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13
La dernière porte
Mackensie vient du Wisconsin. Il n'est pas encore habitué à l'esprit New Yorkais et j'ai beaucoup de mal à lui faire comprendre des notions simples qu'un enfant cultivé à l'ancienne saisirait au vol. Je m'aperçois que je suis moi-même dépassé. Je ne connais pas Eminem et en revanche je sais ce qu'est le son d'un violon. Mac comme la plupart des américains ne connaît que son empreinte dans des écouteurs, de même qu'il ne connaît le goût de l'orange que par le tropicana acheté au supermarché. Je viens de réaliser qu'un abîme sépare ma génération de professeurs cultivés, de la masse des enfants du nouveau millénaire. Autant communiquer avec des aborigènes d'Australie ou des chamans de Mongolie. Alors, comment expliquer à ce gosse grandi parmi les ordinateurs et les jeux vidéo, ce qu'est la méditation profonde, le zen, l'oraison, les états extrêmes de conscience?
- Le zen, je sais ce que c'est. C'est comme dans les arts martiaux, le karaté kyokushinkaï. On arrive à des états magiques de concentration où tu peux abattre ton adversaire rien qu'avec la pensée. On voit ça dans Matrix et dans tous les films de karaté.
- Si tu veux. Mais ça va plus loin que les effets spéciaux de Hollywood. Par exemple, les initiés peuvent voir instantanément toute leur vie, comme figée en un instant unique. Il parait que lorsqu'on a un accident de voiture, ou encore que tu tombes du dernier étage de l'Empire State Building, tous les événements de ton existence défilent en quelques secondes interminables. Un nombre considérable d'informations est condensé en un temps très bref, en un instant. On appelle ce phénomène, un état hypnagogique. On atteint à un degré de lucidité impressionnant.
- Je n'ai pas envie d'essayer.
- Je t'accorde que se jeter d'un gratte-ciel n'est pas une expérience gratifiante, mais le yoga et la méditation te permettent d'atteindre le même résultat sans risque.
- Comment le sais-tu?
- J'ai connu des initiés hindous, des moines tibétains qui ont éprouvé ces sensations. Il parait que c'est unique, comme lorsque tu vois un paysage d'une montgolfière. Tout ce qui te semblait décousu révèle des relations insoupçonnées. Sans que tu perdes des détails tu appréhendes l'ensemble, comme l'oeil de l'aigle balaye de vaste espaces et tout en repérant un rongeur
à demi cache dans un buisson. Malheureusement, ces grands hommes n'ont me communiquer leur expérience. Il parait qu'il faut la vivre.
- C'est comme mon coucher de soleil sous les tropiques.
- C'est encore plus difficile. Ce que tu as ressenti je puis l'imaginer, mais pas ce que le moine zen en méditation a découvert dans cet état hypnagogique.
- Tu ne crois pas qu'avec des drogues on peut y parvenir? C'est plus simple que de faire du yoga.
- Non. Se droguer c'est tout les contraire. On éprouve au contraire un rétrécissement de la lucidité. Des images très fortes te saisissent, te transportent, mais te font perdre tout contact avec la réalité, toute compréhension, tout contrôle. Tout devient facile, mais faux. Quand tu sors du voyage, tu es vidé déprimé. Un jour on a demandé à Picasso s'il se droguait. Il a répondu qu'il avait essayé, mais qu'il avait aussitôt cessé. La vie lui semblait bien plus extraordinaire que les visions des paradis artificiels. Malheureusement, cet état hypnagogique est difficile à atteindre et à maintenir, encore plus difficile à communiquer. On l'anéantit en essayant de le transformer en images, en films, en paroles. Une sentence chinoise en deux caractères dit que la vérité qui s'exprime par la parole n'est pas la vérité éternelle. La dixième porte anéantit la notion de temps, d'espace, elle atteint l'absolu, l'éternité. Tout devient clair, logique, lumineux, limpide. Les contradictions se résolvent en un tout harmonieux. La vie a un sens et tu es émerveillé par la beauté de la création.
- Dis-moi. On dirait que plus les chunks se condensent, plus ils sont lourds, plus ils ont un sens pour nous. Le numérique, les modes d'emploi, ça me laisse froid. Les romans et les films c'est beaucoup mieux, mais l'expérience vécue, on ne peut pas la reproduire. Quand je vibre à Eminem avec tous mes potes, ou je fais du karaté, ça ne s'explique pas, je ne peux pas communiquer ce que je sens, mais c'est superfort. La dixième porte, c'est génial. Le mode d'emploi c'est nul.
- Tu as tout compris. La même information, tu peux la transmettre en un seul chunk lourd ou la fragmenter en une poussière de chunks légers, mais ce n'est pas rigoureusement le même. La fragmentation durcit le magma, les chunks légers se transportent mieux, ils sont plus durs, mais le sens est perdu. Au contraire les chunks lourds sont déformables, fragiles, pleins de sens, mais ils sont comme ces roses porcelaines des tropiques. Dès que tu les cueilles, elles fanent, quand tu veux les expédier au loin, elles se décomposent.
- Pas si on les met dans des containers réfrigérés.
- Bien sûr, le froid c'est la néguentropie, l'immobilité, la pâte se durcit. Mais tu ne peux pas mettre dans ton salon des roses porcelaines dans un container isotherme. Et dès que tu les sors de là, elles se décomposent comme une momie qui tombe en poussière lorsqu'on l'extrait de son environnement ultra-sec.
- Donc lorsqu'on compacte, ça a de plus en plus de sens mais on peut de moins en moins communiquer? Ce qui communique le mieux c'est le numérique, mais ça ne me dit rien, et ce qui est le plus passionnant, on ne peut pas le transmettre? C'est ça?
- Oui. C'est ça. Bien sûr tu peux compacter des chunks léger pour mieux les assimiler. C'est ainsi que tu transformes des 0 et des 1, en textes, en poésies, en films ce qui leur donne un sens. Mais ce sens, dès qu'il apparaît, tu ne peux pas le communiquer exactement aux autres. Il est personnel. ce qui a un sens profond ne se transmet pas parfaitement. Ce qui se transmet parfaitement n'a pas un sens profond. C'est tout le paradoxe de la communication. Les chunks lourds intègrent tout le passé, toute l'expérience de l'individu. Lorsque tu projettes le coucher de soleil des tropiques, ta vision est influencée secrètement pas ton souvenir du lagon bleu. Mais qui n'a pas vu le film ne peut comprendre ton ressenti. D'ailleurs, même s'il l'a vu, il peut ne pas réagir comme toi. Ce n'est pas le même Lagon bleu que toi, parce que le tien a fusionné avec des souvenirs qu'il n'a pas.
- Comment tu sais ça? La fille, j'en ai connu une qui lui ressemble et lorsqu'elle est partie j'ai pleuré pendant une semaine.
- Elle n'est plus revenue?
- On partageait tout. Puis elle a été à l'hôpital, et elle ... elle est morte. Une leucémie, comme dans Love Story. Quand j'ai vu le Lagon bleu j'ai pensé à elle, et quand l'ai pris le coucher de soleil, j'ai pensé au Lagon bleu. Tu as raison, les autres ne pouvaient pas comprendre... Je ne pouvais pas communiquer tout ça avec des mots, ça n'aurait pas passé. J'ai gardé tout ça pour moi.
