1 Premier thème. La mineur. Il est composé de quatre sections ou périodes : I, le thème fondateur en la mineur forte, II une réponse piano, III une reprise du thème fondateur modifié, IV une transition modulante aboutissant à une conclusion en do mineur.
1a 1 à 5. Quatre mesures fondatrices. Le rythme iambique _ - _ lui confèrerait un caractère masculin, n'était la double croche de l'appoggiature qui forme trochée. La seconde mineure descendante sur les degrés I-VII sur un rythme de trochée, est le codon de la plainte dans la musique expressive de Bach à Schönberg. Elle correspond au mot " we-he" (hé-las, ou mal-heur !). La batterie de croches qui soutient l'appoggiature est fortement dissonante.
1b 5 à 9. Quatre mesures p, répondent dans un mode interrogatif, soutenues à la basse par des accords dissonants, contenant la plainte.
9 à 13. Reprise de 1a mais subtilement modifié. L'appoggiature est remplacée par deux croches, adoucissant le codon de la plainte, d'autant plus qu'à la main gauche la dissonance s'est atténuée (un accord de seconde majeur au lieu de deux). De même le thème module passagèrement en si b majeur.
13 à 16. Ces quatre mesures de transition (chevauchant la période précédente) développent le codon de la plainte et marquent un court répit signalé par un "calando" : ralentissement en diminuendo aboutissant à un p. La modulation conduit à la tonalité tragique de do mineur.
1c 16 à 22. Conclusion en do mineur composée de deux mesures f reprenant le rythme iambique _ - _ et dactylique _ - _ _ _ répétées par un écho p débouchant sur trois mesures péremptoires signalant la fin du premier thème.
Deuxième thème. Do majeur. C'est l'opposition dialectique avec le premier thème : masculin au lieu de féminin, p au lieu de f, en do majeur, relative majeure de la mineur du 1er thème.
2 a 22 à 27. A partir d'ici un fil de doubles croches ininterrompu parcourt l'exposition jusqu'à la fin. Ces doubles croches régulières peuvent être assimilées à un fil à haute tension parcouru d'ondes électriques, ou encore à une onde porteuse parcourue par des lambeaux de messages. Le fil vers le milieu du deuxième thème, passe de la main droite à la main gauche, cependant que les messages vont de la main gauche à la main droite. Je reviendrai plus bas sur l'énigme posée par ce passage
Jusqu'à la mesure 27, on entend trois groupes d'accord sans grand intérêt qui ne semblent avoir été placés là que comme des piliers de soutien du fil de croches.
2 b 28 à 32. Ce motif est trop souvent joué comme un accompagnement alors qu'il s'agit d'un dialogue de deux voix : basse et ténor. Il rappelle un motif récurrent du passage de Don Giovanni où les personnages déplorent la mort du commandeur qui vient d'être assassiné. Afin de mettre ce motif en valeur, je varie la reprise, en faisant ressortir les messages véhiculés par le fil de doubles croches.
33 à 36. Transition vers 2 c
2 c 36 à 44 On entend un groupe de deux croches et une noire, sur un rythme masculin, - - --- (comme dans " c'est comme ça ! ) répété deux fois à la main droite, suivi par une péroraison qui nous ramène au groupe joué deux fois à la main gauche, le le fil de doubles croches passant dorénavant à la main gauche. Ces quatre affirmations péremptoires sont suivies par une transition 2 d, mesure 42 qui donne sur la coda 3. Un motif à deux voix ornées d'un trille furieux ou délicieux, selon l'exécutant, descend vers les basses pendant que le fil de doubles croches sombre par deux fois vers les profondeurs.
3 45 à 49 A la main gauche le grondement de doubles croches accompagne le rythme iambique provenant du premier thème et triomphant en do majeur .
