SEQUENCE 146
Section centrale de L'Entretien. Plateforme
Ouverture à la sous-dominante
Commentaires. Lars Hall a manipulé Valentin en lui faisant croire qu'Alexandre et Richard sont de lui, espérant ainsi motiver le mentor idéal des deux adolescents, tout en préservant sa propre liberté d'action. Lasse déteste en effet les liens de toute sorte (ce que les américains désignent par "entanglement" tout en aimant contrôler son entourage.
Le thème de la paternité des enfants est une "issue" incontournable des Soap Operas et il est lié au comportment de nombreuses jeunes et belles américaines mariées faute de mieux à des médiocres, et qui essayent de se faire faire des enfants par des mâles puissants. Lorsque Christine trompe Valentin tout en lui faisant croire que les enfants sont de lui, elle adopte une stratégie génétique assez courante.
La vallée des Montgolfières. Au chalet Kiruna, la nuit. Valentin Ludell ne peut dormir, hanté par ses souvenirs.
La vallée des Montgolifières est le "pays d'en haut", versant français de l'Oberland bernois, et dont le centre est Câteau d'Oex. Il s'y tient tous les ans, en février, un concours de ballons dirigeables. Le châlet Kiruna, résidence de vacances des Hartzmann, se trouve dans le quartier huppé de Gstaad, sur les hauteurs. Il est fréquenté par des maffiosi russes et des allemands fortunés.
Lasse voulait les mettre au Rosay. Vera comme à l'accoutumée était de son avis. Tous les week-ends ils viendraient au chalet et j'en profiterais. Eux, préféraient le collège où ils auraient retrouvé des copains de New-York., des activités sportives programmées et un environnement sympathique.
Alexandre et Richard Hall-Bentzinger! Enfin Lasse les avait reconnus : le prestige lié au nom et à l'argent leur ouvriraient toutes les portes. Les savoir de mon sang me consolait de leur nouvelle paternité. Je n'arrivais pas à me faire à l'idée que ces enfants, si différents de moi, je les avais engendré. J'en tirai une troublante satisfaction, une fierté inquiète. Je chassai l'idée que Lars m'avait menti pour atténuer le choc de l'adoption, mais elle revenait en filigrane comme une guêpe importune.
Lors de la dernière visite médicale, Christine s'était inquiétée. "Le médecin veut les faire examiner par un collègue universitaire. Ils se développent trop vite. A douze ans ils en paraissent quatorze ce qui risque de leur poser des problèmes. Et ils sont nyctalopes. Alex en particulier..." Sa voix je ne pouvais l'étouffer en moi.
En pensant à Christine, je recommençai à pleurer. C'était plus fort que moi. Je la voyais étendue, dormir tranquillement; je contemplais ses sourcils blonds, sont nez droit de statue antique; je jouissais du parfait bonheur conjugal, cette assurance paisible que rien ne pouvait entamer, pas même la maladie ni la mort. Christine était en moi, lovée au plus profond de mes cellules. Je la retrouvais dans ses enfants que je savais désormais être les miens.
Certes, bien souvent je ne la comprenais pas. Elle habitait les antipodes de ma sensibilité. Mais nous étions néanmoins complices. Elle et les gosses, me disais-je, vous étiez mes supporters. Richard et Alexandre avaient grandi dans l'admiration de leur professeur de père. La voix de Christine murmura à mes oreilles, persuasive : "Tu vois, ils sont fiers de toi. Ils dessinent des soleils, c'est bon signe. Des psychologues m'ont dit que le soleil est l'image du père. Et ils guettent souvent ton arrivée, lorsque tu es là, c'est la fête. Ils ne le montrent pas par pudeur, mais tu comptes beaucoup pour eux. Mais tu devrais les davantage les tenir. Ils sont durs, épuisants, trop déterminés. Il leur manque une autorité paternelle forte et tu es trop coulant avec eux! Autrefois mon père me donnait la fessée quand je lui tenais tête, c'était sain. Tu dois te faire respecter par les gosses".
Reconnaissant le bien-fondé de ses reproches, je décidai de lui donner satisfaction dès que l'occasion s'en présenterait. Ce fut le soir même. Je rentrais d’une épuisante réunion quand Christine, hors d'elle, se précipita à ma rencontre : "Valentin, je n'en peux plus. Donnerswetter! ils ont pris mon dernier nerf! Ils refusent de faire leur version allemande et ils ne cessent de se battre comme des voyous du Bronx! Et dans quelle tenue! Il faut qu'il comprennent que la tenue c'est important. Mon père..."