- On garde toujours l'essentiel pour soi. C'est aussi cela , la dixième porte, celle des profondeurs, de l'intimité la plus indicible. C'est celle qui ouvre dans ton jardin secret. Toi seuls as la clé.
- Je comprends. Tu es content de moi? J'ai tout pigé?
- - Tout. Jusqu' à présent.Mais il reste un chemin à parcourir avant de comprendre ce qu'est l'information. Les chunking nous réserve encore des surprises.
Le chunk et l'instant
- Nous avons jusqu'à présente évoqué le cheminement de l'information, depuis l'idée, ce Hank que tu avais en tête et qui s'est matérialisé en un formant en pâte à modeler, pour aboutir, d'empreinte en empreinte, au terminus, mon champ de perception. Mais il est un élément dont nous n'avons pas tenu compte : la vitesse de transmission.
- C'est un problème purement technique. On fait des progrès pharamineux, aujourd'hui on communique avec le monde entier à la vitesse de la lumière. Kuku dit que grâce aux nouveaux serveurs, on peut transporter traiter et recevoir des millions de milliards d'informations en un milliardième de seconde.
- Ton père m'a dit que tu avais du mal à lire. Il t'a fallu un mois pour lire Le seigneur des anneaux et que tu n'es pas arrivé jusqu'au bout. Pourtant cela contient relativement peu d'information.
- C'est vrai, mais j'ai vu les trois films et j'ai aimé. Pourquoi lire les bouquins, il y en a pour des centaines de pages.
- Mais l'information est cent fois plus riche dans le roman que dans le film. Le film réduit l'histoire à sa plus simple expression afin d'être compris par les tous jeunes. Dis-moi en quoi la technique a multiplié ta capacité de réception.
- Je t'attendais là! Grâce à la toile je peux avoir en une seconde tous les livres du monde.
- Combien de milliers de livres as-tu lu sur ton écran?
- Je ne dis pas que je les ai lus, mais que si je veux, je peux les lire.
- Je te payerai une livre anglaise par livre, si tu me lis sur la toile dix mille livres en une semaine. Cela fait dix mille livres, tu peux acheter avec un superordinateur.
- Tu te fiches de moi.
- Mais pas du tout. Je ne fait que répéter tes propos.
- J'ai dit que je peux piocher dedans comme je veux.
- OK. Tu vas me chercher l'Iliade et me lire tout de suite le passage où Cressida trompe Troïlus.
- Je peux pas, il faut d'abord que je connaisse le livre.
- Il n'a que cinq cent pages.
- Il me faut deux mois pour le lire, et en ne faisant que ça.
- Alors cherche par des mots-clé.
- ...
- Ne te fatigue pas. Tu ne trouveras qu'un pièce de Shakespeare à ce nom. Pour retrouver le passage, s'il y est, il faut en effet déjà connaître des tas de livres. Alors, où est ta prétention d'avaler des tonnes de données grâce à la technologie moderne?
- Kuku dit que Bill Gates en une heure peut voir cinq mille toiles de grands peintres, provenant de tous les musées du monde. C'est génial.
- Comment y parvient-il?
- Il a dans son salon un mur de cent téléviseurs. Toutes les deux minutes les cent toiles sont remplacées par d'autres.
- Tu as vu Temps modernes de Charlie Chaplin?
- Non, c'est très ancien?
- Un robot fait dévorer au pauvre Charlot un maïs toutes les deux minutes. Essaie de t'imaginer en train de visualiser cent images compliquées en deux minutes, ça fait environ une par seconde. Peux-tu voir un tableau en une seconde?
- Bien entendu c'est pas possible?
- Pourtant Bill Gates peut avaler en une seconde un chef d'oeuvre de Rubens avec des quantités de personnages.
- C'est de la frime, c'est pour se faire de la pub qu'il dit ça. C'est nul.
- Pourquoi? C'est un génie de la technologie.
- Parce que même pour un super geek, le débit est limité. Le cerveau ne peut pas ingurgiter plus d'une certaine quantité d'informations.
- Nous y sommes. On a beau multiplier les informations, on se heurte toujours aux limites du cerveau.
- Oui. C'est pourquoi le futur appartient aux robots. Ils sont plus intelligents que nous. Ils peuvent avaler des milliards d'informations par seconde.
- Pour en faire quoi? Ils ne peuvent pas aimer, sentir, juger, ni penser, voir, entendre. Ils peuvent seulement calculer. Ils ne peuvent pas vibrer à ton coucher de soleil.
- Oui, si je les programme pour ça.
- Même si tu les programmes, il n'y aura jamais dans leur boite de fer blanc que des suite de zeros et de uns. C'est ça vibrer?
- Ils pourront automatiquement me dire "je suis emballé, c'est jouissif!".
- Mais le penseront-il?
- Comment je peux le savoir?
- Il suffit d'ouvrir leur cerveau. Là d'où part la jouissance. Chercher le terminus.
- Il n'y a que des zeros et des uns.
- Chez toi, le terminus c'est ton psychisme. Quand tu te souviens du coucher du soleil et que tu es enthousiasmé, tu as des zeros et des uns dans ta tête?
- Bon. J'ai compris. Les gens qui disent qu'un robot fait d'électronique pense, jouit ou aime, c'est de la frime. C'est nul et ceux qui y croient sont des nuls.
- Kukowki aussi?
- Il est très intelligent, mais il pense pas.
- Maintenant, dis- moi un peu. Tu as découvert que ton psychisme n'est pas une poubelle, ni une mémoire d'ordinateur. On ne peut pas lui déverser autant de tonnes d'information qu'on le souhaite. Le débit est limité. des études ont été faites pour le mesurer. As-tu une idée de ce qu'elles ont donné?
- Je ne sais pas. Mais je suppose que ça dépend des gens. Sinatra lit toutes les nuits des pages et des pages depuis qu'il est petit. Il me fiche un complexe d'infériorité. Moi après deux lignes, mon esprit s'en va ailleurs. Puis lorsqu'on a sommeil le débit est plus faible que quand on est passionné par quelque chose.
- C'est cela. Les études qu'on a faites au début pensaient que l'on pouvait au maximum avaler de 16 bits par secondes à 16 K par seconde.
- Y a de la marge.
- Pas assez, parce qu'on s'est avisé qu"un grand compositeur Gustav Mahler pouvait déchiffrer une partition d'orchestre en temps réel, à la vitesse d'exécution. Or cela pouvait atteindre cent fois la quantité maximum. On a fini par trouver la formule. Un homme ne peut dépasser plus de 7 plus ou moins deux chunks par instant. C'est à dire 5 à 9 chunks.
- Bon. C'est génial. Mais, attends, ça veut dire que tous sont pareils. Ce n'est pas possible. Par exemple lorsque j'apprenais à lire, je mettais une heure pour lire deux pages, aujourd'hui je mets dix minutes, et Sinatra les expédie en cinq.
- Tu te trompes parce que tu n'as pas pris garde aux unités. Lorsque tu divises des bits par des secondes, tu as des repères fixes. Une seconde égale une seconde, un bit, un bit. En revanche qu'est-ce qu'un instant? Et combien de bits vaut un chunk? Ce sont des notions variables, indéfinies.
