La feuille de route du président Sarkozy
Sans complexe le président distribue à ses ministres leur feuille de route. Fayol un des pères fondateurs de l'organisation avec Taylor et Weber, et mon prédécesseur à la chaire d'organisation du CNAM, écrivait que les travailleurs seraient motivés par deux buts : être rémunérés convenablement et durablement, avoir une feuille de route, c'est à dire savoir exactement ce qu'on attend d'eux, et ce qu'ils doivent faire. Il ne leur appartient pas de tracer la route, les chefs le font pour eux et ainsi ils s'épargnent les cruels dilemmes générateurs d'incertitude, de responsabilité, et d'ulcères à l'estomac.
Le grand problème pour l'organisateur du travail a qui est confiée la tâche ingrate de décentraliser, n'est pas l'opposition sournoise ou ouverte des mandarins du siège, c'est la crainte des directeurs locaux de devoir trancher. L'autonomie leur fait peur. Elle n'est souhaitée que lorsqu'elle est hors de portée. Les locaux se plaignent alors bruyamment de leur manque d'autonomie et nous explique que s'ils avaient le pouvoir de décision, on verrait ce qu'on verrait. Mais prenez-les au mot, ils seront empoisonnés. Certes ceci ne vaut que pour une partie de la population, mais cela tient à plusieurs facteurs. Il est tout d'abord des gens qui détestent prendre les initiatives et préfèrent effectuer un travail animal, selon l'expression de Karl Marx. D'autres, en nette minorité, piaffent et se révoltent. Ils veulent bouger, ils veulent faire des choses, entreprendre, aller vers de nouvelles aventures, relever de nouveaux défis. Lorsqu'ils perdent, ce sont des révoltés, des hors-la-loi, des empêcheurs de tourner en rond. Lorsqu'ils gagnent ils deviennent des chefs, des leaders, des patrons. Entre les deux tempéraments, sinon génétiques, ou géniques, du moins astrologiques, on trouve les comportements dûs à l'environnement. Dans une société centralisée, les futurs-éventuels entrepreneurs sont découragés, usés, contraints à quitter l'organisation. Ceux qui restent sont châtrés et obeissent aux lois de Fayol : ils absorbent leur pitance et comme l'âne muni d'oeillères, s'en vont tout droit vers la retraite.
Ce qui est vrai pour une société, l'est aussi pour la société. La France comme la Russie, découragent les initiatives privées. Il s'ensuit une passivité de la population dont le rêve est d'être fonctionnaire, bureaucrate, professeur d'université, juge ou écrivain. L'action qui leur manque, ils la projettent dans le rêve, la fiction, l'abstraction. L'idéologie les dispense de réfléchir, ce qui signifie déjà agir mentalement, prendre partie, accepter paradoxes et dilemmes. Incontestablement le clivage entrepreneurs-fonctionnaires, est tributaire des croyances religieuses. Dans notre occident, les pays catholiques favorisent la relation maître-esclave et cela donne le paradigme impérial (monarchie absolue, catholicisme intégriste, national - socialisme, communisme, islamisme intégral etc). Les protestants se sont évadés du joug idéologique mais le payent par un opportunisme qui frise le cynisme.
Le président Sarkozy est, nous l'avons dit, il l'a dit et nous l'avons cru, un champion de Force de la Terre. Mais c'est sous sa forme dégradée, en témoignent son indifférence pour les choses de la culture contemporaine de haut niveau, et son attraction pour la sous-culture, confondue avec culture populaire. On ne saurait dire que son ministre de la culture, soit digne des Malraux, Jack Lang ni même de Guy le horticulteur et Duhamel l'agriculteur ! A notre avis il devrait annexer la culture de haut niveau, donner en exemple aux jeunes la vie des grands hommes. Certes, on honore les grands médecins et les grands physiciens, mais on ne prend guère risques; ceux-là préservent notre corps, ceux-ci notre activité technologique, dans les deux cas les conséquences sont matérielles. Tandis que promouvoir solennelement de grands compositeurs comme Dutilleux et Boulez, de grands peintres comme Soulages ou Mathieu, comportent deux types de risques. Le premier est l'incompréhension du public pour les avant-gardes et l'art de notre temps. Le second est le faible retour économique et politique du génie créateur artistique, par rapport au foot ou au show biz. On laisse alors les artistes aux ministre et conseiller culturel et on se réserve Madonna et Zidane.
Certes à gauche, Jack Lang honorait bruyamment Madonna, mais nul ne le lui reprochait car il protégeait aussi bien Buren.
La feuille de route présidentielle
J'ai à plusieurs fois affirmé que la haute culture est importante car elle impose le respect aux professeurs qui éduquent nos enfants, et aux journalistes qui forgent l'opinion. Et nulle pression économique et politique ne changera le fait que la haute culture est un brevet de légitimité pour une catégorie de citoyens dont le président ne se soucie guère, car elle comprend des parasites paresseux et prétentieux, des idéologues plus ou moins pervers, et une faible représentation électorale.
Mais le président aurait tort d'adhérer à des considérations quantitatives, valables pour le sport, les jeux et le divertissement compassionnel. Ce serait négliger les branches hautes d'un sapin sous prétexte qu'elles ne représentent qu'une faible surface de chlorophylle. Mais couper les hautes branches, et l'arbre cessera de se développer. Le président fixe la feuille de route aux ministres ravis. Mais il doit lui même tenir la sienne d'un principe supérieur qui ne saurait être la dictature majoritaire, ni le plébiscite. C'est toute la différence entre la République et la Démocratie. Le principe auquel il devrait faire preuve d'allégeance, est "Force de la Terre humaniste". Et cela implique un dialogue d'égal à égal avec le Dieux, pas ceux du stade, ceux de la pensée.