Chroniques italiennes
Tous les ans, de fin juin à la mi-juillet, j’occupe la même chambre dans le même hôtel, un des derniers palaces authentiques de la péninsule. Le propriétaire l’onorevole commendatore Bertolini (ils sont tous honorables et commandeurs dans ce pays, même votre serviteur !) dirige l’hôtel depuis que je le connais, c'est-à-dire au lendemain de la guerre, où je résidais à Courmayeur au « Royal Hôtel Bertolini ». Il ne payait pas de mine, l’hôtel, mais le service était de tout premier ordre avec cette gentillesse qu’on ne trouve pas chez le personnel compassé des Cala di Volpe et autres lieux pour le people. Là où je me trouve, la cuisine, l’accueil et l’environnement sont exceptionnels. Ma chambre donne sur un parc tropical, loin de la ville et de la plage, et les prix sont tout à fait à la portée de la bourse d’un commissaire de police (un des amis que je me suis faits, hôte de l’établissement depuis des années) que – pour les chambres de luxe, au niveau des russes les plus fortunés et de l’aristocratie la plus huppée. Le soir on voit la haute silhouette du commendatore, hanter les lieux, relever tel ou tel détail, mettre lui-même la main à la pâte… Il me rappelle de ce point de vue Gerard Mulliez en train d’inspecter, même après sa retraite, ses hyper marchés. Mais à la différence de Mulliez, l’obsession du profit et de l’accroissement sans limites de son pouvoir avait laissé indifférent Bertolini, qui au lieu d’acquérir d’autres établissements, avait au contraire vendu l’hôtel de Courmayeur à un groupe multinational, pour mieux se consacrer à celui de San Remo, dont il fit un véritable joyau, survivance d’un passé oublié, où la fusion du luxe, du calme et de la volupté sont une réalité concrète.
Hélas, tout a une fin. Bertolini nomma un directeur compétent allemand et moustachu, ayant fait des études dans une business school d’inspiration Matrix et dont la finalité du propriétaire devait paraître singulièrement limitée. Pensez qu’il se contentait de satisfaire au mieux une clientèle fidèle, appartenant en majorité à la classe moyenne, et se satisfaisant à son tour de tirer de cette maison qu’il adorait, de confortables appointements qui lui permettait de mener une vie tranquille et de satisfaire sa passion : réinjecter de l’argent dans le personnel, dans l’entretien et l’embellissement des lieux, dans la maintenance de son parc exotique, l’un des plus beaux d’Italie.
Grâce à ce directeur formé à l'école de Matrix, le bateau royal issu du XIXe siècle, dérive lentement pour gagner le large du XIe. Les prix montent, le moindre supplément est compté à prix d’or, les cartes et les menus sont hérissés de leurres et on essaye de justifier tout cela par des institut de beauté, des soins de balnéothérapie imaginaires. Quant au WiFi, ruineux, il ne marche que dans le salon. Cela m’oblige à rédiger mon blog sur mes documents, pour gagner les salons vers 5 heures du matin (vous connaissez mes horaires blog : de 1h à 4h30 du matin), et devoir accomplir des opérations de chiffrage dignes de la CIA. Je pense qu’à ce train, d’ici deux ou trois ans, le merveilleux hôtel se sera normalisé, prêt à accueillir des touristes recrutés sur l’Internet ou par la carte noire d’American Express et prête à entrer dans le nouveau monde de l’hôtellerie de masse.
Le parfait dirigeant Matrix
Petites chroniques
Tous les ans, à San Remo, je rédige les chroniques des petits événements qui font la joie des journaux italiens, mais aussi des plus significatifs. Le panorama de la presse italienne, de l’Unità et de la Reppublica à La Stampa et Il Corriere della Sera, montre un degré de désinformation général bien plus favorable que dans notre pays. L’affrontement entre les désinformateurs est moins violent. C’est que dans ce pays, les courants de pensée et les pratiques sont politiques. Même Prodi et d’Alema, sont d’honorables crapules politiciennes, et on peut toujours discuter avec des gens. Berlusconi, La lega, la Maffia, les communistes et les socialistes : mêmes enjeux, même mauvaise foi. Par-dessus le marché, on peut compter sur les italiens pour désobéir, frauder, et laisser chanter ceux qui les ruinent pour leur bien. Hélas dans notre pays, l’affrontement est entre des politiques comme Sarkozy et des idéologues comme les éléphants socialistes. Ségolène Royal en sait quelque chose, qui en authentique femme politique n’a pas hésité à honorer le drapeau français (Ô horreur pour Médusa !) prôner l’ordre et récemment avouer avoir cédé à l’idéologie socialiste, contre son gré en promouvant ces idioties que sont les 35 heures et le SMIG à 1500 euros. Que voulez-vous faire avec des gens avec qui tout dialogue est par définition impossible et animés du zèle de destruction le plus terrifiant qui soit, celui des révolutionnaires de 1792 ?
Les années précédentes, ces chroniques ont été calligraphiées dans L’Entretien. On y trouve des passages savoureux, comme la prise de bec entre Berlusconi et Schroeder qui finit par entraîner d’insultes en insultes, par la menace de la désaffection des teutons pour la péninsule. Les italiens s’excusèrent platement et le péril fut écarté. Un autre moment faste fut la coupe mondiale de FootBall. Je n’en manquai pas une miette, me faisant expliquer les subtilités du jeu par des supporters enthousiastes de l’équipe italienne.
Cette année semble plus terne. Et puis j’ai d’autres sujets de préoccupation. Attendons à demain la première revue de presse.