- La formule 7 chunks par instant c'est une plaisanterie? C'est ce que tu essaies de me dire? Il faut abandonner l'idée de mesurer la capacité du mental?
- Pas du tout, il faut simplement relativiser. L'instant par exemple est défini par l'intervalle entre un état de conscience et un autre. Lorsque tous tes sens sont en alerte et que tu dois agir dans l'urgence, l'instant peut être très court. Lorsque tu es sur le point de t'endormir ou que tu dors, l'instant est étiré, puis supendu. Le temps ne s'écoule plus. Les yogas sont capables de suspendre le temps pendant plus de 16 secondes. Un automobiliste qui perd le contrôle de sa voiture et fait un tête à queue dans du verglas, vit à 16 instants par seconde. Tout se déroule comme au ralenti. Cela veut dire que plus tu es éveillé et attentif, plus tu reçois d'information par minute. Quant aux chunks, c'est simple, étant donné que tu ne peux avaler plus de sept chunks par instant, autant vaut faire appel à des chunks lourds.
- Pour recevoir le plus d'information possible, on a donc intérêt à avoir beaucoup d'instants par minute et à compacter l'information au maximum?
- Exactement.
- Mais comment s'y prendre?
- Par l'apprentissage et la volonté. L'attention et la concentration réduisent la durée de l'instant. La rêverie l'allonge. Il faut donc éviter les drogues, le cannabis, le laisser-aller et la paresse. Ou encore le beat qui t'hypnotise et efface toute sensation de durée.
- Mais c'est agréable de se laisser aller. Être tout le temps en alerte, c'est stressant.
- Dormir, c'est encore plus agréable. Et puis faire attention ce n'est pas être stressés, c'est se mettre en tension. et sans tension, sans courant, rien ne marche. Quant au chunking, c'est affaire de routine, et aussi de capacité de synthese, savoir prendre du recul, de voir les choses dans leur ensemble. Par exemple le débutant en échec, ne voit que quelques pièces à la fois, le grand maître plusieurs configurations simultanément, avec les conséquences des conséquences de chaque manoeuvre. Lorsque tu entends un morceau de musique, tu entends les notes une à une. Mozart pouvait visualiser d'un coup tout un mouvement de symphonie. Le professionnel d'envergure voit d'emblée le tableau d'ensemble, comme vu d'avion. Et l'avion va plus vite que la marche au ras du sol.
- Si tu as raison, ça veut dire que les génies comme Einstein, ont des visions qu'ils ne peuvent pas communiquer. Ils se situent au delà de la dixième porte!
- C'est exactement ça. Einstein avait une intuition, il pensait en chunks ultra-lourds comme les yogas ou les poètes. Après, pour communiquer sa vision il devait la fragmenter en chunks plus légers, plus durs : les formules mathématiques. Mais la création provenait d'une empreinte unique, immense et malléable. Il faut beaucoup de temps pour y arriver. C'est pourquoi il faut beaucoup d'expérience pour apprendre la sagesse.
- Mais on dit toujours que seuls les jeunes sont créatifs. Les vieux, ils sont dépassés. Après trente ans ils sont lessivés, à cinquante, on les met au rancard.
- C'est vrai pour des disciplines très spécialisées et analytiques, où on ne manipule pas de chunks ultra lourds. La biologie moléculaire, les mathématiques, le jeu d'échec, font partie de des sciences dites dures. En revanche, la médecine, le management, la sociologie ou le grand art, demandent toute une vie d'expérience cumulative, et c'est souvent à la fin de leur vie que les grands génies ont eu leur vision la plus grandiose. Le Titien a peint ses chefs-d'oeuvre à quatre vingt dix ans, et Goethe a commencé le sien, le deuxième Faust, à soixante seize ans passés pour le terminer à quatre vingt trois.
- C'est tout le contraire de ce que j'entends dire. Kukowski...
- Laisse tomber Kukowski. Il finira sans doute gâteux. Car tous ne sont pas capables d'évoluer vers la sagesse.
14
Magasins
- Dis-moi. Pourquoi lorsque je vois un tableau au musée, je me barbe. Je ne vois que des tâches alors qu'on me dit que c'est aussi beau que mon cocotier au soleil? Moi, lorsque je vois un poster avec une belle photo, ou même certaines images vidéo que je télécharge, qui montrent des glaciers, ou des animaux dans la jungle. Mais au Moma, où j'ai été avec Sinatra, j'ai vu des quantités de ces oeuvres où on ne voyait rien. C'est comme la musique classique. Quand j'entends du Jazz, ou des chants de Noël que j'aime bien ou Star and Stripe, il y a de la mélodie. Mais une fois Sinatra m'a mis un truc, un morceau de Brahms, et je n'ai rien entendu. Du bruit. J'ai vu aussi le film Amadeus que j'ai bien aimé, la musique d'ac c'était souvent joli à entendre mais toujours pareil. Pas de rythme, et pas de mélodie? Est-ce que c'est moi qui suis sourd et aveugle ou Sinatra est un snob qui fait semblant d'aimer parce que c'est chic?
- Ce que tu évoques là, est un problème très compliqué. C'est celui de la compréhension d'une forme, car une oeuvre d'art, comme tout ce qui t'entoure, est du magma formé, un support et une forme. Le plan d'assemblage se nomme la structure. C'est ce qui donne un sens à tous les chunks plus léger dont l'oeuvre est constitué. La plus grande erreur qu'on puisse faire, c'est de croire qu'une oeuvre existe comme ça, indépendamment de toi, et qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour la voir. C'est tout à fait faux. L'oeuvre tu dois la construire dans ton psychisme. Au départ il y a du magma psychique, des couleurs mélangées, des sons en désordre. Il n'y a pas de forme. La forme tu dois la construire toi même à partir de ce que reçoit ton cerveau, et pour ça il faut beaucoup de temps.
- Lorsque je vois ce poisson, il ne me faut pas de temps, je le vois instantanément, mais lorsque j'essaye de voir... tiens ce poster qui est sur le mur de la crèche, c'est un gribouillage.
- Ce poster, c'est un tableau de Klee. C'est la reproduction de sonorité ancienne, un de ses chefs d'oeuvre.
- Je vois une sorte de tablier sale avec des couleurs ternes.
- Combien de poissons as-tu vu dans ta vie?
- Je ne sais pas. Des milliers de poissons, depuis que je suis bébé.
- Tu as donc à longueur de temps fabriqué une empreinte du poisson qui est resté dans ton cerveau. Quand tu vois ce poisson, tu reçois un signal qui te permet de retrouver l'image qui est stockée en toi, dans une sorte de magasin de moules.
- Mais quand je vois un poster qui représente un nouveau modèle de scooter, ou que j'écoute un nouveau morceau de Rock, je n'ai pas de mal, et pourtant je ne les pas vu auparavant.
