CHRONIQUE
MARCHANDS ET EXPERTS
J'en reviens au sujet qui me tient à coeur en ce moment : la constitution de la troisième fondation, cette réssurgence de la deuxième, condamnée par les experts
On connaît mon projet de base : réunir en un lieu restreint des œuvres significatives du patrimoine de l’humanité, qui parlent à tout le monde, érudits comme ouvriers, et provoquent un électrochoc durable. En tant que professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, dont je suis un pur produit, je fais corps avec ces courageux travailleurs, qui le soir et le dimanche, sacrifient leur vie de famille pour obtenir le diplôme d’ingénieur. Je sais de quelle curiosités, de quel sérieux ils sont capables.
Mon modèle a été au fond le musée des arts et techniques, qui a été fondé pour servir de cabinet de curiosités, de collection d’objets pédagogiques de démonstration, mais à quel niveau ! Le laboratoire de Lavoisier, la machine à calculer de Pascal, l’avion de Blériot en faisaient partie. Aujourd’hui on a construit autour de ces pièces maîtresses, un écrin muséal moderne.
Le but de ma deuxième fondation était de donner à voir les témoins de l’évolution de la pensée et de connaissance, pris à leur racine, quand ils sont pour la première fois diffusés auprès d’une élite restreinte de connaisseurs. On y trouve des manuscrits exceptionnels comme les heures de Bening, mais aussi les premiers tirages des premières éditions de monuments de la science et de la littérature : l’héliocentrisme de Copernic, les dialogues de Galilée, la découverte de l’Amérique par Colomb, le premier livre d’anatomie et ses planches démonstratives par Vesale, etc.
Comment décrire l’émotion qui s’empare des hommes les plus simples pour peu qu’ils veuillent s’élever, en contemplant, voir en touchant, la première encyclopédie médiévale, une pièce de bronze où se détache en haut relief un portrait d’une expression indicible de l’empereur Hadrien, ou de Brutus, l’assassin de Jules César. De contempler ce livre d’heures de padoue, de 1370, dont tous les caractères sont sculptés en or brillant, de feuilleter la masse imposante de l’exemplaire unique sur grand papier de la Grande Encyclopédie de Diderot, ou encore le célèbre livre à couverture verte, que l’on voit dans les reconstitutions historiques de la vie de Darwin.
Certes toutes – ou presque toutes – ces merveilles se trouvent entreposées dans les grande bibliothèques d’état à Londres à NewYork ou à Paris. Mais y avoir accès est une autre paire de manche. Par ailleurs elles sont noyées armi des centaines de milliers d’ouvrages de valeur. Dans ma fondation au contraire, toutes les pièces exposées sont visibles simultanément, autorisent toutes les comparaisons, dialoguent d’objet en objet…
La densité d’une telle collection est unique au monde et elle était en voie de constitution quand le sponsor : Misha, prit la décision funeste de s’adresses à des « experts ». Tous furent aussitôt violemment critiques pour des raisons opposées ou incompatibles. L’un prétendait que détenir un livre sous forme physique était un non-sens à l’époque de la numérisation, l’autre qu’on ne pouvait rivaliser avec les grandes institutions. Le plus grotesque des jugements concernait l’édition originale du Don Quichotte de Cervantès. On en déconseillait l’achat, prétendant que le chiffre demandé (2.500.000 €) était impensable, délirant. L’ignorance s’étala au grand jour : le dernier exemplaire de ce livre fut négocié pour quatre fois cette somme voici dix ans !
Malheureusement, malgré l’ignorance et l’obscurantisme de ces étranges experts, Misha les suivit et arrêta aussitôt les achats.
