Sunday, 19 July 2009
CHRONIQUE
MARCHANDS ET EXPERTS
J'en reviens au sujet qui me tient à coeur en ce moment : la constitution de la troisième fondation, cette réssurgence de la deuxième, condamnée par les experts
On connaît mon projet de base : réunir en un lieu restreint des œuvres significatives du patrimoine de l’humanité, qui parlent à tout le monde, érudits comme ouvriers, et provoquent un électrochoc durable. En tant que professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, dont je suis un pur produit, je fais corps avec ces courageux travailleurs, qui le soir et le dimanche, sacrifient leur vie de famille pour obtenir le diplôme d’ingénieur. Je sais de quelle curiosités, de quel sérieux ils sont capables.
Mon modèle a été au fond le musée des arts et techniques, qui a été fondé pour servir de cabinet de curiosités, de collection d’objets pédagogiques de démonstration, mais à quel niveau ! Le laboratoire de Lavoisier, la machine à calculer de Pascal, l’avion de Blériot en faisaient partie. Aujourd’hui on a construit autour de ces pièces maîtresses, un écrin muséal moderne.
Le but de ma deuxième fondation était de donner à voir les témoins de l’évolution de la pensée et de connaissance, pris à leur racine, quand ils sont pour la première fois diffusés auprès d’une élite restreinte de connaisseurs. On y trouve des manuscrits exceptionnels comme les heures de Bening, mais aussi les premiers tirages des premières éditions de monuments de la science et de la littérature : l’héliocentrisme de Copernic, les dialogues de Galilée, la découverte de l’Amérique par Colomb, le premier livre d’anatomie et ses planches démonstratives par Vesale, etc.
Comment décrire l’émotion qui s’empare des hommes les plus simples pour peu qu’ils veuillent s’élever, en contemplant, voir en touchant, la première encyclopédie médiévale, une pièce de bronze où se détache en haut relief un portrait d’une expression indicible de l’empereur Hadrien, ou de Brutus, l’assassin de Jules César. De contempler ce livre d’heures de padoue, de 1370, dont tous les caractères sont sculptés en or brillant, de feuilleter la masse imposante de l’exemplaire unique sur grand papier de la Grande Encyclopédie de Diderot, ou encore le célèbre livre à couverture verte, que l’on voit dans les reconstitutions historiques de la vie de Darwin.
Certes toutes – ou presque toutes – ces merveilles se trouvent entreposées dans les grande bibliothèques d’état à Londres à NewYork ou à Paris. Mais y avoir accès est une autre paire de manche. Par ailleurs elles sont noyées armi des centaines de milliers d’ouvrages de valeur. Dans ma fondation au contraire, toutes les pièces exposées sont visibles simultanément, autorisent toutes les comparaisons, dialoguent d’objet en objet…
La densité d’une telle collection est unique au monde et elle était en voie de constitution quand le sponsor : Misha, prit la décision funeste de s’adresses à des « experts ». Tous furent aussitôt violemment critiques pour des raisons opposées ou incompatibles. L’un prétendait que détenir un livre sous forme physique était un non-sens à l’époque de la numérisation, l’autre qu’on ne pouvait rivaliser avec les grandes institutions. Le plus grotesque des jugements concernait l’édition originale du Don Quichotte de Cervantès. On en déconseillait l’achat, prétendant que le chiffre demandé (2.500.000 €) était impensable, délirant. L’ignorance s’étala au grand jour : le dernier exemplaire de ce livre fut négocié pour quatre fois cette somme voici dix ans !
Malheureusement, malgré l’ignorance et l’obscurantisme de ces étranges experts, Misha les suivit et arrêta aussitôt les achats.
Aujourd’hui, le flambeau est repris par le jeune Axel Poliakoff mais celui-ci ne se fia pas plus que Misha à mon propre jugement. Il fit traîner indéfiniment les choses au grand dam des marchands de référence qui avaient manqué des ventes pour le réserver les plus précieux ouvrages. J’appris que sans me le dire, il voulait la garantie d’un expert, partant que quelle que soit la compétence d’un marchand, il ne peut être à la fois juge et partie. Dès que je compris cela je me mis en chasse des plus incontestables sommités de chaque département. Ainsi que je le pensais, les pièces que j’avais réservées étaient à un prix au dessous du marché. En effet depuis plus d’un an, elles avaient augmenté de valeur, comme toute les pièces exceptionnelles.