Je n’attendis pas la suite et je montai les escaliers quatre à quatre. Les enfants étaient déchaînés. Je tentai de les séparer et reçus une bourrade qui me fit perdre l'équilibre. Furieux, je me précipitai pour les gifler, mais l'un d'eux se glissa derrière moi et me maintint solidement, pendant que l'autre, c'était Alex, me fixait en riant de ses yeux verts étincelants. "Alors papa, on a recours aux arguments frappants? C'est que tu n'en as pas d'autres a dit la prof. Quand on en vient aux poings, c'est qu'il n'y a plus rien dans le cerveau!" *
Richard m'avait lâché et faisait front avec son jumeau. Interdit, puis furieux contre moi-même, j'éclatai de rire, inexplicablement. Eux se détendirent. " Tu vois, papa, on est plus forts que toi. Trop tard, il fallait le faire avant!". Je les regardai. Christine et son médecin avaient raison. Ils étaient plus grands que moi et beaucoup plus costauds.De la graine de trolls. Bien que faux jumeaux ils se ressemblaient comme des homozygotes... à l'exception des yeux, pers comme ceux de Christine, pour Richard, verts pour Alex : ce vert spécial, ourlé de violet, à la pupille mobile...
À ce stade de mes souvenirs je me sentis chavirer en proie à un éblouissement. J'allumai. Il pleuvait dehors et la fenêtre s'était ouverte, je ne sais comment car je l'avais soigneusement fermée la veille en me couchant. Je pensais aux yeux vairons de Lasse... Mais comment était-ce possible? Mes yeux sont certes d'un brun taché de vert, mais point de cette teinte unique qui m'avait toujours frappé chez mon ami!
Chancelant, frissonnant, je passai un peignoir et grimpai au second étage du chalet, là où se trouvait la chambre des enfants. Elle était parfaitement rangée et encombrée de mille objets plus ou moins identifiables dont un transmetteur de type militaire et des maquettes d'armements sophistiqués. La guerre, ses jeux vidéos ou physiques, ses récits et ses chansons, ses films et ses BD, était le centre passionnel des jumeaux. Ils ne rêvaient que de manoeuvres stratégiques, raids audacieux, commandos extraterrestres, prises foudroyantes de boxe thaïlandaise et d'aïkido... Certes bien des enfants de notre pays partagent ces passions et les petits garçons ont de tout temps joué à la guerre. Je m'en inquiétais d'autant moins que Christine trouvait ces divertissements virils appropriés et que la pratique assidue de la lutte et des arts martiaux, avait remarquablement développé leur corps et émoussé une émotivité déjà trop faible.
Ils reposaient côte à côte, couchés sur le grand matelas qu'ils avaient traîné à même le sol, nus dans leur boxer rayé : Alex, en chien de fusil, Richard, à plat ventre. Christine les avait habitués ainsi et j'approuvais, moi qui ne pus jamais me départir de mon maillot de corps. L'énorme couette était roulée au pied du matelas. Ils avaient toujours chaud, comme Lasse leur père nouvellement déclaré.
Attendri, j'hésitais à les réveiller quand Alex se retourna et me fixa : "c'est toi papa? Qu’y a-t-il?" A son tour Richard s'assit sur le matelas, étonné, clignant des yeux.
- Rien, mes chéris. Il pleut des cordes et je voulais vérifier que la fenêtre était fermée. La mienne était entrebâillée et il gèle dans ma chambre.
- Ce n’est pas pour ça que tu es venu papa, je te connais! Allons, accouche, dit Richard, en allumant la lampe de chevet. J'examinai ses yeux. À la lumière tamisée pas les reflets roux du bois de pin, ils étaient sombres. Mais Alex ne cessait de me fixer, ses prunelles étant réduites à une tête d'épingle, l'iris d'un vert jaune cerclé de violet m’impressionnaient. Se droguerait-il? m'inquiétai-je.
-C'est vrai ce que dit Richard, quelque chose ne tourne pas rond!
- Je pensais à Maman, elle nous manque tant... Vous devez vous sentir bien seuls. Vous savez combien je vous aime. Je serai toujours là pour vous.
- Ne t'en fais pas, dit Richard, tu sais qu'on n'a jamais eu peur de rien. Maman nous a dit de ne jamais compter que sur nous deux. Le monde c'est la jungle et tu es si loin du monde, papa. C'est pourquoi on a appris à se battre, et de toute façon si on nous attaque, Lasse est là pour nous défendre. Nous sommes ses vrais enfants, pas vrai? On a été contents d'apprendre que c'était lui notre père véritable. Maman nous parlait souvent de lui et elle disait que bien plus tard seulement on le retrouverait et qu'on formerait une vraie famille. Elle ne voulait pas qu'on vous en parle, ni à toi, pour ne pas te faire de peine, ni à Mafalda qui tchachte comme une perruche. C'était notre secret. On parlait toujours de Lasse, en suédois pour que vous ne compreniez pas tous les deux. Tu ne dis rien papa? Tu es triste? Mais on t'aime, tu sais, tu n'as pas besoin de faire cette tête. Maman dit... disait, que tu es un mimosa...Que tu crains de tomber dans la pauvreté. N'aie pas peur. Quand je serai grand, je serai riche et puissant comme Lasse. Je t'achèterai un chalet grand comme le Kiruna, à Gstaad, et un piano à double queue, et je viendrai te voir souvent. Je suis sûr qu'Alex pense comme moi.
