Bouillon de culture
Monday, 31 December 2007
BONNES FETES DE FIN D'ANNEE
DE LA PART DE MARINA FEDIER, CLAUDE MEDIAVILLA ET BRUNO LUSSATO
Le nouvel an à Paris est digne des autres jours quand on ne vit pas dans un hôtel particulier. Les voisins du dessus qui pendant deux mois ont passé la chignole pour s'agrandir, prolongent le vacarme par l'ivrognerie et des disputes continuelles, ceux du dessous dont les gosses ne connaissent pas l'urbanité des heures de la nuit sont partis en vacances avec leurs parents à Saint Moritz,laissant derrière eux un affreux cabot qui n'arrète pas d'aboyer. On ne peut rien faire car la police ne peut intervenir. La procédure consiste à remplir une plainte, après quoi les juges statueront : ou les dommages affectent les humains et la plainte sera classée, même s'il s'ensuit des dépressions profondes, où on peut prouver que les aboiements sont dus à une maltraitance ou un inconfort des pauvres toutous, et les différentes associations de protection des animaux sauront intervenir pour faire cesser le trouble; toute tentative d'appel à la compassion pour les malades et les faibles, se soldent par des ricanements chez le jeune couple d'avocats qui occupe le dessous, et par de nouveaux hurlements chez les ivrognes. Ceux-là n'en sont pas à leur coup d'essai. En s'endormant cigarette au bec, le patron des lieux a mis le feu à tout l'immeuble qui est resté sinistré pendant deux ans.
En fait on décèle une source unique à ces dysfonctions : l'absence totale de civilité, de politesse, d'urbanité, de savoir-vivre des jeunes et des moins jeunes, bobos, gauchistes, cyniques, abrutis de tout poil. Une conbinaison entre Matrix et Médusa. Protéger les vieillards et prendre soin des attentes d'autrui sont d'autant plus dans les discours qu'ils désertent les pratiques. Un recours : fuir si on peut !
Chronique
Continuer à lire "Journal du 31 Décembre"
Sunday, 30 December 2007
Le Tapuscrit Grimm
A propos de la Justice et de la bureaucratie françaises,
vues par un allemand du XVIIIe siècle
Pour terminer l'année avec la finesse et la bonhomie qui caractérisent le compilateur de ces citations, florilège plus français que français et plus actuel que jamais. Un concentré de FORCE DE LA TERRE humaniste... comme Arnaud Gobet lui-même.
Quelque pressants que soient nos autres maux, le désordre et les abus ne paraissent nulle part plus grands que dans la partie de la legislation et de l'administration de la justice.
Pour que les lois soient connues, respectées, suivies, il faut qu'elles soient claires précises et en petit nombre. ... Peut-être faudrait-il que les affaires des particuliers ne soient point regardées comme objet de législation, et que leurs contestations soient jugées suivant le bon sens et la droite raison par une assemblée d'hommes vertueux et intègres; car il n'y a pas de cas, quelque compliqué qu'ils soit, qu'un homme de bien et de bon sens ne décide et ne démèle avec plus d'équité que le plus habile jurisconsulte.
Continuer à lire "Les lectures d'Arnaud Gobet"
Saturday, 29 December 2007
Souvenirs de ma chaire.
Les ailes de l'ingratitude
Cet ancien étudiant végétait, noyé dans la foule des mille élèves de ma chaire, laminé par des supérieurs bornés. A la fin de mon cours, il venait me voir et posait beaucoup de questions comme la plupart des étudiants. Mais ce qui 'interessait, c'était la culture. Il avait un besoin inépuisable de connaissances musicales, chorégraphiques, littéraires, picturales. Il ne cessait de tendre la main pour accéder aux ressorts cachés des chefs d'oeuvre. Comment résister? Je lui donnai pendant des mois des leçons particulières, étonné par sa passion. Sous l'influence de cette culture récemment acquise, d'autres aspects de sa personnalité se manifestèrent. Il devint un infatigable travailleur, rapide et enthousiaste. Il acquit un charisme exceptionnel et l'étude des opéras de Mozart et des drames de Sahakespeare, lui apprirent le travail d'horloger, la précision et la conscience professionnelle, le goût et le génie.
Tout ceci se refléta dans son activité professionnelle, il fut respecté des employés et se rendit indispensable à ses supérieurs. Il faut ajouter qu'il sortait d'une riche famille bourgeoise qui le méprisait comme un raté. Un jour, les ailes continuant à lui pousser,il fonda sa propre entreprise et gagna de l'argent. Je l'aidai de mon mieux à suivre cette ascension remarquable, très fier de cette succès story. Pendant toutes ces années, mon étudiant ne cessa de protester de sa fidélité indéfectible, et m'assura que lorsque le moment serait venu il serait aussi fidèle qu'un fils dont c'est le tour de prendre en charge des parents vieillissant dans le besoin. Ce qui m'était bien utile dans ma situation d'alors. Les grandes grèves paralysaient la capitale et je devais me déplacer dans des conditions dangereuses.