- Non, pas exactement. Mais tu as déjà en magasin des stocks de pièces détachées qui représentent des morceaux de tous les scooters que tu as vu et de toutes les mélodies que tu as entendues. En plus tu as les plans d'assemblage. Tu sais qu'un scooter a une structure déterminée, qu'une jolie fille a deux yeux, un nez, une bouche, des seins, et tu connais leur emplacement respectif. Le Jazz comme le Rock obéissent à des règles précises. Lorsque tu entends une mélodie, dès le début, tu sais comment elle va finir, parce qu'elle est déjà formée en toi. Tu n'as qu’à chercher les pièces en magasin, et de faire des retouches pour l'adapter à tel ou tel cas particulier. Mais lorsque tu as devant toi un morceau de Mozart, ou cette reproduction de Klee, il n'y a pas d'équivalent dans ton psychisme. Tu dois tout reconstruire. Sinatra, lui, quand il entend pour la centième fois un morceau de Mozart, a déjà formé le magma. Quand tu vois ton coucher de soleil, les cocotiers, la mer, le soleil à l'horizon, les couleurs du paysage, sont déjà enregistrées. Tu n'as qu'à les assembler d'une autre manière pour les adapter à l'empreinte extérieure.
- Tu veux dire qu'on ne reçoit pas une information de l'extérieur, comme un film enregistre des images et des sons? Qu'on la fabrique?
- C'est exactement ça. Tout au long de ta vie, tu prends des empreintes, tu forme d'après d'elles ton magma mental pour former d'autres empreintes que tu durcis et que tu stockes en mémoire. Quand tu vois un nouveau formant, tu n'as pas besoin de le recevoir en totalité, s'il y a déjà une grande partie de ses éléments dans ton cerveau. Tu complètes seulement la partie absente. Cela va beaucoup plus vite que de tout reconstruire. Plus simplement, quand tu apprends à lire, tu enregistres des mots et des phrases, et tu les attaches à des images. Mais il faut beaucoup de temps pour ça et beaucoup de répétitions. Lorsqu'une oeuvre est nouvelle tu as beaucoup plus de mal, que lorsqu'elle est familière. Dans le premier cas, tu dois tout construire, pièce par pièce, tu dois aussi deviner en tâtonnant quel est le plan d'assemblage. Dans le second cas,la plus grande partie des pièces détachées sont en magasin, il reste à compléter. En tout cas ton observation est juste : on ne reçoit pas une information, on la fabrique, en espérant qu'elle correspond au formant d'origine. Je vais te donner un exemple concret. Pense à une mélodie que tu aimes bien.
- Bon. Je raffole de blue chip, ça me remue.
- Tu l'as entendu souvent.
- Bien sûr, quand je fais du jogging, je la mets tous les jours, ça me dynamise. Et j'aime de plus en plus.
- Avant tu aimais donc moins?
- Oui.
- Et la première fois que tu l'as entendu ton blue chip?
- J'aimais pas tellement. C'est à force de l'écouter. Au début il y avait quelques sons que j'aimais, mais après je pouvais chanter la mélodie. C'est comme un polaroïd qui se développe. L'image apparaît peu à peu.
- Tu as exactement décrit la réception d'une information dans ton psychisme. Tu as pris progressivement l'empreinte de l'empreinte. Tu as formé ton magma mental, jusqu'à ce que toutes les parties du formant initial, celui qui était dans la tête du musicien, aient été reconstruites. Quand tu entends aujourd'hui blue chip, tu crois l'entendre. Tu ne fais que réactiver ce qui se trouve déjà dans ton cerveau.
- On peut dire, que lorsque dix mecs voient la même chose, ils l'interprètent différemment?
- Ils ne l'interprètent pas. Ils la fabriquent. A partir des informations qui leur parviennent, ils se servent des pièces en magasin, et des plans d'assemblage, pour les fusionner avec ce qu'ils perçoivent.
- Qu'est-ce qui se passe quand chacun a son plan d'assemblage, et qu'il ne coïncide pas avec celui de l'émetteur? - Un malentendu! Cela n'arrive pas quand l'artiste ou l'interlocuteur, partagent par leur éducation et leur formation, les mêmes images et les mêmes plans d'assemblage. Tous tes copains ont déjà vu des poissons, des nageoires, des yeux, des écailles, une queue, des branchies. Tu n'as qu'a modifier certaines parties pour fabrique un poisson particulier : Hank et le reproduire dans la pâte à modeler. Mais quand cette formation commune n'existe pas, chacun peut fabriquer sa propre empreinte, Comme le processus est inconscient, il croit vraiment que ce qu'il a sous les yeux ou les oreilles, est objectif, et il soupçonne ceux qui ne voient pas comme lui, de tromperie ou de mauvaise foi. En fait il ne s'informe pas, il se désinforme.
- C'est quoi la désinformation?
- C'est lorsque tu utilises un mauvais plan d'assemblage, et qu'il manque des pièces ou encore que des pièces étrangères se glissent dans la transmission.
- Qu'est-ce que c'est, un mauvais plan d'assemblage?
- C'est celui qui ne correspond pas à celui de l'émetteur. Lorsque je t'ai lu la pièce de Verlaine, tu avais un mauvais plan : tu croyais qu'une saison joue du violon. C'était absurde.
- J'ai pris les choses à la lettre alors que c'était des comparaisons.
- On appelle cela des métaphores. Prendre à la lettre est la mauvaise clé. Comprendre les métaphores, la bonne.