Le développement
1'a 5Il commence d'une façon tout à fait classique par les quatre mesures du motif fondateur 1 a suivi de 55 à 58 par une transition rageuse composée une réitération rageuse de la dernière mesure de la mesure 53, analogue à la mesure 13 de 1 b, débouchant sur une chute rageuse f de doubles croches. La septième diminuée, codon du drame chez Beethoven, apparaît pour la première fois à la mesure 54.0 à 55
3'a 58 à 76. Ce développement de la coda est tout à fait exceptionnel dans l'oeuvre de Mozart. Il alterne les rythmes iambiques de la coda, avec un développement contrapuntique à trois voix accompagnée par un grondement de timbales menaçant à la basse. Deux des voix reprennent le dialogue basse-baryton de 2b mais sensiblement déformé. Entre les deux voix s'intercale une voix moyenne composée de tierces, généralement inaudible dans les interprétations habituelles. Afin de ménager une surprise, je ne la fais découvrir qu'à la reprise du développement.Ce passage modulant assure le lien entre mi mineur, et la tonalité originelle de la mineur. Les modulations sont les suivantes : mi-mineur, la mineur, ré mineur, la mineur. Le développement 3'a comprend plusieurs périodes :
58 à 61 couplage des deux cellules : rythme iambique et dialogue contrapontique en m mineur, joué fortissimo, nuance très rare chez Mozart.
62 à 65 reprise en la mineur, joué pianissimo, autre nuance rare.
66 à 69 reprise en re mineur, joué à nouveau fortissimo. Ces contrastes sont exceptionnels.
70 à 73 variante rageuse de la transition 2 d de la mesure 42 suivie par une seconde variante, où le trille est furieux, sans aucune ambiguïté et débouche sur les secondes descendantes de la plainte sonnant comme un tocsin. Une gamme chromatique ascendante grimpe jusqu'au motif fondateur 1a. Plusieurs pianistes font précéder 1a par l'appoggiature de l'exposition, ce qui est une erreur difficilement compréhensible.et qui figure dans les premières éditions, Mozart s'étant contenté d'écrire " Da capo, 8 mesures". Jouer l'appoggiature revient à casser la ligne ascendante qui mène à la réexposition, par une répétition mal venue de deux ré dièse.
La réexposition
Premier thème la mineur
Mesures 80 à 88. aucune différence avec 1 a.
88 à 94 Le motif fondateur est joué à la basse, pendant qu'à la main droite un déferlement dissonant de doubles croches, introduit un sentiment d'extrême agitation.
94 à 102 Comme dans l'exposition, mais au lieu de la tonalité de do mineur, celle de la mineur, originelle, est rétablie.
Deuxième thème la mineur
Mozart fait preuve d'orthodoxie : alors que dans l'exposition le deuxième thème est dans une autre tonalité : dominante ou sous dominante, dans la réexposition il est dans la tonalité originelle et c'est cette réduction de tension qui est la clef de voûte harmonique de la forme sonate. Orthodoxie, à une nuance près cependant. Au lieu de la tonalité de mi mineur (dominante de la mineur), il note dans l'exposition le deuxième thème, en do majeur (la relative majeure de la mineur). Cela renforce le contraste entre thème principal 1 et thème auxiliaire 2. Le mode mineur connotant la tristesse, et le majeur, la gaîté, le second thème apparaît dans l'exposition comme une lueur de bonheur, comme un épisode charmeur dans le drame en la mineur.
L'orthodoxie commande que dans la réexposition, le thème auxiliaire 2, soit dans la même tonalité - et modalité - que le thème 1. C'est précisément ce que fait Mozart, mais psychologiquement l'effet est inattendu. Alors que dans l'exposition le deuxième thème apparaît comme un épisode joyeux, dans la réexposition, tout espoir s'évanoui. Le second thème est dans la tonalité dépressive de la mineur.
Certes, on pourrait croire qu'aucune intention dramatique n'a motivé Mozart. L''assombrissement de la réexposition se serait due qu'à l'application mécanique des règles de la forme sonate. Mais on se méprendrait radicalement sur la signification de ce passage au mode mineur. Mozart a exploité ses possibilités expressives en les accentuant au delà de toute bienséance musicale, au point d'évoquer Beethoven pour les mélomanes. Voyons cela partition en main.
2 a' 103 à 109. Nous retrouvons le fil de doubles croches, en mineur et légèrement modifié, mais l'accompagnement acquiert une fonction thématique et psuchologique, car il consiste dans une succession de secondes mineures descendantes, le codon de la plainte.
2 b' 109 à 116. Le dialogue à la main gauche, déformé, prend une apparence singulièrement dépressive, due à la succession de secondes mineures alternativement ascendantes (soupirs) et descendantes (plaintes).