Continuer à lire "Les ailes de l'ingratitude"
Wednesday, 26 December 2007
Art Basel Miami Beach
Du 6 au 9 décembre 2007
Je profite du répit procuré par la trêve de fin d’année pour revenir en arrière. Pas très loin, à début décembre quand s’est tenue la foire de Miami.
Art Basel Miami Beach, organisée par la prestigieuse foire bâloise Art Basel, fut pour sa sixième édition, et comme chaque année, de très haute tenue.
Plus de 200 galeries sélectionnées, comme toujours parmi les meilleures du monde, hormis quelques couacs sans doute imputables à une certaine course à la « branchitude ».
Il faudrait en effet que je parvienne à comprendre pourquoi Peres Project (Los Angeles, Berlin) bénéficie de l’aura qui lui colle, alors que ses stands de foire sont toujours navrants de propositions plastiquement faciles et éculées, quand elles ne sont pas, disons le, putassières. Ainsi son accrochage de l’américain Terence Koh : un ensemble de photos pour une ambiance « orgie contemporaine », qui pour être éventuellement intrigante d’un point de vue social aurait nécessité une finesse d’esprit et de langage dont l’artiste est apparemment totalement dépourvu.
Parmi les points marquants de la foire, Contemporary Fine Arts (Berlin) avait ressorti de ses réserves un magnifique paysage de Peter Doig, de 1998, très émouvant dans les ambiances latentes dont il a le secret.
Stuart Shave / Modern Art (Londres) a consacré son stand, dépouillé, à six petits de tableaux de la très talentueuse Katy Moran.
Chez Sprüth/Magers (Cologne, Munich, Londres), un éblouissant paravent d’Ed Ruscha occupait le stand le troisième jour. D’un côté un ciel bleu en dégradé, de l’autre une ambiance coucher de soleil, et ces phrases opposées inscrites en relief : « I forgot to remember to forget » et « I remenbered to forget to remember » ; d'une intelligence et une simplicité désarmantes !
Franco Noero (Turin) a comme a son habitude signé un des stands les plus élégants, avec notamment un beau tableau d’Arturo Herrera en feutre gris, une petite installation du mexicain Gabriel Kuri et un très curieux et percutant film de Simon Starling, où la caméra se déplace autour d’une chaise de Carlo Mollino, la transformant en objet indéfinissable.
Mais plus que Art Basel, c’est l’autour et le trop-plein qu’il a généré qui m’intéressent.
Si depuis sa création, en 2002, l’événement a vu chaque année s’accroître le nombre de propositions, l’overdose est atteinte, avec cette fois-ci 22 foires off dénombrées, représentant (en incluant la grande foire) un total de plus de 1100 galeries présentes en ville cette semaine-là !
C’est considérable et surtout dommageable. En premier lieu, il est physiquement et mentalement impossible d’ingurgiter autant de propositions en une semaine. Même en voyant de bonnes choses, les foires sont à tel point fatigantes qu’arrive toujours un moment de saturation. Que dire avec 23 foires ?
En second lieu, et encore plus importante, est la question de la qualité. Qu’elle peut-être la qualité dans un si gigantesque amas, pour ne pas dire fatras ? Pour avoir parcouru quelques unes de ces foires, je n’y ai vu que des galeries médiocres, avec des artistes qui ne l’étaient pas moins. En notant une tendance très affirmée pour une mauvaise peinture abstraite, très brouillonne, pas pertinente chromatiquement, qui ne dit pas grand chose, mais qui est à la mode.
La peinture abstraite est un exercice difficile, et les jeunes artistes qui y réussissent, à l’instar de Katy Moran à Londres (voir http://www.stuartshavemodernart.com) ou de Jacin Giordano à Miami (voir http://www.galeriebaumetsultana.com) ne sont pas légion.
Du côté de la photo rien de neuf non plus, et la foire Photo Miami pourrait s’abstenir de revenir l’an prochain, au vu de ses allées mornes, d’où transpirait un incommensurable ennui.
Même les deux foires off dites principales, NADA et Pulse, ont cette année fait pâle figure.
Le public a changé également. Je ne parle pas du grand public. Il se presse le week-end pour arpenter la foire et c’est tant mieux. Mais pour avoir été présent à Miami depuis la seconde édition d’Art Basel, en 2003, j’ai pu mesurer l’évolution et le changement non seulement du contexte mais aussi de la fréquentation.