Je compte passer les prochains jours sur la Cote d'Azur chez mon vieil ami Igor le père d’Axel, et partisan de la fondation. Je compte l’éclairer sur la manière dont se font les grandes fondations d’importance muséale. Elles sont toutes nées de la passion de grands collectionneurs, et de l’orgueil de marchands d’envergure mondiale, fiers de participer à la naissance d’un musée. Par exemple la célèbre collection Yves St. Laurent – Pierre Bergé, a été édifiée avec Alain Tarica pour la peinture, et de deux grands marchands de premier plan pour l’orfêvrerie et l’Art Déco. Les rares pièces achetées à droite et à gauche, comme le faux della Robbia dont j’ai fait l’acquisition (ravalée depuis) se sont révélées douteuses.
J’ai constitué des collections muséales parmi les pus importantes du monde, et j’ai souvent acheté aux enchères. Mais jamais directement mais par l’entremise d’un de mes marchands de référence. Un seul problème se posa, avec Albi Rosenthal, qui avait comme client et votre serviteur, et la Piermont Morgan Library. Il me le dit franchement : il faisait le jeu de l’institution new-yorkaise, mais avec toute cette honnêteté, il se débrouilla pour me refiler de l’intox pour me décourager de participer à la vente. La fois d’après, je ne me fis pas prendre et cela me permit de l’emporter sur la Deutsche Bank et la fondation Richard Wagner à Bayreuth.
Mon marchand de référence en matière de partitions musicales avait la réputation auprès de ses collègues d’être affreusement cher. Mais c’était le numéro un Mondial et de loin. Aucun expert ne pouvait rivaliser avec son expérience. Cet homme s’appelait Hans Schneider et son fief était Tutzing dans le lac où vécut Richard Wagner. Je finis par lui acheter tout son fonds wagnérien, accumulé pendant quinze ans. Je ne regrettai jamais de lui avoir fait confiance.
L’équivalent de Schneider, en matière de manuscrits anciens, est Heribert Tenschert à Bibemühle sur le Rhin. Mais d’une part, Tenschert occupe une position mondiale plus importante car les manuscrits à peinture sont plus prisés que les partitions musicales. D’autre part, alors que je n’éprouvais aucune sympathie pour Schneider, j’éprouve une réelle amitié pour Tenschert et une estime et une considération que je manifeste à peu de gens autour de moi. C’est un homme généreux, d’un désintéressement total quand il croit à un grand projet, et d’une universalité culturelle rare. On peut en dire autant pour d’autres grands marchands comme Alain Tarica qui a hérité de son père Samy, ou Clavreuil, de la troisième génération de libraires de très haut niveau.
Je suis donc absolument affirmatif : une collection d’envergure muséale ne se fait pas sans un marchand digne de confiance, et qui se passionne pour un projet commun.
Actuellement grâce à Oleg qui a compris à fond le concept, et Philippe Boudin qui après une période où il nous considérait comme de simples collectionneurs, adoptait une attitude de commerçant, et qui est devient un grand marchand, nous avons surclassé ce que Montgomery a accumulé en trente ans d’activité. Nous pouvons tous déclarer sans mentir, qu’en six mois nous avons constitué le seul musée d’envergure en art Japonais poulaire (Mingei) du monde occidental, et nous en sommes, Oleg, Boudin et moi, légitimement fiers. Mais Oleg m’a fait confiance. Il a agi en humaniste et en homme d’envergure, de la trempe culturelle des Getty ou des Thyssen.
lire les expertises dans le corps du billet.
Les manuscrits, l’évaluation Courvoisier.
Comme vous le savez peut-être, j’entretiens depuis longtemps des liens étroits avec la Bibliothèque Nationale de France. Après avoir été membre de son conseil scientifique, j’ai bénéficié de ses conseils pour mes bibliothèques, dont les deux principales : les archives wagnériennes et la collection de premières éditions musicales qui dorment paisiblement dans ses sous-sols, mon manuscrit à peintures destiné au département des manuscrits anciens, le plus fermé et qui me fait l’insigne honneur d’admettre mon travail « Apocalypsis cum Figuris » C’est précisément ce département qui a recours à Dominique Courvoisier en tant que son expert attitré. C’est donc à lui que je me suis adressé pour avoir une validation incontournable. En voici quelques appréciations.
