Contes et paraphrases
Les trois souhaits
Une variation sur un conte populaire.
Il était une fois un homme très riche et assez pingre, mais charitable, qui répondait au nom de Ali Sandagarao Mossa Saadi Bay. Il possédait une chaîne de souks prospères, mais était toujours sans le sou, car dès que des liquidités étaient dégagées, il achetait de nouvelles oasis, et construisait dessus de nouveaux souks.
Un jour qu'il se lamentait du triste état de sa trésorerie, il rencontra un pauvre vagabond qui lui demanda du travail, n'importe lequel, juste pour ne pas crever de faim.
- L'année dernière le sultan m'a fait couper la main droite pour me punir d'avoir mangé son perroquet préféré et un jour de prison pour avoir volé et étranglé son vizir. Depuis, avec un casier judiciaire aussi chargé, je n'arrive plus à trouver d'emploi et j'erre affamé, d'une oasis à l’autre.
- Mon ami, répondit le bon Ali Sandagarao, tout pêché expié doit être pardonné, et dans nos souks, nous pratiquons la main tendue. Ce que nous donnons, Allah nous le rendra. Passe voir David, qui tient le souk de Djebel Attarine et il te trouvera une place dans notre département de volailles cuites à la broche, une de nos spécialités. Tu travailleras seulement 16 heures par jour, ce qui te laissera largement le temps de dormir, de manger un bol de riz et de prier Allah. Si tu en fais davantage, un bel avenir t'est assuré. Pour l'instant nous sommes hélas bien démunis, car tous nos sous sont investis dans des terrains que nous n'avons pas fini de payer, mais dès que nous serons à flot, tu auras de quoi t'acheter un kaftan et une chéchia tous neufs et même si Allah le permet, une belle paillasse bien moelleuse.
Et voici, un prodige se réalisa : le vagabond se transforma en un puissant génie. Il tenait à la main trois chèques de banque d'un milliard d'euros chacun. (Car les pays de
la Méditerranée
venaient tous d'être incorporés dans l'Union Européenne).
- Tiens mon brave homme, voici de quoi améliorer tes affaires, mais fais attention, ne tarde pas trop à les employer car on ne sait de quoi demain est fait. » Ayant ainsi parlé, le génie s’évanouit.
Après s'être assuré que le chèques était bien provisionnés, Ali se précipita pour annoncer la bonne nouvelle à la mère Monstrovic, sa consultante préférée, mathématicienne d'entreprise et numérologue. Toute la journée ils passèrent en revue la manière d'employer de la manière la plus profitable le pactole.
- Je pourrais acheter Walsmart, et avoir comme ça la plus grosse centrale d'achat, que je pourrais serrer le kiki à tous les fabricants de la planète.
- Je ne suis pas d'accord, mieux vaudrait investir dans Murder incorporated qui s'est spécialisé dans l'intelligence artificielle. C'est la branche la plus up-to-date de la maffia. Ces mécréants utilisent les technologies les plus modernes pour casser les codes des ordinateurs géants. Sans se fatiguer, ils prélèvent des sommes colossales sur le flux mondial qui circule d'État à État. Et pour arrondir le magot, ils ont une succursale en pleine expansion qui pratique le racket informatique. Ils monnayent la sécurité des serveurs et font chanter les politiciens et les nababs en les menaçant de divulguer leurs comptes secrets.
- Et pourquoi ne pas acheter purement et simplement Murder incorporated ?
- Parce que leur cash annuel est supérieur au budget fédéral américain : plus de mille milliards de dollars et nous ne possédons que trois petits milliards d'euros. Faut garder le sens des proportions.
- Moi, ce que j'aimerais bien, c'est de placer ces trois petits chèques pour qu'ils me rapportent de quoi acheter
la Murder
inc. Je suis très en retard sur la technologie, et mon vizir Veribad me le reproche tous les matins.
- Hé bien c'est simple. J'ai ce qu'il te faut, répliqua la mère Monstrovic, attends-moi quelques instants. " Elle s'éclipsa et revint quelques minutes après avec sa copine la mère Arthur qui attendait vraisemblablement dans l'antichambre.
- Voilà. On va procéder d'une manière rationnelle. La mère Arthur dispose d'une boule de cristal infaillible qui détectera toutes les opportunités juteuses.
