Le langage Médusa
Dans "virus, huit leçons sur la désinformation", Médusa représente la contre-culture, négatif parfait de "Force de la terre", aussi bien la version rétrécie, bourgeoise XIXe siècle que la culture humaniste héritée des Medicis. Les valeurs de raffinement, de politesse, de courtoisie, de logique, de réalisme et de culture d'élévation, sont prises à contre-pied et cèdent le pas aux bobos et gauchistes caviar, à la grossièreté, à la scatologie, à l'arrogance, à l'utopie et à la culture de divertissement.
Il n'y aurait aucun mal à cela, si ceux qui pratiquent le langage propre à ce noeud sémantique, ne prétendaient pas être cultivés, et pacifistes, ou tout au moins non violents. Les gens "bien elevés" étaient des hypocrites dissimulant des intentions agressives ou prédatrices sous des dehors policés. Il était facile d'en déduire, que les mal élevés, étaient des esprits généreux et tolérants, ennemis de la guerre et proclamant "mieux vaut rouges que morts".
Or, cela ne fonctionne pas comme cela. Il existe un effet de contamination entre les mots et les émotions, pour le meilleur comme pour le pire. Eco je crois, dans Apocaliptici e integrati, affirmait que por détruire une civilisation, il faut subvertir le langage. C'est ce que l'on constate dans le rapp, et dans bien des commentaires du Nouvel Obs. On pourrait même prétendre que les gros mots sont l'antichambre de la violence. Souvenons-nous du cas Zidane. Tout à commencé par la vulgarité insultante de Materazzi qui a déclenché la réaction compréhensible d'un homme dont la culture Yang, n'admet pas la lâcheté.
Décodage d'un commentaire
Il m'arrive de rendre visite à des blogs réputés comme celui de Le Meur, ou hier encore, à celui du Nouvel Observateur. J'ai été horrifié par le niveau de certains commentaires qui donnent une idée peu flatteuse du public de ces sites, et j'ai été réconforté par la tenue de ceux qui fréquentent le notre. Un exemple est la réaction de Christophe Diaz, qui à l'issue d'un débat où nous n'étions pas d'accord, a répondu simplement "merci". L'essence de la démocratie et de la tolérance, tient dans ce "merci".
De tous les commentaires reçus, je n'en ai trouvé qu'un seul qui se rapproche de ceux qui m'ont révulsé dans le Nouvel Obs. J'y ai répondu, mais sans l'analyser, en quelque sorte, j'ai lu l'information qu'il contenait mais non l'information derrière l'information. C'est ce que je vais faire à présent, non pas pour humilier ni pour dévaloriser une personne qui a pris la peine de dialoguer avec nous, (car nous partageons tous ces commentaires) mais pour la faire réfléchir et évoluer. Voici donc le commentaire.
Bonjour, je suis vraiment dégoûté par cette TVA sociale. Ce gouvernement fait des cadeaux aux riches et il les paye sur le dos de tout le monde. Et puis ces cadeaux sur l'immobilier et sur les impôts c'est bien pour ceux qui payent des impôts et ceux qui peuvent se payer un bien immobilier. En attendant les loyers vont encore augmenter. Pour ce qui est de la dette, on s'en fout, on a des missiles nucléaire donc personne nous fera chier pour ça.
Ce texte comprend deux assertions : la première est relative aux cadeaux faits aux riches la seconde la manière de régler la dette. Le style, si l'on ose dire, est différent. La première assertion est rédigée en langage vernaculaire, celui de Libé ou de Maroanne. La seconde en revanche utilise des mots orduriers de style Medusa, c'est à dire inversant exactement la correction et l'élégance de la langue française, comme étant celles des "beaux quartiers" et des riches. Concentrons nous sur la deuxième assertion.
