Deuxième livraison
La découverte
Séquence 214 de L'Entretien
Pour lui être agréable et lui témoigner sa reconnaissance, car s’il était cruel, il n’était pas mufle, et aussi par lassitude, il la suivit dans la boutique de joaillerie. Partout de fines chaînettes, des petits cœurs, de minuscules médailles pendaient derrière une vitrine plate. Ils étaient en or disait la pancarte. 9 carats, songea Lars. Sur les présentoirs, à portée de main, d’énormes chaînes dorées, de lourds pendentifs, des colliers d’émeraude, des bracelets de rubis. De la verroterie.
Le gérant s’apprêtait à fermer boutique. Auprès de lui se tenait un curieux personnage : long, maigre, au teint cireux et au nez aquilin. Ses yeux très noirs brûlaient au fond des orbites profondes ; et il était vêtu d’une blouse grise comme en portent les taxidermistes et les épiciers. Il était en discussion avec le gérant et s’interrompit pendant que Lars négociait un bracelet de filigrane, le considérant avec une curiosité non dissimulée.
- Je remarque, jeune homme, que vous appréciez cette dentelle métallique. Si vous me concédez quelques instants, je vous en montrerai trois, chefs-d’œuvre incomparables et que je ne montre qu’aux amateurs passionnés.
Le gérant, levantin adipeux, était devenu obséquieux lorsque Lars avait reglé le bracelet – en or véritable 9 carats – sans trop marchander. Il fixait, étonné, le portefeuille bourré de billets de banque. Qui donc payait ainsi aujourd’hui si ce n’est les riches et peu distingués caïds de la Mafia russe ? Riches et puissant qu’ils étaient. Et violents parfois.
- Vous devriez examiner ce que le professeur vient de me montrer, des
choses stupéfiantes, de vrais talismans !
Lars se demandait quelle était la commission du bonhomme, mais la fille insistait, suppliante, avide, insatiable :
- Puisqu’il dit que ce n’est pas à vendre ; argumenta-t-elle, qu’est ce que tu as à perdre à les voir ?
Flairant l’arnaque, et cédant à la curiosité, le garçon consentit à examiner les objets. Il aimait bien jouer avec les faiseurs, les maîtres chanteurs et parasites de toute espèce, qui hantaient la Côte d’Azur, faisant l’âne pour avoir du foin, préparant ses appeaux, afin de les corriger sadiquement et de récupérer sa mise au centuple. Il se vit dans la glace étroite qui éclairait le fond de la boutique et eut honte, une fois de plus. Il ressemblait à un garçon boucher, râblé et pataud, boudiné dans des jeans trop serrés et un maillot de corps trop ajusté. Néanmoins cet aspect plébéien attirait les escrocs qui flairaient en lui la bonne dupe naïve. Les chairs douces et potelées du garçon servaient d’appâts aux requins, dissimulant une force indomptable et des réflexes foudroyants. Derrière le lac ensommeillé de ses yeux clairs, couvait la lueur meurtrière. L’argent, les filles et les maquereaux en humaient les effluves, plus séduisant d’être dissimulé sous une simplicité feinte.
Les jeunes gens suivirent le « professeur » dans l’arrière boutique. Le rideau de fer avait été baissé et la lueur douteuse de l’heure du loup, baignait le réduit, pénétrant par une fenêtre grillagée donnant sur un petit patio délabré. On apercevait un palmier un peu déplumé se découpant sur le ciel saumon du couchant.
Le levantin présenta le professeur, un dénommé Saint Hilaire, descendant prétendait-il du célèbre naturaliste Geoffroy de Saint-Hilaire, immortalisé par une rue bordant le jardin des Plantes de Paris.
- Je vais vous présenter trois objets de filigrane, respectivement en or, en argent et en acier platiné. Ils sont composés de fil tressé, tricoté, enchevêtré d’une manière qui confie à la magie. Il serait aussi vain d’essayer d’en découvrir la texture et le schéma de tissage, que de pénétrer dans les plus complexe des réseaux anastomotiques : celui infiniment ramifié de nos neurones.
Il s’exprimait dans un anglais rocailleux.