CHRONIQUE
Du lointain
À propos du deuxième Faust de Goethe.
Ainsi que j'ai dû vous le dire dans quelque billet, j'ai une copine... Ou appelons-là une muse, un ange gardien, un oeil critique... Nous nous entendons parfaitement, même goûts et la seule chose qui me manque ou qui lui manque pour que je marie avec elle, ce sont quarante ans de différence à mon détriment, pour ne parler que des tares les plus anodines. On est presque jumeaux par notre jugement sur les êtres et les choses mais... Mais voilà elle esIl est une femme, et une femme élégante. Elle aime aussi s'amuser, plaisanter, me décrire ou me montrer un sac de chez Vuitton ou le tissage artisanal d'une robe faite pour elle par une copine de talent.
Il se trouve que nous avons passé un CD, Il s'agissait des Scènes de Faust de Robert Schumann, dans la version de Benjamin Britten qui les surclasse toutes. En effet cette oeuvre étrange qui semble tissée avec des rayons de lune, est d'une texture tellement fragile qu'elle ne passe ni transcrite au piano, ni exécutée par n'importe quel chef. Elle est littéralement informe, et les critiques; même d'aujourd'hui la dénigrent , pressentant dans cette dernière pièce du cimpositeur, l'ombre de la folie qui devait l'emporter quelques mois plus tard. D'ailleurs, voici quelques années le manuscrit entier (plus d'une centaine de pages fut ravalé chez Sotheby's. Il ne se trouva nul mécène pour payer dix millions de francs le chef d'oeuvre absolu de Schumann.
En écoutant une fois de plus cet oratorio, une impression bizarre se confirma. Cette musique n'était pas du Schumann. Son style se différenciait de toutes les oeuvres les plus audacieuses, y compris Tristan ! Qu'y avait-il de si particulier dans ces notes? - C'est qu'elle se glissait aux vers de Goethe, docilement, et ne se répétait jamais, un peu comme Erwartung d'Arnold Schönberg. De même que les vers ne se répétaient jamais, les sons, intimement impregnés de la musique du poeme, ne se présentaient jamais deux fois, onde mouvante continue, prolongement des vibrations qui émanent du chef d'oeuvre de Goethe. Oui, je pourrais affirmer que cette musique n'était pas de Schumann mais du maître allemand, qui refusait que Beethoven mette en musique son double drame.
J'ai quelque part une pensée pour Goethe, alors qu'humilié, meurtri par son vieux corps traitre à la jeunesse de son esprit, il aborda non sans hésitation la deuxième partie : Faust Zweite Teil. Ihr naht euch wieder, schankende Gestalten / Die fruh sich einst dem trüben Blick gezeigt. / Versuch' ich wohl, euch diesmal festzuhalten? Notamment la derniere période m'arrache les larmes des yeux : Ein Schauer fasst mich, Träne folgt den Tränen/, Das strenge Herz, es fühlt sich mild und weich;/ Was ich besitze, seh'ich wie in Weiten,/Und was verschwand, wird mir zu Wirklichkeiten.
Voici ma traduction, du simple, élémentaire, mot-à-mot.
Vous vous rapprochez de nouveau, formes vacillantes, qui autrefois apparutes à mon regard voilé. Essayerai-je vraiment, cette fois de vous saisir? ... Un frisson me saisit, la larme suit les larmes, ce coeur si fort, je le ressens doux et faible; ce que je possède, je le vois comme dans le lointain, et ce qui s'évanouit, deviendra pour moi réalité agissante.
Le deuxième Faust s'ouvre par un poème aussi émouvant : dans un paysage charmant, au crépuscule, Faust couché sur un lit de fleurs , las, agité, cherche le sommeil. Tout le poème se passe du crépuscule à l'aube, et Ariel détaille les différentes phases de la nuit.
Le choeur dit : Quand les airs s'emplissent de tiédeur/dans la clairière ceinte deverdure, avec ses douces senteurs, ses voiles de brumes, le crépuscule s'abaisse vers la terre. Puis, on avance dans la nuit : La nuit déjà s'est appesantie sur la terre, saintement l'étoile se joint à l'étoile... Puis : Déjà se sont évanouies les heures; Dissipées joies et douleurs, Pressens ta guérison prochaine; Aie confiance dans l'aube qui point.
Le son s'amplifie, le rythme s'agite dans la musique comme dans le poème : Les vallons reverdissent, les collines ondulent en vagues buissonnantes propi;ces au repos/ et dans le flot mouvant des vagues d'argent nage la semence vers la moisson.
Nous reviendrons sur ces vers mystérieux. Und in chwanke Silberwellen/Wogtdie Saat des Ernte zu.
On à l'unisson : Ecoutez, écoutez l'ouragan des heures!
Dans le volume XVI de L'entretien, p. 1697, daté de 372 avant 2000, j'ai trouvé une transposition des mots mystérieux:
LES VALLLES VERDOIENT:/LES CHAMPS SE FRONCENT:/ LES COLLINES ONDULENT:/ LES BUISSONS DANS L'OMBRE DISSIMULENT LEUR SECRET. Sous les vagues dorées de la chair, la semence vogue vers la matrice/pour des bonheurs féconds...Solitaire je veille inconscient de la fuite des heures n'écoutant que le vent qui me traverse, indifférent à mon bonheur, à mon malheur.
Le volume a été terminé le jour de Noël 1998.
J'écoutais la musique. J'étais ébranlé dans mes entrailles, et j'entendis enfin la voix lointaine de S*** qui me parlait de Dior. Je compris alors que j'errais dans un pays, dans une lande lointaine, mais qui était soudan devenue proche. Parler de futilité était devenu impossible, c'était dans un monde matériel, vivant. J'eus beaucoup de mal à l'extraire de cet état. Je crois que cette soirée cela me fut impossible. Je compris aussi la raison de mon faible succès auprès des femmes, autrefois. J'étais un étranger.
Tout à coup, pendant que je rédigeais la suite, au moins deux longs paragraphes, voici que subitement apparaît Google à la place, effaçant tout ce que je venais d'écrire ! Je suis trop fatiguer pour tout reprendre, je puis tout au plus vous annoncer que c'est avec vous que j'ai débuté la journée des mes soixante seize ans. Et j'en suis heureux. Auparavant j'avais des ennuis avec mon insertion, et mystérieusement mon billet se colorait de couleurs bariolées. C'est m'explique Emmanuel que j'utilise l'informatique du pauvre, mais que je n'ai pas à m'en faire, il est là. Mais lorsqu'il n'y est pas, ce qui était le cas hier soir et aujourd'hui je suis en panne!
Dès que l'insertion sera rétablie, je vous afficheri les coordonnées des disques et livrees à commander sur l'internet.
Bien fidèlement
Bruno Lussato.
Voici enfin les titres des disques et des livres vivement conseillés.
Ci dessus la distribution de la version Britten. Comme l'a fait Goethe, Schônberg a écrit un monument à l'écriture evanescente et informelle. Leibowitz comme Britten peuvent seuls nous livrer le secret de cette musique où tout fonctionne par allusion,et la musique informelle, considérée avec méfiance.
ci-contre, l'ouvrage traduit par Henri Lichtenberger, de loin la meilleure traduction
FIN. BL.
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