- Dis-moi. Pourquoi lorsque je vois un tableau au musée, je me barbe. Je ne vois que des tâches alors qu'on me dit que c'est aussi beau que mon cocotier au soleil? Moi, lorsque je vois un poster avec une belle photo, ou même certaines images vidéo que je télécharge, qui montrent des glaciers, ou des animaux dans la jungle. Mais au Moma, où j'ai été avec Sinatra, j'ai vu des quantités de ces oeuvres où on ne voyait rien. C'est comme la musique classique. Quand j'entends du Jazz, ou des chants de Noël que j'aime bien ou Star and Stripe, il y a de la mélodie. Mais une fois Sinatra m'a mis un truc, un morceau de Brahms, et je n'ai rien entendu. Du bruit. J'ai vu aussi le film Amadeus que j'ai bien aimé, la musique d'ac c'était souvent joli à entendre mais toujours pareil. Pas de rythme, et pas de mélodie? Est-ce que c'est moi qui suis sourd et aveugle ou Sinatra est un snob qui fait semblant d'aimer parce que c'est chic? - Ce que tu évoques là, est un problème très compliqué. C'est celui de la compréhension d'une forme, car une oeuvre d'art, comme tout ce qui t'entoure, est du magma formé, un support et une forme. Le plan d'assemblage se nomme la structure. C'est ce qui donne un sens à tous les chunks plus léger dont l'oeuvre est constitué. La plus grande erreur qu'on puisse faire, c'est de croire qu'une oeuvre existe comme ça, indépendamment de toi, et qu'il suffit d'ouvrir les yeux pour la voir. C'est tout à fait faux. L'oeuvre tu dois la construire dans ton psychisme. Au départ il y a du magma psychique, des couleurs mélangées, des sons en désordre. Il n'y a pas de forme. La forme tu dois la construire toi même à partir de ce que reçoit ton cerveau, et pour ça il faut beaucoup de temps. - Lorsque je vois ce poisson, il ne me faut pas de temps, je le vois instantanément, mais lorsque j'essaye de voir... tiens ce poster qui est sur le mur de la crèche, c'est un gribouillage. - Ce poster, c'est un tableau de Klee. C'est la reproduction de sonorité ancienne, un de ses chefs d'oeuvre. - Je vois une sorte de tablier sale avec des couleurs ternes. - Combien de poissons as-tu vu dans ta vie? - Je ne sais pas. Des milliers de poissons, depuis que je suis bébé. - Tu as donc à longueur de temps fabriqué une empreinte du poisson qui est resté dans ton cerveau. Quand tu vois ce poisson, tu reçois un signal qui te permet de retrouver l'image qui est stockée en toi, dans une sorte de magasin de moules. - Mais quand je vois un poster qui représente un nouveau modèle de scooter, ou que j'écoute un nouveau morceau de Rock, je n'ai pas de mal, et pourtant je ne les pas vu auparavant. - Non, pas exactement. Mais tu as déjà en magasin des stocks de pièces détachées qui représentent des morceaux de tous les scooters que tu as vu et de toutes les mélodies que tu as entendues. En plus tu as les plans d'assemblage. Tu sais qu'un scooter a une structure déterminée, qu'une jolie fille a deux yeux, un nez, une bouche, des seins, et tu connais leur emplacement respectif. Le Jazz comme le Rock obéissent à des règles précises. Lorsque tu entends une mélodie, dès le début, tu sais comment elle va finir, parce qu'elle est déjà formée en toi. Tu n'as qu’à chercher les pièces en magasin, et de faire des retouches pour l'adapter à tel ou tel cas particulier. Mais lorsque tu as devant toi un morceau de Mozart, ou cette reproduction de Klee, il n'y a pas d'équivalent dans ton psychisme. Tu dois tout reconstruire. Sinatra, lui, quand il entend pour la centième fois un morceau de Mozart, a déjà formé le magma. Quand tu vois ton coucher de soleil, les cocotiers, la mer, le soleil à l'horizon, les couleurs du paysage, sont déjà enregistrées. Tu n'as qu'à les assembler d'une autre manière pour les adapter à l'empreinte extérieure. - Tu veux dire qu'on ne reçoit pas une information de l'extérieur, comme un film enregistre des images et des sons? Qu'on la fabrique? - C'est exactement ça. Tout au long de ta vie, tu prends des empreintes, tu forme d'après d'elles ton magma mental pour former d'autres empreintes que tu durcis et que tu stockes en mémoire. Quand tu vois un nouveau formant, tu n'as pas besoin de le recevoir en totalité, s'il y a déjà une grande partie de ses éléments dans ton cerveau. Tu complètes seulement la partie absente. Cela va beaucoup plus vite que de tout reconstruire. Plus simplement, quand tu apprends à lire, tu enregistres des mots et des phrases, et tu les attaches à des images. Mais il faut beaucoup de temps pour ça et beaucoup de répétitions. Lorsqu'une oeuvre est nouvelle tu as beaucoup plus de mal, que lorsqu'elle est familière. Dans le premier cas, tu dois tout construire, pièce par pièce, tu dois aussi deviner en tâtonnant quel est le plan d'assemblage. Dans le second cas,la plus grande partie des pièces détachées sont en magasin, il reste à compléter. En tout cas ton observation est juste : on ne reçoit pas une information, on la fabrique, en espérant qu'elle correspond au formant d'origine. Je vais te donner un exemple concret. Pense à une mélodie que tu aimes bien. - Bon. Je raffole de blue chip, ça me remue. - Tu l'as entendu souvent. - Bien sûr, quand je fais du jogging, je la mets tous les jours, ça me dynamise. Et j'aime de plus en plus. - Avant tu aimais donc moins? - Oui. - Et la première fois que tu l'as entendu ton blue chip? - J'aimais pas tellement. C'est à force de l'écouter. Au début il y avait quelques sons que j'aimais, mais après je pouvais chanter la mélodie. C'est comme un polaroïd qui se développe. L'image apparaît peu à peu. - Tu as exactement décrit la réception d'une information dans ton psychisme. Tu as pris progressivement l'empreinte de l'empreinte. Tu as formé ton magma mental, jusqu'à ce que toutes les parties du formant initial, celui qui était dans la tête du musicien, aient été reconstruites. Quand tu entends aujourd'hui blue chip, tu crois l'entendre. Tu ne fais que réactiver ce qui se trouve déjà dans ton cerveau. - On peut dire, que lorsque dix mecs voient la même chose, ils l'interprètent différemment? - Ils ne l'interprètent pas. Ils la fabriquent. A partir des informations qui leur parviennent, ils se servent des pièces en magasin, et des plans d'assemblage, pour les fusionner avec ce qu'ils perçoivent. - Qu'est-ce qui se passe quand chacun a son plan d'assemblage, et qu'il ne coïncide pas avec celui de l'émetteur? - Un malentendu! Cela n'arrive pas quand l'artiste ou l'interlocuteur, partagent par leur éducation et leur formation, les mêmes images et les mêmes plans d'assemblage. Tous tes copains ont déjà vu des poissons, des nageoires, des yeux, des écailles, une queue, des branchies. Tu n'as qu'a modifier certaines parties pour fabrique un poisson particulier : Hank et le reproduire dans la pâte à modeler. Mais quand cette formation commune n'existe pas, chacun peut fabriquer sa propre empreinte, Comme le processus est inconscient, il croit vraiment que ce qu'il a sous les yeux ou les oreilles, est objectif, et il soupçonne ceux qui ne voient pas comme lui, de tromperie ou de mauvaise foi. En fait il ne s'informe pas, il se désinforme. - C'est quoi la désinformation? - C'est lorsque tu utilises un mauvais plan d'assemblage, et qu'il manque des pièces ou encore que des pièces étrangères se glissent dans la transmission. - Qu'est-ce que c'est, un mauvais plan d'assemblage? - C'est celui qui ne correspond pas à celui de l'émetteur. Lorsque je t'ai lu la pièce de Verlaine, tu avais un mauvais plan : tu croyais qu'une saison joue du violon. C'était absurde. - J'ai pris les choses à la lettre alors que c'était des comparaisons. - On appelle cela des métaphores. Prendre à la lettre est la mauvaise clé. Comprendre les métaphores, la bonne.
15
Shannon et Ross Ashby
- On peut se brouiller à mort pour des malentendus comme celui-là.
- On peut aussi déclencher des guerres. Plus prosaïquement chaque journal construit autour de chaque nouvelle venue du terrain un véritable petit drame. À partir des événements qui lui parviennent de correspondants plus ou moins fiables, il sélectionne certaines parties, en supprime d'autres, et monte tout cela selon un plan d'assemblage qui lui est propre mais qui ne correspond pas forcément à quelque chose de réel. Il fabrique ainsi une information qui ne coïncide ni avec la réalité physique (pense aux armes en Irak) ni avec la réalité psychologique ou sociologique (on suggère que les irakiens nous ont accueilli comme des libérateurs), cela bien souvent en toute bonne foi. La désinformation n'est pas forcément délibérée ou consciente, elle naît au coeur même du psychisme, cette région obscure qui nous échappe et nous anime.
- Il n'y a pas forcément des coupables d'après toi?