Aujourd’hui, le flambeau est repris par le jeune Axel Poliakoff mais celui-ci ne se fia pas plus que Misha à mon propre jugement. Il fit traîner indéfiniment les choses au grand dam des marchands de référence qui avaient manqué des ventes pour le réserver les plus précieux ouvrages. J’appris que sans me le dire, il voulait la garantie d’un expert, partant que quelle que soit la compétence d’un marchand, il ne peut être à la fois juge et partie. Dès que je compris cela je me mis en chasse des plus incontestables sommités de chaque département. Ainsi que je le pensais, les pièces que j’avais réservées étaient à un prix au dessous du marché. En effet depuis plus d’un an, elles avaient augmenté de valeur, comme toute les pièces exceptionnelles.
Je compte passer les prochains jours sur la Cote d'Azur chez mon vieil ami Igor le père d’Axel, et partisan de la fondation. Je compte l’éclairer sur la manière dont se font les grandes fondations d’importance muséale. Elles sont toutes nées de la passion de grands collectionneurs, et de l’orgueil de marchands d’envergure mondiale, fiers de participer à la naissance d’un musée. Par exemple la célèbre collection Yves St. Laurent – Pierre Bergé, a été édifiée avec Alain Tarica pour la peinture, et de deux grands marchands de premier plan pour l’orfêvrerie et l’Art Déco. Les rares pièces achetées à droite et à gauche, comme le faux della Robbia dont j’ai fait l’acquisition (ravalée depuis) se sont révélées douteuses.
J’ai constitué des collections muséales parmi les pus importantes du monde, et j’ai souvent acheté aux enchères. Mais jamais directement mais par l’entremise d’un de mes marchands de référence. Un seul problème se posa, avec Albi Rosenthal, qui avait comme client et votre serviteur, et la Piermont Morgan Library. Il me le dit franchement : il faisait le jeu de l’institution new-yorkaise, mais avec toute cette honnêteté, il se débrouilla pour me refiler de l’intox pour me décourager de participer à la vente. La fois d’après, je ne me fis pas prendre et cela me permit de l’emporter sur la Deutsche Bank et la fondation Richard Wagner à Bayreuth.
Mon marchand de référence en matière de partitions musicales avait la réputation auprès de ses collègues d’être affreusement cher. Mais c’était le numéro un Mondial et de loin. Aucun expert ne pouvait rivaliser avec son expérience. Cet homme s’appelait Hans Schneider et son fief était Tutzing dans le lac où vécut Richard Wagner. Je finis par lui acheter tout son fonds wagnérien, accumulé pendant quinze ans. Je ne regrettai jamais de lui avoir fait confiance.
L’équivalent de Schneider, en matière de manuscrits anciens, est Heribert Tenschert à Bibemühle sur le Rhin. Mais d’une part, Tenschert occupe une position mondiale plus importante car les manuscrits à peinture sont plus prisés que les partitions musicales. D’autre part, alors que je n’éprouvais aucune sympathie pour Schneider, j’éprouve une réelle amitié pour Tenschert et une estime et une considération que je manifeste à peu de gens autour de moi. C’est un homme généreux, d’un désintéressement total quand il croit à un grand projet, et d’une universalité culturelle rare. On peut en dire autant pour d’autres grands marchands comme Alain Tarica qui a hérité de son père Samy, ou Clavreuil, de la troisième génération de libraires de très haut niveau.
Je suis donc absolument affirmatif : une collection d’envergure muséale ne se fait pas sans un marchand digne de confiance, et qui se passionne pour un projet commun.
Actuellement grâce à Oleg qui a compris à fond le concept, et Philippe Boudin qui après une période où il nous considérait comme de simples collectionneurs, adoptait une attitude de commerçant, et qui est devient un grand marchand, nous avons surclassé ce que Montgomery a accumulé en trente ans d’activité. Nous pouvons tous déclarer sans mentir, qu’en six mois nous avons constitué le seul musée d’envergure en art Japonais poulaire (Mingei) du monde occidental, et nous en sommes, Oleg, Boudin et moi, légitimement fiers. Mais Oleg m’a fait confiance. Il a agi en humaniste et en homme d’envergure, de la trempe culturelle des Getty ou des Thyssen.
lire les expertises dans le corps du billet.
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