur des excuses aux nazis et des soviétiques qui peuvent invoquer le souci de sauver leur peau, mais point à ces gens, qui drapés dans leur bonne conscience et leur honorabilité, cautionnent le malheur du monde, l'infini de degré supérieur du mal essentiel. Ces gens-là, on peut les appeler des sépulcres blanchis, des pervers, des tartuffes, ou plus simplement des traitres essentiels.
Et c'est le dernier cercle que Dante leur a réservé.