- Il y en a, ceux qui manipulent consciemment et délibérément l'opinion, mais tous ne sont pas dans ce cas. Le plus grand nombre est infecté par la désinformation et la transmet de bouche à oreille si bien qu'on finit par ne pas savoir qui a lancé la fausse nouvelle.
- Tu as parié avec Mom que je pourrais comprendre le grand théorème de ... je ne me souviens plus du nom du mec.
- C'est Shannnon. Il démontre que l'entropie est maximale à l'équiprobabilité.
- Tu as perdu ton pari. C'est quoi ce jargon?
- Du jargon. On peut dire ça plus simplement. Prends entre tes mains ce bout de pâte à modeler et fabrique moi avec, un serpent.
- Je ne peux pas. Il faut que je la fasse chauffer pour ça. Autrement elle reste poisson! Chacun des grains est fixe, il ne peut pas prendre n'importe quelle position.
- Tu peux déduire qu'il y a une forte probabilité qu'au dessous de la tête tu trouves des écailles, et au centre un oeil rond.
- Oui. C'est pour ça que je ne peux pas prendre une empreinte.
- Je viens de faire chauffer ton poisson. Fabrique-moi le serpent à présent.
- J'essaie, mais ça n'est pas très réussi. Tu n'a pas assez chauffé la pâte et mon serpent, il contient des bouts d'écaille et même un morceau de nageoire vers la queue. La pâte n'est pas homogène, elle fait des grumeaux.
- L'entropie est la qualité d'une pâte parfaite. La probabilité que chacun de ses grains se trouve ici ou là, est la même pour tous les grains, c'est ce qu'on nomme l'homogénéité. En langage technique on dit que le support de l'information est neutre. Ta pâte n'a pas une entropie maximum.
- Bien sûr. Il y a des grains qui ne sont pas indépendants, ils sont collés pour faire des écailles, de nageoires.
- Si l'entropie est la qualité d'une bonne pâte à modeler, elle est donc maximale quand la pâte est molle et homogène. OK?
- J'ai compris, je ne suis pas stupide.
- Lorsqu'elle est homogène, la probabilité qu'un grain donné soit ici ou ailleurs est identique. C'est ce justement ce que l'on nomme l'équiprobabilité. Si au contraire la pâte fait des grumeaux, elle contient des grains bloqués, figés dans une position donnée. La probabilité qu'ils soient n'importe où diminue. Si le poisson est complètement figé, tout la probabilité que le grain soit n'importe où est égale à zéro. Il ne peut se trouver que là où tu l'as mis.
- C'est ça le Grand Théorème?
- Oui. Il faut y ajouter un principe très important dû à Ross Ashby. Il est énoncé d'une manière sibylline "only variety can cope variety". En d'autres termes, si l'on veut contrôler un système, il faut que la variété du système de contrôle soit au moins égale à celle du système à contrôler.
- Encore du jargon.
- Quand tu veux contrôler ton adversaire au karaté, il faut que tu puisses prévoir son attaque, et trouver la riposte la plus adaptée?
- Oui. Autrement à la longue tu perds. S'il a dix coups, tu dois les connaître et trouver la parade.
- Or connaître, signifie prendre l'empreinte de ce qui se passe dans son cerveau, prendre l'empreinte de son jeu, de ses trucs secrets, de ses habitudes.
- Si on veut. Oui.
- Mais pour prendre une empreinte il faut disposer d'une quantité de pâte à modeler suffisante pour couvrir le formant. Si le formant a des détails très fins, comme la médaille de Lincoln, il faut disposer de pâte à grains aussi fins, autrement ils ne pourront pas épouser les moindres infractuosités du relief. Si le formant a un relief très inégal et très accusé, ce qui est le cas d'une statue, il faut également s'assurer que la pâte est assez abondante non seulement pour couvrir toute la surface de l'empreinte, mais aussi pour pénétrer dans les creux les plus profonds.
Mais même si ta pâte a l'entropie suffisante pour capter tout le formant, tu n'es pas sûr du résultat, car il est possible que tu te trompes en appliquant la pâte, elle peut être décalée et ne saisir que la moitié de l'original, par exemple. Mais l'essentiel de tout cela, est que tu ne peux pas assurer une transmission, si ton magma n'a pas la variété nécessaire, la capacité de tout saisir, en un mot l'entropie vive suffisante. Cette capacité comporte trois dimensions : la surface, le grain et la profondeur. Chaque dimension est souvent interchangeable avec les autres. Si tu manques de pâte, tu peux soit sacrifier le relief, soit préserver le relief, mais ne couvrir qu'une partie du formant, soit enfin sacrifier les détails en prenant une pâte à gros grains, donc à plus faible entropie, puisque la capacité de la pâte dépend du nombre de grains qu'elle contient. Une pâte qui n'aurait qu'une centaine de grains gros comme des petits pois, aura moins d'entropie qu'une autres composée de grains de sable, ceci bien entendu à volume équivalent.
- Un kilo de pâte à gros grains est-elle équivalente à un gramme de pâte comportant le même nombre de grains, donc des grains très fins.
- Tu es en train de faire intervenir un facteur nouveau qui ne dépend pas de la théorie de l'information. C'est la dimension, ou le volume, si tu préfères. Ce facteur a été systématiquement ignoré par les théoriciens car il n'existe pas dans les ordinateurs qui ont un grain uniforme : le bit et qui ne connaissent pas la dimension.
- Mais il est très important pour la sono. Une chaîne de mille watts c'est pas pareil qu'un écouteur de 1 watt.
- Je crois que le moment est venu de passer aux exemples concrets, empruntés à la vie courante. Pense un instant au coucher de soleil aux cocotiers, et fais appel pour simplifier à une caméra à film argentique, comme les Fuji ou les kodachromes que tu utilisais avant le numérique.
- Ça ne simplifie rien, le numérique est bien plus simple.
- On visualise mieux une dia qu'un stick. Admettons maintenant que je te demande de me prendre une image tellement fine et tellement réaliste, que je puis la reproduire sur un écran de 30 mètres par 10 mètres.
- Ce n'est pas possible. C'est presque la grandeur réelle.
- Oui, ce l'est. Lorsque tu a vu l'Odyssée de l'Espace le paysage où évoluaient les hommes-singes était une photo grandeur réelle. Que se passe-t-il si tu veux faire évoluer des personnages dans un décor de cocotiers?
- Je dois prendre un super projecteur qui agrandisse à la projection, mais le résultat sera affreux. On verra tous les grains de l'émulsion. J'ai déjà essayé de tirer en poster cette photo. Vu de loin ça passait, mais de près on voyait les pixels, c'était affreux.
- Quel autre choix pour atteindre le réalisme?
- Il n'y en a pas. Ou je rapetisse l'image, et le grain disparaît, mais elle n'est plus grandeur nature, je ne vois plus les détails, ou j'accrois la finesse en zoomant sur un détail et ce détail je puis le reproduire en grandeur réelle, mais ce n'est qu'un détail. Il faudrait que je prenne cent photos détaillées et que je les mette côte à côte pour reconstituer l'image. Ou encore, je peux prendre une photo grandeur naturelle et avec tous les détails, mais en sacrifiant la couleur. Je comprends ce que tu veux dire, lorsqu'il n'y a pas assez de magma, on perd toujours en dimension, ou en finesse, ou en couleur, ou en contraste.