À l’ambiance festive mais professionnelle des premières années s’est substituée depuis deux ans une sorte de course effrénée à l’événementiel, avec starification et peopolisation en prime. On croise dans les allées nombre de personnes gravitant dans les milieux de la mode, pas plus intéressées par l’art que par la choucroute, mais qui sont là pour se montrer… parce qu’il semble qu’il faille y être !
Chacun y va de sa soirée, avec l’espoir du casting le plus réussi. N’importe quel journal ou marque de mode essaye désormais d’y faire un événement. Ce jusqu’au magasin parisien Colette, temple de la branchitude s’il en est ! Comme s’il fallait être présent à Miami cette semaine-là pour exister.
La directrice du Moore Space, centre d’art contemporain qui présentait cette année une sélection d’artistes français, ne s’est-elle pas entendue demander par des journalistes au téléphone quel type de vin serait servi lors du vernissage et quelles vedettes étaient attendues ?!!
La conséquence de tout ce remue-ménage est un sentiment d’agacement progressif de nombre de professionnels de l’art, qui commencent à se dire qu’ils ont peu à faire dans un tel cirque et se demandent s’ils vont continuer à venir. Pas les marchands, pour qui ce marché est devenu essentiel et qui ne peuvent se permettre de le laisser filer. Mais pour beaucoup d’autres…
Art Basel Miami Beach, qui avait voulu instaurer une rendez-vous hivernal où la qualité serait concomitante à une atmosphère détendue et conviviale a-t-elle tellement bien réussi son coup qu’elle est en train de se faire déborder ?
Eléments de réponse dans un an, où l’on pourra mesurer l’évolution d’une situation qui ne peut encore enfler sauf à exploser.
Saturday, 22 December 2007
Rückblick
Enfin, Bonnet s'est décidé! Il nous a adressé de New York une description de la rétrospective d'un des vingt cinq peintres que NewWave a sélectionné. J'avais déjà cité une de ces plaisanteries (jokes) de très mauvais gôut censées pour Prince de symboliser la sous-culture américaine:
Le docteur : mon cher ami j'ai à la fois une mauvaise nouvelle et une bonne nouvelle à vous annoncer.
...?
La mauvaise nouvelle : votre mal est incurable et vous n'en avez que pour trois mois à vivre.
... !
La bonne nouvelle : j'ai eu une liaison cette nuit avec ma secrétaire.
La série de ces "jokes" ouvrent au Guggenheim Museum une vaste rétrospective de ce pourfendeur non agressif des stéréotypes de la culture et de la Culture de son pays. Il reproduit en les soumettant à une forte distorsion des images banales et parties de l'imaginaire américain. La distorsion et la désinformation frisent évidemment la parodie, mais sont plus subtiles par leur procédé oblique, impressionnant (les nurses ensanglantées) ou atroce (les jokes). Fort heureusement mon critique, Monsieur Méduso, qui trouvait nulle ma revue des épouses de président, et se réjouissait de l'absence de commentaires, n'aura jamais songé à réfléchir sur l'Art de Prince. Si c'était le cas, il jetterait sans doute toute la production avec dédain. Voici son appréciation sur ces jokes :
Les thuriféraires habituels de Monseigneur Lussato n'ont même pas jugé bon de poster un commentaire sur un billet aussi insignifiant. Comme quoi, tous les espoirs sont encore permis.
Cela dit, on ne peut que comprendre ceux qui pensent que cet art est de la fumisterie. Une plaisanterie gribouillée sur un papier froissé, peut-elle se comparer avec les merveilles de subtilité, l'abnégation du peintre, la critique à laquelle est soumise chaque cm2.
Ceux qui ricanent, qu'ils aillent au Marmottan. Ils verront coexister des miniatures médiévales sans génie, mais d'une conception et une exécution miraculeuse de proportions, et une peinture lachée, dont les traits sont maladroits, le rendu approximatif, le paysage grossièrement représenté, comme à la va-vite. Rien de comparable avec Jérôme et Bouguereau, maîtres pompiers. Alors?
Alors on est nuls. Non parce qu'on admire ou on rejette de confiance une pièce qu'on ne comprend pas, mais parce qu'on ne fait pas l'effort de percer l'énigme. Et pour cela il ne faut pas compter sur les pédagogues, pour qui la beauté d'un Klein ou d'un Buren sont tellement évidentes qu'ils ne se demandent pas si on n'y voit pas des sufaces toutes bleues ou des stores de magasin, ni pour les passéistes comme Obalk qui crient à la supercherie.