1°) Le psautier saxon du XIIème. Je l’avais choisi parce que c’est le seul à montrer à cette époque une expression qui n’apparaît, comme on peut le constater dans l’exposition sur le Mont Athos, qu’un à deux siècles plus tard. Je l’ai vu dans une vitrine lors que l’exposition spécialisée au Grand Palais, et se présence écrasait tous les autres manuscrits. En reproduction, il perd 95% de son impact.
Voici ce qu’en dit Courvoisier :
…L’unique comparaison possible dans les trente dernières années est le fragment « Beck », vendu à Londres le 16 juin 1997 (N°6 de la vente). Ce fragment de 50 feuillets soit un quart du manuscrit, datant des années 1220-1230, avec deux miniatures, s’est vendu environ 3 millions d’Euros (1.871.500 £) à cette date. Le Psautier qui vous est proposé est complet, orné de 65 initiales magnifiques et de 3 extraordinaires peintures.
2°) Le Livre d’Heures de Padoue, de Ramo de Ramedellis. En tant que calligraphe je sais l’extraordinaire tour de force que représente la calligraphie en feuilles d’or plaquées sur un mélange subtil de substance plastique à base de plâtre, la feuille étant soufflée par une haleine d’une humidité conforme à celle ambiante. L’or plat à la feuille ou l’encre d’or, est un jeu d’enfant en comparaison. Les lettres ne peuvent d’aucune manière être reproduites par des procédés quelconques, numériques ou lithographiques. Par ailleurs cette performance impressionnante en soi est classée iiiii, c’est à dire qu’une fois vendue elle passera à l’état d’utopie ? Enfin, c’est un exemplaire unique au monde.
Voici l’appréciation de Courvoisier :
La comparaison s’impose avec le livre d’heures de Francesco Barberino, écrit à Padoue vers 1310-1320 vendu chez Christie’s Rome le 5/12/2003 (N°404) 930.330 € plus les frais. Le manuscrit proposé est, de plus, absolument unique en son genre, ainsi écrit à l’or épais sur 160 Pages. Cette caractéristique sans égal aurait pu entrainer une demande supérieure à celle qui vous est faite, sans que l’on trouve à redire.
3°) L’Armorial de la Toison d’Or.
C’est un vrai recueil de portraits d’une grande puissance expressive, digne des tableaux de Simon Bening. Mais je l’ai écarté parce qu’il est hors contexte. Il ne rentre pas dans la ligne de l’évolution de la pensée humaine. Pour Courvoisier aucun manuscrit comparable n’est jamais passé dans des ventes publiques et il provient sans doute d’une haute destinée.
4°) Le manuscrit flamand de Simon Marmion et Alexandre Bening. Je connais bien son célèbre jumeau : les Heures d’Anne de Bretagne de Bourdichon (1500). Mon équipe des Capucins l’a merveilleusement filmé et la vidéocassette vendue à la BNF et dans d’autres librairies de musées. Mais si Bourdichon l’emporte par la qualité de ses bordures Mormion, qui peignit dix ans avant Bourdichon, ses heures est d’une perfection des grandes miniatures et d’une puissance expressive incomparablement supérieures à Bourdichon. C’est un chef d’œuvre dans tous les sens du terme et dans un état de neuf.
Voici ce qu’en dit Courvoisier :
Le manuscrit flamand de Simon Marmion et Alexandre Bening est sans conteste l’un des chefs d’œuvre de l’enluminure flamande, digne des plus précieux trésors de la Bibliothèque Nationale de France ou du Louvre. Une référence pour un livre d’heures flamand de cette époque et de cette qualité est très improbable : tout au plus peut-on suggérer une comparaison avec le célèbre livre d’heures Rotschild, vendu chez Christie’s à Londres le 8 juin 1999 (N°102) . Beaucoup plus richement orné que celui dont nous parlon mais œuvre d’un artiste au talent inférieur, il fut adjugé environ 16,5 millions d’Euros.
