Le sourire de la Joconde
Lorsqu'on se promène dans un musée, on remarque que le spectateur non pourvu de guides interactifs, lit l'étiquette avant de voir le tableau. C'est qu'on n'apprécie pas de la même manière un portrait signé Raffael et un autre anonyme. La signature fait partie de l'oeuvre.
Ceci est encore plus marquant dans l'art contemporain. L'urinoir de Duchamp a ouvert la voie. En soi il ne vaut rien, sont intérêt vient du concept et de l'authentification de l'oeuvre. D'où l'intérêt de l'Art Contemporain : on est sûrs de la provenance et sans celle -ci le tableau ne vaut rien, il est bon à détruire, comme ces fresques de la cathédrale de Lubec, que tous admiraient et qui ont été détruites dès qu'on a su qu'elles étaient apocryphes.
Les chinois lettrés et amateurs des périodes Song à Yuan, jugeaient tout différemment. Ce qui importait c'était la qualité l'oeuvre, l'émotion qu'elle dégage, l'éclair de génie qui en fait un miroir insondable de l'ame humaine. Mais c'étaient des connaisseurs.
Je suis allé visiter le palais des papes à Avignon et en particulier une exposition où voisinaient des centaines de tableaux de vierges à l'enfant, tous oeuvres de suiveurs et d'épigones, et un seul tableau, de petite taille, qui représentait une vierge très jeune, d'une douceur indicible alliée avec une mélancolie légère et pensive, comme si elle pressentait la fin horrible de son fils. Ce tableau tuait tous les autres.
On a dèjà parlé dans ce blog du modèle en platre enduit de colle, du David de Michel-Ange longtemps suspect.
Ce modèle passa longtemps pour un faux, et Honneger qui l'avait devant lui pendant qu'il composait Le Roi David ne fit que soupçonner son origine tout en étant fasciné par la vitalité concentrée qui émanait de ce corps.
Aujourd'hui, un travail très documenté permet de reconstituer le périple de cette sculpture petite par la taille, immense par l'emprise qu'elle exerce sur le spectateur. On est frappé par la vibration qui émane du modelé, par la vigueur du jeu des muscles, pris d'après nature, et contrastant avec le modelé arrondi de l'oeuvre définitive, moins "moderne", plus platonicienne. Le critique qui se pencha pendant des années sur l'oeuvre, nous dit avec raison que si ce n'est pas Michel Ange, c'est de quelqu'un qui le vaut bien.
Un des artistes les plus difficiles à imiter est Leonard de Vinci, ainsi que le montrent les reproductions des très nombreuses copies de La Joconde,des faux et des douteux. Aucun n'arrive même de loin à égaler le mystère, le charme et la mélancolie du sourire de ses madones et de ses éphèbes.
Ce soir, une de mes amies, célèbre créatrice d'objets d'art et dépositaire de nombreux dessins et modèles de Vinci, me prépara une surprise.
Elle me raconta une histoire extraordinaire, que je résumerai ainsi. Un soldat français, au début deu XIXe siècle laissa en don à une famille noble piémontaise qui l'avait hébergé, un petit tableau sur bois en lui disant que le peintre se nommait Léonard. Pendant des siècles l'oeuvre, très crasseuse, fut négligée, tous les experts l'attribuant à des élèves du maître. La reproduction très médiocre ci-dessus, étaye la thèse de l'imitation à cause da la lourdeur des traits et la platitude de l'expression.
Mais un jour le petit tableau fit l'objet d'études très poussées, et d'une radiographie qui permirent de découvrir l'oeuvre originale, ensevelie sous le noir de bitume et les traits empâtés; en dégageant de sa gangue le tracé original on découvre avec stupefaction une des oeuvres les plus émouvantes de Leonard, et la seule vierge sans l'enfant.
Comparez la reproduction ci-contre avec celle au dessus, avant restauration et vous découvrirez pourquoi ce petit tableau n'a attiré que médiocrement l'attention des amateurs.
Il a fallu l'intuition d'un historien d'art pour deviner que derrière cette figure pesante, presque paysanne, se dissimulait le visage le plus émouvant, qui n'est pas sans rappeler la Vierge de Botticelli du PAlais des papes.
L'étude des pigments, le tracé labyrinthique de la genèse de l'oeuvre, n'apportent rien d'aussi probant que l'intuition foudroyante, que c'est bien Léonard qui a mis la main à la pâte. Plus vous voyez ce sourire, plus il vous émeut. Mélancolie, interrogation, sérénité cependant, infinie douceur d'une très jeune fille (encore sans l'enfant) traitement suprème de la chevelure, ambiguïté du sourire, tout dénote l'art du génie. Aucune autosuggestion ne nous trouble face à un chef d'oeuvre absolu. Nous croyons savoir que ce tableau sera vendu de gré à gré. Quelle valeur peut-il avoir? Il n'est pas sûr qu'il atteigne les prix d'un Damien Hirst. En effet autant les tableaux d'art contemporain sont prisés, autant les oeuvre plus anciennes sont délaissées, en particulier les oeuvres religieuses chretiennes. La vague de laïcité serait-elle passée par là?