Continuer à lire "Ruptures"
Friday, 21 December 2007
Richard Prince
Guggenheim Museum, New York. Jusqu'au 9 janvier.
« Je viens de résoudre le problème de parking. J’ai acheté une voiture déjà garée » (« I just solved the parking problem. I bought a parked car »). Malicieuse, cette simple phrase griffonnée au crayon sur une petite toile blanche (Untitled (Joke), 1986) résume à merveille l’esprit qui se dégage de la première rétrospective consacrée à Richard Prince, organisée par le Guggenheim Museum, à New York.
Pensé par séries, qui chacune à leur manière soulignent avec justesse qualités et stéréotypes auxquels s’attaquent l’artiste, l’accrochage déployé dans la spirale et quelques galeries annexes donne l’ampleur nécessaire à une œuvre qui apparaît, depuis trente ans, d’une rigoureuse cohérence. Ce tant dans la constitution d’une immense banque d’image de la culture populaire américaine, rendue efficiente par le modus operandi que constitue l’appropriation, que par la manière dont sont pointées les contradictions inhérentes à cette culture même.
L’univers de Prince apparaît en effet telle une immense boîte à fantasmes, où une iconographie très marquée par la route, la sexualité et la publicité portraiture une Amérique oscillant entre finesse et grossièreté de traits. Une Amérique tout en proie à la question du désir, lancée dans une quête ininterrompue en vue de son accomplissement.
Untitled (Cowboy), 1980-84, Ektacolor photograph, edition of 2,
24 x 20 inches, © Richard Prince
Les Nurses, peintures initiées en 2002 reprenant des couvertures de romans de gare où des images d’infirmières se voient affublées de masques chirurgicaux ou maculées de traînées de peintures qui les rendent floues, sont à cet égard remarquables. Rendues plus inquiétantes que rassurantes elles incarnent, au même titre que les Girlfriends (1993) – des « bikeuses » souvent photographiées poitrine au vent dans des concentrations de motards – de parfaits archétypes sociaux et sexuels. Tout comme les Cowboys initiés en 1980. Des images évoquant les racines de la nation à travers l’idée de liberté individuelle, tout à fait reconnaissables comme provenant de publicités pour les cigarettes Marlboro… vantant le grand air et la liberté, ce qui ne manque pas de sel.
Nurse in Greenmeadow, 2002, Ink jet print and acrylic on canvas
78 x 58 inches, © Richard Prince
À la base de la pratique de Prince, l’appropriation d’images publicitaires sorties de leur cadre et transformées par leur nouveau contexte de présentation fournit une entrée en matière efficace à l’exposition. Avec ses travaux anciens traités en séries, telles des photos d’intérieurs bourgeois (Untitled (living rooms), 1977), de briquets ou stylos de luxe (Untitled (pen), 1977), ou des portraits de personnages très sûrs d’eux (Three women looking in the same direction, 1980), l’artiste use efficacement du mode répétitif pour imposer une corrélation entre fabrication de l’image et stéréotypes. Ce faisant, dès la fin des années 1970, il se posait en pointe des questionnements post-modernistes relatifs à la signature et à la légitimité auctoriale.
La disparition de la main de l’artiste est également patente dans les Monochrome Jokes et les Hoods (blagues populaires inscrites sur des tableaux monochromes et capots de voitures moulés) produits à partir du milieu des années 1980, nombreux dans le parcours. Outre qu’ils témoignent d’une irrévérence avérée à l’endroit du Minimalisme et de l’art conceptuel, ces travaux le font en distillant dysfonctionnements et peurs sociales (anxiété sexuelle, questions de genre, ratés de l’éducation, problèmes familiaux…) avec une cruauté jouissive et d’autant plus succulente qu’elle n’est jamais gratuite mais toujours s’infiltre dans la faille avec une précision chirurgicale… Quand une Amérique conquérante rencontre une Amérique craintive.
Upstate, 1995-99, Ektacolor photograph, unique,
69 x 49 1/16 inches framed, © Richard Prince
Capable de s’attaquer à un maître comme De Kooning, dont il mêle dans des tableaux l’imagerie des Women à de vulgaires photos pornos (De Kooning Paintings, 2005-07), Prince fait également montre d’une profonde empathie pour les paysages et le mode de vie qu’il trouve dans son environnement immédiat (cabanes, paniers de baskets, bagnoles capot ouvert,…), dans le nord populaire de l’Etat de New York où il a élu domicile en 1995 (Untitled (Upstate), 1995-99). Empreints d’une certaine mélancolie, détachés de toute gouaille acerbe, ces clichés désignent un artiste fasciné par la culture… avec un grand et petit c. Cela rend son regard juste, et son art pertinent.
|
Commentaires