Chroniques d'Italie N°4
Mon plaisir préféré est d'écouter des chansons d'autrefois, de Guantanamera à Volare nel cielo tutto dipinto di blù ! J'admets que cela ne vole pas bien haut, contrairement à ce que prétend la chanson de Modugno, mais il y pire. Et puis, Monica et Nello qui vous sourient ci-contre n'ont pas leur pareil pour vous plonger dans ce monde d'autrefois, ou tout était en effet dépeint en bleu espérance. Je me trouve avec mon mentor, fin connaisseur de la vie politique italienne qui m'explique en gros traits - ce sont les meilleurs, - les données du jeu à l'italienne. Ce n'est pas triste.
Les protagonistes du guignol sont pittoresques : à l'extrême droite, voici Bossi (à ne pas confondre avec Hugo Boss, plus connu internationalement) qui est plébiscité par les partisans de la lega, l'Italie du Nord, les familles industrieuses qui ont travaillé dur et ne veulent pas voir dilapider leur patrimoine par les paresseux du sud. A droite Fini fin politicien et l'incontournable Berlusconi, avec Forza Italia, un mélange de Force de la terre et de Matrix. On lui reproche d'avoir confondu ses finances avec celles de l'Italie, mais ses détracteurs - et la population - oublient que celle confusion n'est pas à sens unique. En effet pendant qu'il était au pouvoir, les déplacements en avion privé, toutes les restaurations des bâtiments publics et le train de vie qui n'était pas moins factueux que celui de Prodi, étaient pris à sa charge, sans qu'il n'en ait aucune obligation. Il faut avouer que pour l'homme le plus riche d'Italie, l'argent ne compte plus, c'est le pouvoir qui l'interesse. Quant à la gestion, elle n'était pas pire qu'une autre, et certainement supérieure à celle, catastrophique, de Prodi. On lui a reproché aussi de militer pour l'entrée de la Turquie en Europe, en signe d'obédience devant les Etats-Unis. En fait tous sont contre, y compris Prodi, qui tout haut s'aligne sur la politique européenne mais tout bas compte sur Sarkozy pour assumer le rôle de l'empêcheur de tourner en rond.
Prodi, est un politicien-né. Il ne connaît même que cela et en use avec les qualités requises : l'hypocrisie et la mauvaise fois les plus éhontées. Il est totalement l'otage de la gauche, de Veltrone, qui espère devenir le chef du parti de gauche dit démocratique et d'Alema le communiste, lui même instrumentalisé par une myriades de groupuscules d'extrême gauche.
Le résultat, on l'a vu, est loin d'être reluisant. On en vient en Italie à prendre comme exemple Sarkozy, en oubliant que lui aussi a fort à faire, et serait-il un homme de fer, comme l'a dépeint un livre écrit par un italien, Nava, il n'est pas sûr qu'il pourrait l'emporter sur le fanatisme idéologique qui s'est emparé d'une fraction de l'électorat français et qui est prêt à descendre dans la rue.
La glorification du contenant
Après cette leçon sommaire de politique transalpine, l’excellent homme examina mon panasonic Leica, la minuscule caméra qui m’a servi à prendre les photos qui figurent dans les chroniques italiennes. Il évalua sa résolution à 8,5 millions de pixels, ce qui ne signifie à peu pré rien, étant donné le taux de compression énorme utilisé pour le Web. Le problème de ce bidule était avant tout le contrôle de la lumière, le flash se déclenchant à tout bout de champ. Disons, que le résultat de cette merveille technologie s’apparentait à une carte postale de qualité moyenne, à condition de se trouver en plein soleil ou à la bonne distance.
A partir de là, suivit un panégyrique – mérité – des progrès de la technologie moderne. Il me montra son GPS pour piéton. Il était possible à partir de l’hôtel de savoir comment se rendre à pied à la station de taxis la plus proche, voir même de connaître le chemin le plus rapide pour sortir du parc. Mais l’enthousiasme le plus délirant était réservé à l’iPod de Apple. Il m’expliqua que son modèle nain pouvait contenir plus de 857 morceaux téléchargés, mais que le modèle normal pouvait en renfermer trois fois plus. Il suffisait de transcrire les morceaux de son ordinateur à l’iPod. On pouvait ensuite combiner d’une manière astucieuse et aléatoire, musique classique et rock, musique douce et chansons à succès, voire même des livres lus. Tout cela non stop pendant 24 heures de suite, sans avoir à toucher à quoi que ce soit : l’appareil de chargeait de la programmation : jamais on n’entendait deux fois de suite le même morceau. Et quelle sonorité ! Parfaite, stéréo, son pur, admirable, rendant justice à la musique orchestrale comme au chant ou au jazz.
