L'homme sera spirituel ou ne sera pas.
Cette formule d'André Malraux est appliquée au XXIe siècle. Elle montre une singulière préscience de la part d'un homme de culture et un penseur qui s'est distingué par ses positions révolutionnaires. C'est, qu'enfin, nous arrivons à une croisée de chemins, où l'homme est encore libre de choisir son destin. Il ne serait pas exagéré de parler d'Apocalypse à condition qu'on ne considère pas le titre de la prophétie de Jean, comme uniquement synonyme de cataclysmes et de terreur, mais aussi, sous son acception originale : Révélation.
On connaît la comparaison des phases de développement de l'humanité, à partir du stade agricole, puis industriel, enfin post industriel tourné ver l'informatique. Nous voici au seuil de l'ère de la communication, tant de fois annoncée ou dénoncée. C'est que comme la langue d'Esope, le déferlement des messages qui inondent nos canaux, nos réseaux, les librairies, et notre esprit sans cesse sollicité, peut être la meilleur ou la pire des choses.
Il ne faut pas à mon avis se laisser impressionner par l'état actuel de confusion, où les menaces médiatisées et sidérantes : pollution, terrorisme, violence, abêtissement de la majorité de la population par les mass media, masquent les bourgeons qui sont en train - timidement - de naître. Nous risquerions de perdre de vue ce qui me semble une prise de conscience d'un nombre croissant d'occidentaux.
La vogue pour le développement durable, pour l'écologie, pour la solidarité avec le tiers monde, pour la promotion de la femme à des postes-clé, pour la fusion du Yin et du Yang, est plus qu'une mode passagère. Elle annonce à mon sens un profond changement des mentalités; qui échappe hélas aux bureaucrates, mais commence à toucher les hommes politiques européens.Des prises de positions venues de toutes parts, des actions accomplies par des hommes de bonne volonté et souvent héroïques, ne sont pas isolées lorsqu'on les considère de loin, elles forment un sillage lumineux qui traverse le ciel comme une trace d'espérance.
Il est d'autant plus important et urgent de prendre conscience du processus spirituel qui est en train de s'accomplir et dans lequel les femmes sont parties prenantes, catalyseurs et dans bien des cas, leaders indiquant la voie.
La voie, aussi bien la psychologie de Carl Gustav Jung, que la spiritualité bouddhiste et le Tao, l'ont indiquée. C'est l'union des contraires, dont j'ai montré à propos de l'art, qu'elle confère la vie à un tableau. La femme en se réalisant totalement, grâce à l'acquisition de sa part Yang, jadis refoulée ou exaltée, concilie notre aspiration à la paix et au développement. Non seulement elle représente un but spirituel : la préservation de l'espèce, mais grâce à son sens du quotidien, sa répugnance pour les dogmes et l'abstraction, ses qualités d'empathie et de compassion sans sensiblerie, peut aider l'homme à développer sa part Yin jusqu'ici refoulée. Par ailleurs elle le fait selon son style propre, par capillarité. Alors que la force Yang pousse l'homme, le soldat, le militant, à se battre de front, de procéder par révolutions, la femme authentique, elle, procède d'une manière plus diffuse selon le paradigme du rhizome, elle gagne en douceur et en souplesse par adaptation, par petites touches.
Comme le montre l'opéra ultime de Mozart, La Flûte Enchantée, à Sarastro, le guide spirituel masculin, et à la Reine de la Nuit, la lilith Yin, succède le couple de l'avenir : l'homme et la femme, réalisés l'un par l'autre, par les épreuves et la traversée du feu et de l'eau. Chacun soutient l'autre dans son régistre, et comme le montre Ingmar Bergman dans sa merveilleuse lecture, c'est Pamina qui guide à travers le deferlement de l'eau, Tamino, Tamino qui fraye la voie pour Pamina, à travers les flammes. Eau, flammes, symboles ambivalents de destruction et de purification.
Je suis convaincue, pour avoir discuté avec beaucoup de jeunes, et aussi de cadres que j'ai connu à l'occasion des séminaires culturels que je dirige, que loin d'être une utopie, ou une vision exaltée, cette voie correspond à l'aspiration la plus ardente de tous ceux qui s'interrogent sur le sens de leur vie, de leur milieu familial, et de leur responsabilité envers la planète. Ils sont nombreux , et l'évolution du monde traversé par les excès Yang : l'appât du gain l'appêtit de conquête sans égard pour ceux que l'on piétine, la vacuité effrayante d'une télévision indigne, cette rapide transformation qui rend le monde méconnaissable pour ceux qui l'ont connu à la fin du siècle dernier, va hâter la prise de conscience déjà amorcée. Les digues du rationalisme obtus des bureaucrates, et de l'irresponsabilité des spéculateurs et des organisations financières, cèderont peut-être plus tôt qu'on ne le pense. Si ce n'était le cas, la faillite des schémas Yang hérités du siècle dernier risque de se solder par un désastre, qui évoquera davantage la première acception de l'Apocalypse : dévastation et haine, que la seconde : révélation et amour.