4 Le fils et son père
SÉQUENCE IX de L'Entretien
Deux ombres à cheval. Le ciel strié de rouges horizontales. La mer verte et noire, si froide, bat et palpite contre la falaise comme les flancs d'un poulpe échoué sur la grève. Les coquillages se sont tus, douceur d'algue pourrie.
CHANT DU GUETTEUR, voix rauque et sourde.
J'aimais chevaucher pendant de longues heures avec mon père, avant que celui-ci ne fût brisé en combat. Il nous arrivait d'aller très loin du côté d'Angelholm et de revenir tard dans la nuit, lune couchée et nos vêtements lourds de la sueur des forêts.Le retour n'était pas gai. Trop fatigués pour manger, nous nous couchions après nous être débarrassés de nos vêtements.
Je n'ai plus trouvé depuis de meilleur camarade que mon père. J'avais seize ans lors des derniers jours qu'il passa avec moi et il paraissait si jeune qu'on nous prenait pour de frères.
Il était mince, blond et plutôt frêle, mais son intelligence était prodigieuse et il me contait des choses extraordinaires, comme ces étoiles mortes qui brillent encore pour nous. Le crépuscule de notre dernière promenade luit encore dans mon souvenir ébloui.
Moi, j'étais robuste et père disait que je serais un fier lutteur et un rude amant aussi. Il était discret et ne me parla qu'une fois de ses aventures.
À cette époque je couchais avec une appétissante créature toute en fraîches rondeurs. Mais elle était stupide, sans cette naïve innocence des bêtes. Je m'en lassai bientôt ainsi que d'autres que je connus depuis. Lorsque je les étreins, elles se raidissent en des poses affectées, leurs cris de jouissance me paraissent feints.
Au sortir de ce bain d'anéantissement, je sombre dans celui du sommeil sans rêves... ou, si c'est le matin, je cours me plonger dans la mer toute noire.
Les yeux ouverts sur le passé, je songe à mon père et ne puis pleurer. Lointaine me parvient une voix déçue : à quoi penses-tu? Tu es froid, tu n'es pas gentil, viens contre moi. Et j'obéis.
J'erre de fantôme en fantôme. Dissiper le cauchemar, briser les murailles qui m'emprisonnent, l'armure qui m'enserre, donner sens à mon existence, mourir pour une noble cause. Je suis seul, faible, nu et affamé. Gare à qui se tient sur mon chemin. Je l'anéantirai ou qu'il me tue!