Sur ce sujet qui préoccupe la majeure partie des Français, et qui montre que le pays dépense plus qu'il ne gagne, deux termes sont utilisés : on s'en fout, et chier. Je passe sur " missiles nucléaire ", qui est vraisemblablement une faute de frappe que je serais mal venu de reprocher, étant moi-même coupable des mêmes négligences. En revanche vous ne trouverez jamais dans mes écrits des mots comme s'en foutre ou chier. Le problème est qu'il n'apportent aucune information concrète au débat, sinon des dénotations déplaisantes.
La dénotation
C'est l'information contenue dans l'assertion et mise en bon français. On peut la concevoir ainsi.
Nous n'avons pas à nous en faire si l'on doit de l'argent puisque si on nous le réclame, nous menacerons le débiteur de guerre atomique.
Il s'agit là d'un postulat dont les dérivations sont pour le moins inquiétantes.
1. Lorsqu'on emprunte et qu'on ne peut pas régler notre dette, y a qu'a agresser le créancier.
Ceci est moins insensé qu'il n'y paraît. Après tout au mpyen âge, lorsqu'on devait trop d'argent aux riches banquier juifs et lombards il restait le recours à des manières expéditives : la spoliation ou la mort, toujours pour des raisons morales, bien entendu : on n'allait pas faire de cadeaux aux juifs et aux usuriers.
2. Lorsqu'on menace du feu atomique nos créanciers, ils se laisseront impressionner et annuleront la dette, pour ne pas déclencher un effet boomerang.
Autrement dit, alors que nous n'hésiterons pas à jouer les kamikases (puisque nous menaçons de provoquer une guerre atomique qui nous détruira également), nos adversaires-créanciers seront plus mûrs que nous et ne voudront pas courir le risque de détruire la planète.
3. Le raisonnement est réversible. Si nous sommes créanciers de gens plus pauvres que nous, nous admetterions, qu'ils nous menacent de l'arme atomique (le Pakistan ou la Corée du Nord) ou qu'ils s'efforcent de l'obtenir (l'Iran), ou encore nous approuverions le terrorisme islamique.
Il est donc tout à légitime pour une frange importante et dotée d'armes de destruction, de menacer la population pour en obtenir des avantages, en la considérant comme "riche" et "dotée d'un travail".
Cette interprétation est congruente avec la première assertion, plus atténuée. Nous savons tous que les "riches" (c'est à dire ceux qui gagnent plus de 4000 euros par mois, selon Hollande, qui peuvent payer leurs impôts et acheter le bien immobilier, selon le scripteur) sont surclassés en France, la preuve en est le choix de l'exil pour eux, c'est à dire pour ceux qui le sont ou veulent le devenir.
Ce que le scripteur appelle "cadeau", n'est pas de l'argent qui est remis à un contribuable (ce qui est le cas de ces avantages en nature donnés aux fonctionnaires, par exemple), mais simplement, une diminution de ce qu'on lui prend.
Ces dérives sémantiques sont importantes car, loin d'être le fait de l'auteur (ou de l'auteure (!) ) du commentaire elle est révélatrice de la mentalité d'une très large fraction de la population française. C'est elle qui motivait mon pessimisme concernant les chances de réussites de Nicolas Sarkozy, en dépit de son opiniâtreté (et celui de Delors qui estimait la France ingouvernable). C'est qu'on France ce ne sont pas seulement des organes qui sont malades, à la rigueur on sait les soigner, ce sont les cellules, et les cellules de la maladie sémantique Médusa, ce sont les mots.
Est-ce un hasard si "je m'en fous" et "chier" se trouvent dans la portion la plus haineuse, la plus irresponsable et la plus destructrice du commentaire?
Est-ce un hasard que le raisonnement qui sous-tend cette assertion conduit à la destruction de la planète?
Est-un hasard si la deuxième assertion prolonge et amplifie au niveau de la planète la première?
Est-ce un hasard si l'ensemble du commentaire provient d'une personne certainement honnête et intelligente, inconsciente de ces implications, qui loin de venir d'elle, flottent dans l'espace sémantique ambiant comme les spores d'un hybride monstrueux?