- Je cessai de l'écouter. Je tombais de haut. Un mimosa ! J'étais un mimosa, le dindon de la farce, le cocu minable, pitoyable. Et comment annoncer la nouvelle aux enfants, leur dire que j'étais leur géniteur. Lasse avait raison " il ne faut pas ajouter un traumatisme à un traumatisme" me répétait-il. Il faut les laisser dans l'illusion que je suis leur père biologique. Je sanglotai. Depuis qu'elle était morte je ne faisais que fondre en larmes pour un rien.
- Ne pleure pas, tu es un homme ! Nous, on est là pour toi. Tu n'es pas seul papa.
C'était Alex qui s'adressait à moi. J'eus un nouvel éblouissement, un vrai malaise cette fois. Tout basculait à nouveau. Alex toujours couché en chien de fusil me regardait avec douceur. Ses yeux avaient viré: ils s'étaient assombris. J'approchai la lampe de chevet. Pers, ils tiraient sur le violet, cercle sombre cernant les iris. Les yeux de Lasse, pas ceux de Christine. Et Richard, à plat ventre, à demi redressé sur ses avants bras robustes, me fixait avec la même expression nostalgique que mon ami. Ces postures étaient inimitables et d'ailleurs où auraient-ils pu les apprendre?**
- On a été contents d'apprendre que c'était lui notre vrai père. Maman ne voulait pas qu'on vous en parle à Mafalda et à toi. Mais maintenant qu'elle n'est plus là...
Ma femme me plaçait sur le même plan que la brave cuisinière italienne qu'elle avait engagée sur annonces!
- On savait que c'était lui, reprit Richard.
Les enfants connaissaient donc la vérité et Christine leur avaient demandé de ne pas divulguer le secret, de le cacher à la cuisinière et à papa-mimosa!
- Bien, mes chéris, vous devez dormir, coassai-je, en titubant pour gagner la porte. Deux grosses paluches s'abattirent sur mes épaules et m'immobilisèrent.
- Papa, tu nous caches quelque chose, et on n'aime pas ça. On t'a dit quelque chose qui t'a peiné? Tu es fâché contre nous? C'était encore Alex, les yeux verts inquisiteurs de nouveau clairs et félins. Je le regardai comme s'il venait d'une autre planète. Son teint était clair et rose comme celui d'un bébé, la pulpe des doigts et des orteils rouge et charnue, le corps enrobé et musclé, la même texture de peau que celle de Lasse. Christine avait une peau plus mate, moins rose, moins blonde.
- Je crois que j'ai pris froid, c'est tout. Bonne nuit.... Je me sauvai, en chancelant, me précipitai sous ma couette, pris d'intolérables frissons de solitude, de froid, d'égarement... de terreur. Je flairais le piège. Il n'était pas derrière moi, dans la cabane de la sinistre plateforme***, mais devant, dans ce chalet cossu, aussi sûrement gardé que le Campanelli's Resort. Je tentai de sérier les évènements selon une nouvelle grille d'interprétation et commençai par énumérer les contradictions de la version de Lasse.
1. La paternité de Lasse ne faisait aucun doute, et il le savait. S'il avait porté les gosses sur son testament et reconnu leurs droits, ce n'était ni pour leur éviter un traumatisme, ni en mémoire d'une femme qu'il venait de liquider. C'est qu'ils étaient tout bonnement les siens! Il m'avait donc menti en me confiant qu'ils étaient de moi, mais dans quel but ?
2. Christine m'avait menti également, mais le récit des enfants corroborait sa version. Elle avait bel et bien donné des enfants à Lasse, qu'elle voyait en cachette, et il était dans le coup.
3. Christine n'avait aucune raison de dire que j'étais impuissant, puisque la paternité de Lasse était évidente, ce qui n'est pas toujours le cas. Lasse n'avait aucun moyen de la contredire puisque les enfants étaient les siens. Il m'avait menti également sur ce point. Quel intérêt avait Christine de tuer le père de ses enfants : Lasse, ou moi-même qui n'étais qu'un comparse? ****
Je ne poursuivis pas mes réflexions car je sombrai dans un sommeil profond et réparateur. Je connaissais enfin la vérité, une vérité que je pressentais sans me l’avouer.
NOTE de bas de page
* Tout ce passage est en grande partie autobiographique
** Il s'agit de la posture familiaire de Lars Hall, lorsqu'étudiant il se confiait à son mentor, Valentin, dans sa chambre du Plaza de New York. Allusion aux premières séquences de "Saga" relatant l'enfance et la jeunesse de Lasse.
*** On fait référence à un piège cruel que Lasse a dressé à Valentin, pour tester son dévouement et sa sincérité. Valentin a résisté à l'épreuve et a gagné son admission dans le cercle très intime du suédois.
**** Christine a été accusée de planifier la disparition de Lasse et de Valentin. Le suédois la soupçonnait d'être un agent de SPECTRE et il a agi de manière préventive. Mais le mystère subsiste sur le véritable rôle de la jeune femme.
.....  Dans le labyrinthe Le nombre important de visites reçues par les séquences de L'Entretien, m'a encouragé et m'a donné envie de compléter et de remettre en ordre, la série nommée "Saga" et dont le coeur est le duo d'amour entre Lasse et C
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