C'est comme en musique. Si j'amplifie un mauvais enregistrement, tous les défauts apparaissent. La finesse du grain, c'est le spectre des fréquences, la dimension, c'est la longueur du morceau, le contraste c'est la dynamique, la quantité de magma, c'est le nombre de bits ou de pixels. Avec un CoolPix de Nikon de 5 millions de pixels, je peux avoir des images cinq fois plus nuancées, ou cinq fois plus détaillées qu'avec le vieux modèle de 1 million de pixels. C'est ce qui explique que si le signal est mauvais, tu as beau pousser le volume à fond ou agrandir l'image, tu tombes sur le grain.
16
L'illusion du réel
- C'est exactement cela. Il existe des fac-similés de magnifiques livres d'heures...
- C'est quoi, un agenda ?
- En quelque sorte. On les utilisait au moyen âge comme des espèces de calendriers emplis de prières, de réflexions et d'illustrations.
- J'en ai un que m'a donné Mom. Pour chaque semaine il y a une photo d'une star ou d'une grande invention, et il y a aussi les paroles des célébrités : Luther Martin King ou Woody Allen.
- Ceux du moyen âge sont des livres peints à la main d'une extraordinaire finesse de couleur et de détail. Tu peux en voir à la Pierpont Morgan Library.
- On la reconstruit.
- Va au Met alors et achète une bonne reproduction d'une miniature persane. Elle se différencie peu de l'original, vue à une certaine distance, mais si tu prends une loupe, alors que dans la miniature authentique, tu observes de merveilleux détails qui t'échappent à l'oeil nu, la reproduction ne te montre que des taches désordonnées de couleur cyan, magenta ou jaune.
- C'est le grain du magma?
- C'est cela. Il apparaît quand on amplifie trop l'empreinte et que le magma est trop grossier pour capter toutes les nuances. Mais il y a des gens qui n'ont jamais observé la miniature originale attentivement, ils ne connaissent bien que l'empreinte. Quand ils veulent l'utiliser pour approfondir l'oeuvre, ce qu'ils croient découvrir, n'est pas le détail mais les grains du magma. Agrandir une empreinte au delà de ses possibilités, c'est s'exposer à prendre le magma pour le formant, le désordre pour de la forme. Dans certains cas, la réalité qu'on essaye d'enregistrer est si détaillée, si nuancée, tellement immense, que toute tentative de la reproduire totalement échoue faute de magma suffisant.
- C'est alors le cas des savants qui veulent nous expliquer comment fonctionne la nature?
- Certains d'entre eux avec des mots réduits veulent décrire une réalité complexe. Ce sont les vulgarisateurs.
- On ne peut pas avec des mots simples, en quelques phrases pour tout le monde, expliquer le monde qui nous entoure?
- Non. On ne peut pas. Le faire croire est malhonnête. Il faut beaucoup de mots organisés d'une manière très subtile, pour comprendre notre environnement, et encore, il ne s'agit que d'une petite partie de la réalité. On doit toujours sacrifier quelque chose faute de magma mental. Ou on se spécialise, et on ne voit qu'un détail, ou on est généralistes, et on n'a qu'une idée très superficielle des choses.
- Mais lorsqu'à la télé Aron Philios, explique comment marche l'univers, le big bang et les trous noirs, c'est de la frime? Ou quand il explique qu'on a découvert où est Dieu, et qu'on l'a scannérisé dans le cerveau, c'est faux?
- Dans le cas de l'astronomie, il ne fait que montrer une grande fresque dans un timbre poste. Dans le cas de Dieu, c'est pire. L'idée de Dieu est le produit de mécanismes psychologiques d'une telle complexité, que nos faibles connaissances neurologiques ne suffisent pas à l'aborder même de loin. Il n'est d'ailleurs pas sûr que l'idée de Dieu soit du ressort de la neurologie.
-Je ne pige pas.
- La neurologie se sert d'un magma qui essaie de prendre l'empreinte du cerveau et des phénomènes qui s'y manifestent.
- Comment ça, un magma? C'est une science. C'est le contraire du magma.
- Les concepts dont se sert la science, sont composés de mots et de signes qui peuvent prendre n'importe quelle empreinte. Dans l'antiquité, ces mots étaient très peu nombreux, en nombre insuffisant pour décrire la complexité de la nature. C'est ce qui t'explique que pour se développer les sciences sont obligées d'inventer sans cesse de nouveaux mot, de nouveaux signes, en un mot, d'étendre la capacité de la pâte à modeler. Mais il n'y en a jamais assez.
- On a le vertige. Comment suivre?
- Il faut s'accrocher. Tu comprends pourquoi j'ai autant de mal a t'expliquer que toi à comprendre. Et si je simplifie, tu manque des éléments de compréhension sans le savoir.
- Malgré les progrès de la science, on ne peut toujours pas tout expliquer?
- Le magma est en quantité insuffisante pour représenter des mécanismes aussi subtils que la motivation, l'enthousiasme, l'amour ou la dépression. En gros, cela marche, comme vue de loin la carte postale de la miniature fait illusion. Mais si on entre dans les détails, on tombe dans le piège grossier de l'illusion. On se désinforme soi-même en prenant les taches de couleur élémentaires pour les composantes de la peinture de l'artiste. Lorsqu'on utilise la neurologie qui n'en est qu'à ses débuts, pour décrire en détail la créativité ou la volonté, ce qu'on découvre, n'est que des taches sans signification qui apparaissent, ce qu'on nomme le bruit de fond par rapport au signal qu'est l'empreinte du formant. Lorsque le grain du magma efface l'image, pace qu'on a voulu trop l'agrandir, on dit que le rapport signal-bruit diminue. On remplace l'information par de l'entropie morte, du bruit, du n'importe quoi sauf le formant original.
- Mais lorsque Bush explique la situation du monde, ça semble logique et simple, c'est donc de la frime?
- Grosso modo, vu de très loin, non. En gros c'est juste, comme vue de loin la reproduction fait illusion. Mais si tu entres dans les détails et le vif du sujet, ce qui est indispensable pour agir, cela ne marche plus. Les informations dont dispose Bush ne sont pas suffisamment fines pour passer à l'action. La CIA fait passer pour des informations du bruit. Elle désinforme Bush. Et Bush, désinforme ses électeurs.
- En classe tous le savent, mais on dit que Reagan ne mentait pas.
- Reagan, comme tous les politiciens et les hommes de média, essaient de reproduire de leur mieux le monde qu'ils essaient de contrôler.. Mais les moyens leur manquent cruellement. Le magma n'est pas suffisant, surtout quand il a des grumeaux qui font baisser l'entropie vive.
- C'est quoi les grumeaux?
- Ce sont les idées préconçues, les résidus d'empreintes mal effacées et qui superposent à la forme souhaitée, des fragments de forme passée, en altérant celle-ci. Bush junior a été influencé par son père et par ses convictions militaristes au lieu de prendre une attitude neutre et d'envisager toutes les possibilités. C'est à dire de brasser toutes ses idées de telle sorte que toutes soient à l'équiprobabilité. Puis prendre l'empreinte des faits. Or que s'est-il passé? Bush ne pouvait accepter l'idée que Saddam ne possède pas d'armes interdites, car il était prisonnier de l'idée inverse. Le magma n'était plus homogène quand il a commencé à se renseigner. Il était truffé de parties déjà imprimées, de fragments de moulages. Ils ont contaminé le magma dont l'entropie vive a baissé, un grand nombre de grains étant figés. Il en a été de même pour les gens de la CIA dont la pâte ne pouvait pénétrer dans certains détails, mouler certaines parties de la réalité.