J’examinai avec soin l’appareil : 192 euros en promotion au lieu de 250 euros, superbe net et noir comme le monolithe de 2001, L’Odyssée de l’Espace, mais en miniature. Il était tellement lisse, qu’on ne pouvait le saisir : il glissait entre les doigts comme une savonnette mouillée. On m’expliqua qu’on le mettait dans la pochette du tee-shirt et ainsi on avait de la musique non stop pendant qu’on jardinait, on marchait, on épluchait les haricots verts, on lisait le journal ou un roman, on remplissait un tableur, et, je suppose, quand on faisait l’amour. 24 heures sur 24, gratuit… on pouvait même acheter des programmes à 1 euro les dix morceaux. Les walkmans et autres produits de cette époque sont morts et enterrés.
Les surprises de la loi de Moore : la baisse dramatique du côut des composants
Deux réflexions peuvent être tirées de ce panégyrique. Tout d’abord les 8 gigabits, capacité de cette minuscule plaquette noire et plate. Mon interlocuteur avait de mal à imaginer qu’autrefois les salles d’ordinateurs totalisaient péniblement 512 K octets, et alignaient des disques encombrants et fragiles. Il aurait été encor plus stupéfait s’il avait pu entendre les railleries qui me furent adressées par les pontes de l’époque, lorsque j’osai évoque les conséquences de la loi de Moore. Elle postule que tous les 18 mois, la taille des composants est divisée par deux et leur capacité multipliée par deux. On appelle ce type d’évolution une exponentielle et les hommes ont une propension irrésistible à raisonner de manière linéaire à propos de progressions géométriques. On se souvient de l’histoire de ce vizir qui demanda au sultan, au cas où il gagnerait la bataille, de lui donner un grain de blé pour la première case, deux pour la suivante, quatre pour la troisième et ainsi de suite. Le vizir sortit gagnant mais avec la tête en moins : le sultan au début étonné par la modestie de la proposition, comprit à la trente deuxième case que tous les greniers de l’empire ne suffiraient pas pour couvrir l’échiquier.
Les déconvenues de la loi de Russell Ackoff : la quantité tue la qualité.
Autre réflexion. Je consultai la programmation du bidule. Cela donnait à peu-près : mourir à Sorrente- clair de lune de Beethoven – Ave Maria de Schubert – Amore o amore – Frank Sinatra 1 – le Docteur Jivago – danses de Mozart – Le tango de la passion – musique de film des grands succès hollywoodiens – la guitare enchantée de Bobo lo zingaro – etc…
A ceux qui sont tentés d’acheter tout Beethoven, tout Bach, ou tout Chopin dans ces énormes coffrets promotionnels, je dis, il vaut mieux acheter un seul CD par un grand artiste et l’écouter cent fois, que d’écouter cent CD de qualité inégale. La quantité tue la qualité et il faut réécouter une œuvre plusieurs fois pour s’en imprégner et l’assimiler, que de l’écouter d’une manière distraite, pendant qu’on fait ses comptes, ou hors contexte, au milieu de musique de divertissement et d’évasion. Au lieu d’attirer les gens vers le sublime, on rabat celui-ci au rang de consommable au rabais.
Quant au son merveilleux des deux minables écouteurs, il s’agit d’une manipulation visant à raboter toutes les aspérités, tous les accidents, et de délivrer un produit parfaitement lisse, propre et aseptisé. Les gens qui se contentent de cette climatisation musicale me rappellent un des thuriféraires de l’Internet en tant que remplaçant le musée qui me fit la démonstration suivante. Il me fit entrer dans la salle du Louvre où se trouvaient des tableaux flamands. On entendait les pas sur le pavement, on voyait les tableaux dans leur contexte muséal, on pouvait zoomer dessus. Mais cela demeurait toujours de l’ordre de la carte postale. Pourtant mon fanatique de l’Internet, prétendait que la qualité était tout à fait suffisante et on le croyait. Voyons, puisqu’il était l’expert !
Conclusion de Fruttero et Lucentini : (dans La Predominanza del Cretino).
Quoi qu'il arrive, l'homme saura toujours trouver une solution !