5°) Courvoisier parle de La Bible en 48 lignes publiée en 1462 par les ex-associés de Gutenberg, d’une rareté extrême, on reste confondu devant la beauté de l’exemplaire, imprimé sur vélin et richement enluminé dans un atelier réputé. Un seul exemplaire de cette bible, celui de MRTIN Bodmer, a été proposé à la vente en 1971 par H.T.Kraus, le grand marchand de New York, pour 500 000, et ce pour un exemplaire sur papier et non enluminé, ce qui fait une différence considérable. Une autre comparaison peut venir à l’esprit, avec la première Bible, en 42 lignes, publiée par Gutenberg en 1455.
Il se vendit pour un seul volume sur deux, sur papier, le 22/10/1987 (vente Doheny) pour 5.400 000$)
Les éditions originales. l'évaluation De Proyart.
Voici des extraits de la lettre que j’ai reçu de l’expert que j’ai choisi pour évaluer les livres proposés par Stéphane Clavreuil. Jean-Baptiste de Proyart figure parmi les experts les plus honnêtes et les plus compétents de France.
« Monsieur le Professeur,
Suite à votre demande je suis allé voir les ouvrages proposés par la librairie Thomas-Scheler. Monsieur Clavreuil m’a fourni leur liste et j’ai pu les examiner avec soin. Ce sont à l’évidence des livres d’une très haute qualité bibliophilique. (…) »
Je me contenterai pour éviter de fastidieuses comparaisons, que les prix demandés par Clavreuil sont nettement inférieurs à ceux du marché. Cela est dû à deux facteurs : 1°) la proposition date de plus de deux ans et depuis les prix ont évolué à la hausse. 2°) Le marchand a consenti de maintenir ses prix sur l’assurance donnée par moi-même, et par téléphone par Alexandre Pugachev, que la fondation verrait le jour et que tous ses livres seraient acquis. Je noterai seulement les ouvrages iiiii insubstituables.
1. ISIDORE DE SEVILLE. Etymologiae. Strasbourg, 1473. Extraordinaire incunable en reliure du quinzième siècle. La première carte du monde imprimée. Est. 200.000/250.0000 €
4 COLUMBUS, Christopher. De Insulis super inventis. Rome, 1493. Edition originale de Christophe Colomb, la découverte de l’Amérique. Un des livres les plus importants jamais imprimés, d’une rareté mythique. Est. 1.300.000/1.500.0000 €
5 ARISTOTE œuvres (en grec). Venise, Aldo Manuzio. 1495-1498. Première édition des œuvres d’Aristote. Il est presque impossible de trouver un exemplaire complet de cet ouvrage. Est. 500/600.000 €
9 COPERNIC, Nicolas. De Revolutionibus Orbium Coellestium. Nuremberg,1543
Edition originale de Copernic. Le livre scientifique le plus important jamais imprimé ; Est. 1.800/2.000.000 €
10 VESALIUS, Andreas. De humani Corporis Fabrica, Bâle , 1543 . Très bel exemplaire du premier grand livre d’anatomie. Est. 300/350.000€. B.L. Il faut lui adjoindre la version agrandie de démonstration.
11.ZANTANI, Antonio… Le immagini etc. Parme, Enea Vico 1548. Magnifique reliure exécutée vers 1553 par Gommard Estienne pour Jean Grolier. On ne trouve jamais de reliure aussi parfaite et en aussi bon état sur le marché. Est. 400/600.000€. B.L. : vient compléter l’ensemble des deux Grolier en notre possession.
17.DIDEROT & D’ALEMBERT. Encyclopédie, P aris1751-1765. Exceptionnel exemplaire , sans doute unique, relié aux armes. Est. 300/350.000 €. B.L.Tirage de tête sur grand papier.
18.LAVOISIER, Antoine, Laurent. Traité élémentaire de chimie. Paris, 1789. La révolution de la chimie moderne. Magnifique exemplaire relié en maroquin vert. Condition unique. Est. 30/40.000 €
Mais plus important : l’expert estime qu’une telle concentration de pièces majeures rassemblées, à l’exclusion de livres de haute bibliophilie mais d’une importance inférieure du point de vue du patrimoine mondial, est inconnue et nécessaire. De notre côté, j’adhère au point de vue du musée du Palais à Formose, le premier mondial pour la culture chinoise, et qui estime que des livres aussi emblématiques doivent être montrés et non lus.
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