2 c' 117 à 126. Reprise en mineur des passages correspondants de l'exposition. Ainsi qu'on peut s'y attendre, le fil de doubles croches acquiert une connotation houleuse et quelque peu sinistre. Mais à la mesure 126 et à la mesure 127 explosent deux deferlements descendants de septième diminuée sur deux accords également de septième diminuée aboutissant à la coda en la mineur 3'.
Les trois derniers accords parfaits en la mineur ne sont pas arpéggiés, contrairement à leurs homologues en do majeur qui concluent l'exposition.
L'enigme Elle concerne la conclusion à partir de la mesure 126. On sait que Mozart voulait terminer vite et fort afin de déclencher les aplaudissements. De toute évidence les groupes "c'est comme ça !" et la conclusion martiale appellent le forte, qui rééquilibrerait l'exposition en faisant écho au début. D'ailleurs tous les pianistes le jouent ainsi. Mais ce n'est pas ainsi ! Les musicologues Füssl et Scholtz, tout en reconnaissant le bien-fondé sonore de l'interprétation dominante, sont obligés de se rendre à l'évidence : Mozart ne voulait pas de forte dans le deuxième thème et la conclusion, c'est à dire la majeure partie de l'exposition.
Discussion.
L'information délivrée par la partition autographe devrait faire foi. Mais elle est
contredit le sentiment unanime des pianistes et affaiblit la force expressive de cet allegro dramatique qui, si l'on suit l'autographe, finit en queue de poisson.
Comment expliquer ce mystère?
Deux catégories d'explications peuvent être invoquées.
1. La partition n'est pas un témoin fidèle, et on n'est pas tenu de la suivre.
Une des formulations de cette assertion est la constatation que les partitions ne donnaient que quelques jalons à l'intention des pianistes et se gardaient de noter des nuances que tout le monde connaissait à l'époque car elles faisaient partie des conventions stylistiques. Par exemple un f p représentait un diminuendo f>p.
Il résulte de ce point de vue, que Mozart n'avait pas besoin de noter un crescendo et un f qui coulaient de source. Encore aujourd'hui, il est difficile de terminer p ce mouvement.
2. Mozart savait ce qu'il faisait en s'abstenant de noter le forte. Il ne l'avait pas écrit tout simplement parce qu'il n'en voulait pas!
Les musicologues optent pour cette thèse. En effet si plusieurs sonates ne portent pas des indications, c'est qu'elles sont conventionnelles, ce qui n'est pas le cas des "perles noires", les oeuvres en mineur, rares parce que dépressives. Ce qui milite en faveur de cette thèse, est le soin tout particulier avec lequel le compositeur a noté les moindre nuances. Il suffit de lire les conclusions des autres mouvements et notamment du dernier. Bien qu'il soit évident de le terminer forte, le f est clairement noté. D'ailleurs la conclusion du deuxième mouvement qui devrait s'achever par un piano, est notée f.
L'information derrière l'information
Il est évident que derrière l'apparence de cette sonate, se cache une signification cachée qu'il nous faut découvrir et qui rendrait compte d'une anomalie qui n'est due qu'à une fausse grille de décodage.
Une première explication se présente de prime abord. En évitant de terminer f l'exposition et la réexposition, on met en relief le "climax" exceptionnellement violent de la partie centrale.
Il est une autre explication beaucoup plus subtile et qui suppose beaucoup d'imagination de la part de l'auditeur et ... du compositeur. Elle m'est apparue quand j'ai essayé de jouer selon les nuances originales. Je dois à Guy Sacre de précieuses indications. Il a le premier mis en évidence le caractère anormal du fil de double-croches. Notamment il comparait la main gauche de la coda, à un fil à haute tension. Je me suis aperçu que lorsque l'on joue p la fin des mouvements, comme le désire Mozart, on a une sensation étrange au bout des doigts. On ressent les ondes maléfiques qui courent au raz du plancher. C'est électrique. L'impression est annihilée lorsqu'on joue majestueux et fort. La musique se banalise. C'est précisément ce caractère maléfique qui a frappé Guy Sacre qui pense que cette oeuvre a quelque chose d'un exorcisme et qui lui évoque des flammes fuligineuses, des éclairs fulgurants, des vibrations qui courent au raz du clavier, vers les basses. (cf. la référence à Guy Sacre).