Deux conceptions divergentes Viola - Chéreau
J'ai toujours observé la plus grande parcimonie dans le choix de mes concerts et mes opéras, afin de garder toujours en mémoire les grandes voix et l'emprise des chefs, et je ne le regrette pas. L'exploration d'une oeuvre comme Tristan ne peut se passer d'une étude très détaillée de la partition d'orchestre, et la représentation est la récompense de celui qui a pris la peine de jouer la transcription de paino. (Dans ce cas, celle de Hans de Bulow).
Les représentations que je garde ainsi vivaces sont celles de Kirsten-Flagstad, Max Lorenz, au pupitre, Georges Sebastian, de Kna, avec Martha Mödl ou Astrid Varnay, puis Carlos Keiber-Ponnelle et Ligendsa. Les autres ne pouvaient se comparer. Et puis, j'ai vu la version de Bill Viola, et cela été un véritable choc. J'ai écrit dans ce blog, qu'on ne peut en aucun cas la considérer comme une représentation d'une oeuvre de Wagner mais comme un création originale à mi-chemin entre la plus haute création de notre plus grand vidéaste, Viola et le monstre qui devait révolutionner l'histoire de la musique.
J'ai failli manquer sur Arte la représentation de Tristan pour l'ouverture de la Scala, avec Baremboïm, Waltraud Meyer et ... Patrice Chéreau.
S'il est un metteur en scène que j'admire profondément c'est bien Chéreau que François Regnault son dramaturge m'a fait apprécier, et dont le Ring reste pour moi "le plus beau spectacle du monde". Ma soeur m'a tiré de mon ordinateur pour me signaler la retransmission et elle-même a été émue par la direction de Baremboïm et la mise en scène de Chéreau. Sans elle j'aurai manqué, outre le premier acte, les actes II et III.
La comparaison entre la création géniale de Viola (avec Gergiev au pupitre, et qu'on aura la chance de revoir en 2008 à Paris) et la recréation de Chéreau, était passionnante. Après voir entendu et vu avec la plus grande intensité, ces monuments dramatiques, ma religion est faite : c'est Wagner qui l'emporte. Wagner, décodé par Patrice Chéreau, bien entendu. Baremboïm était tellement plongé dans la partition que les applaudissements, lui ont arraché une rapide grimace d'agacement, vitre réprimée. Chéreau qu'on a interviewé était lugubre. On a l'impression que cet homme ne peut sourire. Pourquoi? Parce qu'il ne considère pas son travail sur les corps, comme quelque chose de futile. Parce qu'avec le déroulement du spectacle c'est un peu de sa vie qui s'écoule.
Par exemple à la fin, lors de la mort d'amour, Isolde dont la pureté du profil, l'intensité tragique et souriante de l'expression, et les pianissimi déchirants qu'elle émet nous ménage une surprise. Un filet de sang s'écoule du front, comme un accident crânien et finit par couler et ensenglanter toute la moitié du visage, toujours souriant, transfiguré. A côté l'oeuvre de Viola semble abstraite. Les amants rejoignent le cosmos, ils perdent leur matérialité et cette vision est à l'unisson des associations mystiques du poème qui prennent tout leur sens.
Alors que l'interprétation de Bill Viola exige une exégèse poussée du poème, et une sensibilité à l'art contemporain, celle de Chéreau exerce un effet immédiat, irresistible, résistant à toute explication : elle est là, sans le moindre arbitraire, la moindre licence, le moindre chi-chi. Cette simplicité est magnifiée par le jeu d'acteurs dignes des vidéos religieuses de Bill Viola, par un jeu de noirs et blancs dignes d'une tragédie grecque... mais ce qui emporte tout, est la passion des acteurs, invisibles chez Viola.
Commentaires