- Moore et tous les ennemis de Bush ont donc raison?
- Oui. Mais tous les autres politiciens, pour ne pas parler des intellectuels qui le critiquent, se trouvent exactement dans le même cas. Pendant la campagne électorale, aucun journaliste ne peut relater les faits avec objectivité. Leur magma n'est pas à l'équiprobabilité. Les uns ne peuvent prendre l'empreinte de certaines parties du formant qu'est le réel. Les autres essayent d'analyser ce qui dépasse leurs possibilités de compréhension, et remplissent les trous de leur ignorance, d'empreintes étrangères héritées d'un passé mal évacué. Ils se désinforment, et désinforment les autres.
- C'est compliqué. Ma tête éclate, j'ai besoin de réfléchir à tout ça. Tu peux me conseiller un bouquin?
- Je viens d'enregistrer toute notre conversation. Voici une copie de la bande, il te suffira de la transcrire.
- Je vais donc transformer des chunks lourds, ta voix, en chunks léger, le langage. Je vais donc perdre de l'information.
- Tu as bien compris. Tu ne capteras plus ma force de conviction, le poids que je donne à tel mot, la vibration ironique ou chaleureuse qui anime telle phrase. Mais tu te dispenseras d'absorber les redites, les bégaiements, les silences inutiles, les digressions du réel. Les chunks durs sont meilleurs pour la communication, plus précis, moins déformables.
- Tu ne peux pas, plutôt que la bande, me donner une transcription sur papier du texte?
- Je n'ai pas le temps, mais ton Kukowsky trouvera la solution. Il a un certainement un appareil qui automatiquement retranscrit la voix en texte.
- Comment tu le sais? C'est un Toshiba formidable. On n'a plus besoin de savoir écrire, il suffit de parler à l'ordinateur, et il prend sous dictée, mémorise le texte, et peut même le traduire automatiquement.
- Tant mieux, voici la bande.
- Ecoute. Je préfère que tu me transcrive toi-même notre conversation.
- Pourquoi donc?
- Parce que l'ordinateur, il est bête. Les textes qu'il pond sont indigestes, c'est plein d'erreurs et on est obligés de tout retraduire en un anglais compréhensible. C'est trop long, il y a des redites. Tiens, voilà un exemple : l'ordinateur va écrire ce qu'on se dit en ce moment. Et ça n'a pas d'intérêt.
- C'est exact. L'anglais parlé n'est pas le même que l'anglais écrit. Les deux langues ne sont pas isomorphes, sauf en ce qui concerne le mode d'emploi d'un appareil. Le parlé est plus riche que l'écrit bien rédigé par un écrivain, il contient plus d'information car ses chunks sont plus lourds, mais cette richesse est un handicap. L'information supplémentaire n'a aucun intérêt et elle noie tes canaux de perception. L'ordinateur ne peut rédiger convenablement car il ne sait pas ce qui est important. Il ne peut que transformer des sons en des séquences de lettres ou de mots. Quant à l'interprétation d'un texte étranger, c'est encore pire.
- Je sais. Le Web est plein de traductions automatiques. C'est tordant au début, mais à la longue c'est fatigant. On se demande toujours ce que ça veut dire. Il faut vachement connaître le sujet pour comprendre.
- Sauf pour un mode d'emploi?
- Même pour un mode d'emploi. J'en ai qui ont été traduits de l'allemand, ou du japonais, par un ordinateur sans doute. Il y a des passages où tu ne comprends rien.
- C'est encore plus vrai pour les français, les allemands ou les italiens qui doivent déchiffrer des modes d'emplois rédigés en anglais. Bien que les textes techniques ou scientifiques soient isomorphes, on trouve toujours des expressions, des mots ou des phrases qui ne coïncident pas. Si on traduit mot à mot, c'est incompréhensible. C'est pourquoi une expérience très coûteuse menée au MIT, et qui prétendait traduire Tolstoï du russe en anglais, a échoué lamentablement. Ils avaient pourtant rassemblé une force informatique impressionnante. Tous les ordinateurs les plus puissants du monde ont été interconnectés et mis à contribution dans le système Multics. L'échec a été retentissant. Encore aujourd'hui, il faut l'aide d'hommes doués et expérimentés, même pour traduire des textes techniques. Bien entendu, quand il s'agit des chunks lourds de la poésie et de la littérature, la tâche est très difficile, car les langues ne sont pas isomorphes, ni même homomorphes. Traduire de l'allemand en anglais, c'est quelque fois utiliser une carte de New York pour s'orienter à Berlin. Le chinois et le japonais soulèvent encore plus de problèmes. Il est rigoureusement impossible de traduire convenablement des Hai-ku japonais et des sentences chinoises. Le système des idéogrammes a un plan d'assemblage totalement différent du notre.
- La comparaison avec une carte me botte. Lorsqu'on va dans des banlieues nouvelles, les vieilles cartes ne servent à rien.
- Elles sont périmées, et c'est particulièrement vrai à Shangaï ou à Tokyo où il est difficile de s'orienter si on n'est pas un chauffeur expérimenté.
La carte et le territoire
Je m'aperçois que je ne puis quitter mon sujet sans évoquer Science and Sanity de Korzybsky et la sémantique générale de Hayakawa. Mais il se fait tard et la crèche va fermer. Je prends une décision soudaine. Je ne puis décevoir mon jeune disciple et quand on a commencé un travail, il faut le mener jusqu'à la fin.
- Tu ne sais pas à quel point ton intérêt pour la question de la carte est justifié. Cette métaphore a engendré toute une discipline scientifique qui se nomme la sémantique générale, et dont la clé est la formule " La carte n'est pas le territoire". La sémantique générale, fondée par Korzybsky au temps où sévissait Hitler, s'est inspirée de cette comparaison. Elle montre que le langage est une empreinte imparfaite, c'est un médium chargé de grumeaux et qui impose ses empreintes propres au formant qu'est le réel. Quand tu veux saisir la pensée de ton interlocuteur, ou comprendre la portée d'un événement, tu passes par le langage. Mais celui-ci n'est pas neutre. Il a des résonances différentes d'un pays à l'autre et d'un groupe culturel à l'autre. C'est pourquoi les gens ne se comprennent pas quand ils appartiennent à des milieux différents. Ils croient que les mots correspondent d'un groupe à l'autre et que les plans d'assemblage sont universels. C'est surtout vrai pour nous autres américains qui croyons que les étrangers pensent comme nous. D'où les bourdes diplomatiques que commettent des Bush et des gens de la CIA qui ne connaissent pas le mode de pensée des arabes ou des français. Au lieu d'utiliser une bonne pâte à modeler, souple, homogène et fine pour prendre l'empreinte du réel, ils adoptent une pâte chargée d'empreintes mas éffacées, les idées reçues, leur esprit est rig