- En effet, dit la consultante, nous avons un logiciel infaillible qui à partir d'une analyse exhaustive de vos forces et de vos faiblesses, de l'état du marché, de la conjoncture socioéconomique, de la direction des vents, de l'hygrométrie des déserts, de la pression des plaques tectoniques et de quelques milliers d'autres paramètres importants, dressera la liste des actions prioritaires qui vous permettront de sélectionner la grosse affaire.
Sitôt dit, sitôt fait. Quelques milliers de têtes d'oeufs hyper spécialisés et hyper compétents issus de Stanford et de Harvard, débarquèrent dans les souks, fouillèrent tous les recoins, vidèrent les dossiers, les tiroirs, les poubelles, engrangeant les chiffres et les procédures qu'ils remplissaient dans de gigantesques coffres qu'ils nommaient banques de données. On eut dit des criquets. Plus le temps passait, plus ils se multipliaient. Et ils n'en avaient jamais fini. Quand Ali Sandagarao interrogeait
la Monstrovic
, elle répondait invariablement : « il faut les laisser travailler, ce sont des gens sérieux, la situation est complexe. » Enfin, sur un coup de colère dû à la facture d'un milliard d'euros présentée par la mère Arthur, Ali renvoya tout ce beau monde et appela à l'aide Veribad qui n'avait guère apprécié l'intrusion de
la Monstrovic. Ce
dernier vint le voir accompagné de Gregor Gregoriadis, un dirigeant de
la Société Pour
l'Exploitation de
la Communication
, de
la Robotique
, et de l'Électronique, (SPECTRE). Il était par ailleurs chaudement recommandé par Ben Marka, le directeur du merchandising à qui il lui avait fourni une boule de cristal très efficace. Elle permettait de savoir ce qui se passait dans la tête des millions de clients et d'en transmettre le contenu aux directeurs des souks.
Le dirigeant de SPECTRE, était grec, pondéré et sérieux.
- Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, » déclara-t-il, accompagné par un hochement de tête approbateur de Veribad. La mère Arthur est une entreprise multinationalement réputée et elle a fait un travail sérieux qui constitue un atout pour Ali Baba. D'ailleurs vos gros concurrents, les mécréants Caravane et Walsmart, vous l'envient. Le problème est que le modèle vous a fourni 230 184 options envisageables parmi 392 293 401 options répertoriées. Il suffit de raffiner ces résultats et d'en distiller la liqueur précieuse, le diamant limpide, la combinaison gagnante. Nos services comprennent non seulement la sélection, mais aussi le démarrage de l'option sélectionnée et son actualisation.
Sitôt dit, sitôt fait. Un an après l'entreprise était au bord de la paralysie. Les livraisons déraillaient, les lignes téléphoniques étaient surchargées, les commandes bloquées s’entassaient sur les quais ne pouvant être acheminées, les chameaux n'avaient plus de quoi se désaltérer, les clients commençaient à passer à la concurrence.
- C'est la faute de vos employés, expliqua Grégoriadis à Ali Sandagarao, en lui présentant la note. Ils ne sont ni assez performants ni assez intelligents pour comprendre notre formidable logiciel. Il faut les former ou les réformer. Pour l'instant on arrive à tenir le coup, en les coachant à raison de trois consultants juniors pour un vendeur Ali Baba. C'est ce qui justifie le milliard d'euros que nous vous facturons. Mais soyez confiants, après un dernier petit effort financier qui couvrira les frais de formation et d'actualisation vos concurrents vous envieront. Vous aurez le système le plus performant de la profession.
- Ali Sandagarao congédia le grec, en dépit des supplications de Veribad qui voulait sauver la mise et laisser une chance au système. Il fit venir un marabout qui avait déjà guéri son chameau, et lui demanda de rétablir la situation comme elle l'était au départ. Le marabout se récria.
-Vous me demandez une tâche surhumaine, je soigne, je ne ressuscite pas. Les souks sont infestés par toutes sortes de maladies technologiques qui ont pénétré comme des amibes dans tous les organes vivants. Mais pour vous témoigner ma fidélité je vais avec le secours d’Allah, tenter l’impossible. La désinfection sera lente et coûtera cher.
Sitôt dit, sitôt fait, le dernier milliard consacré au déparasitage, à quoi il faut ajouter un don de 100 euros à
la Mosquée
, permirent d’en revenir au système manuel de départ. Papyrus, calame et encre de seiche, assistés d’un boulier chinois et les choses purent reprendre leur cours initial.
Noël 2004.